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Une Brève histoire des extrêmes droites en France

Propos de Nicolas Lebourg recueillis par Olivier Berger, « De la « Réaction » au RN : une histoire de l’extrême droite », La Voix du Nord, 25 juin 2024.

– Quelles sont les origines de l’extrême droite en France ?

« L’origine est royaliste et contre-révolutionnaire. “La Réaction” désigne des violences en 1795 qui frappent les républicains mais aussi les protestants, car la diversité religieuse est censée, comme la démocratie, diviser la nation. On parle ensuite d’“extrême droite” sous le règne de Charles X (1824-1830) pour désigner ceux qui jugent cette restauration insuffisante, pas assez absolutiste. Il faut attendre l’après-Première Guerre mondiale pour que tous les citoyens se saisissent des marqueurs “droite” et “gauche”.

Avant, c’est une affaire d’élites. Et c’est aussi avec la révolution russe de 1917 qu’explose l’usage du terme “extrême gauche” ce qui pousse à l’usage d’“extrême droite” pour ses adversaires les plus résolus. Le rejet des gauches, de la Révolution française au bolchevisme et jusqu’aux polémiques aujourd’hui sur le wokisme, a toujours été un très puissant carburant. »

– Les affaires Dreyfus, puis Stavisky au début du XXe siècle sont-elles symboliques de son essor en France ?

« Le “nationalisme” passe à droite après la défaite contre l’Allemagne en 1870 et, avec l’affaire Dreyfus, il s’entremêle à l’antisémitisme. Au début des années 1930, Stavisky, juif, est la figure d’une escroquerie, puis un scandale politico-financier qui permet d’associer antisémitisme, nationalisme et antiparlementarisme. Son suicide le 8 janvier 1934, largement perçu comme un assassinat politique, amorce la dynamique qui va mener à l’émeute du 6 février 1934. »

– La marche des ligues sur l’Assemblée nationale le 6 février 1934 est-elle une tentative de coup d’État ?

« En aucune façon ! C’est la façon dont les gauches la lisent, dans un contexte où Hitler a pris le pouvoir l’année précédente. À gauche, on va y voir un complot organisé des ligues d’extrême droite pour instaurer un régime fasciste. En fait, c’est une manifestation qui dégénère et finit dans un bain de sang(12 morts, 657 blessés). Pour les extrêmes droites, c’est aussi un mythe mobilisateur.

Alors qu’elles sont divisées en groupuscules concurrents, on voit naître en conséquence du 6 février l’initiative du Front national, une plateforme commune avec un programme minimum – « le travail français aux travailleurs français » par exemple –, chacun conservant son autonomie et son programme propre. L’expérience va être un échec mais en 1972, c’est aussi comme ça qu’est né le FN, d’où la reprise du nom. »

– Comment peut-on classer le gouvernement de Vichy, collaborationniste, du maréchal Pétain ?

« Le régime de Vichy est une dictature mais avec un marché politique pluraliste. À un moment, les services de l’État y dénombrent 88 partis – tous d’extrême droite et antidémocratiques, mais avec un nuancier qu’on peut schématiser en deux camps. D’un côté, les maréchalistes, collaborateurs, partisans d’une revanche contre la République et le Front populaire. Ils veulent un régime autoritaire, catholique, conservateur, bien défini par sa devise “Travail, famille, patrie”.

Maurice Bardèche, écrivain fasciste, dira que c’est une devise pour la Suisse. Car de l’autre côté, les fascistes et collaborationnistes trouvent Vichy vulgairement réactionnaire. Ils veulent un homme nouveau forgé par un État totalitaire recouvrant un empire. Le terme “totalitaire” est à l’époque pleinement revendiqué par des chefs fascistes collaborationnistes comme Déat et Doriot. »

– Le mouvement poujadiste, dont Jean-Marie Le Pen fut un député, est-il l’ancêtre du Front national ?

« Entre 1953 et 1958, le mouvement de Pierre Poujade a fédéré l’antiparlementarisme et le nationalisme, mais sans accoucher ni d’une doctrine ni d’une postérité. Les radicaux rêvaient de le manipuler pour le voir réussir un 6 février. L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle le balaye. Les questions fiscales et coloniales qui le nourrissaient n’avaient pas disparu, mais les demandes d’ordre et d’autorité étaient satisfaites avec une personnalité d’ampleur et crédible. Cela nous ramène à une réalité crue souvent mal perçue à gauche : dans l’histoire électorale, il y a une demande sociale d’autorité nettement plus perceptible qu’une demande participative. »

– Quelles étaient les bases idéologiques du FN de Jean-Marie Le Pen ?

« Le FN a été lancé par le mouvement néofasciste Ordre nouveau (ON). Pour se dédiaboliser, il va chercher Jean-Marie Le Pen mais à quelques jours de la réunion fondatrice officielle, ON le menace de ne pas le nommer président et de choisir à sa place François Brigneau, ancien de la milice et antisémite obsessionnel qui à l’époque, s’est fait remarquer par des articles au vitriol contre les Algériens. C’est ce dernier qui rédige la déclaration d’intentions du parti. Elle est marquée par l’anticommunisme et le souci de voir l’homme participer à des cadres hiérarchiques, au premier chef la Nation définie comme “communauté de langue, d’intérêts, de race, de souvenirs”.

Jusqu’en 1978, le FN est d’abord anticommuniste. Résultat, c’est un groupuscule car la droite au pouvoir est plus crédible sur ce segment. En 1978, c’est l’affiche “Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop” qui va offrir au parti une offre originale et autonome. »

– En quoi sont-elles différentes des bases du RN d’aujourd’hui ?

« Le FN n’est guère souverainiste jusqu’en 1992, date de la campagne référendaire pour le traité de Maastricht. Cette déclaration de 1972 prône une confédération européenne et pour Ordre nouveau, elle devait même aboutir à la création d’un marché occidental abolissant les barrières douanières. Dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen défend une monnaie commune européenne et même une politique de défense européenne. Le rapport à la société multiculturelle est aussi très différent.

On l’a oublié, mais dans les années 1990, la revue officielle du FN présentait l’islamisme comme un réveil identitaire des peuples arabes dont il serait l’équivalent en France. À la fin de la décennie, Samuel Maréchal, le père de Marion Maréchal, défendait l’idée que le FN devait prendre acte du caractère multiculturel du pays. En somme, le FN de Marine Le Pen était plus souverainiste et le RN de Jordan Bardella plus islamophobe que le premier lepénisme. »

– Existe-t-il des invariants dans l’histoire de l’extrême droite ?

« On a affaire à un champ politique qui existe depuis deux siècles avec une étiquette qui regroupe aussi bien des démocrates, des royalistes que des partisans du totalitarisme. Ce n’est en soi pas anormal : chaque étiquette politique recouvre une grande pluralité de tendances. Mais il y a bien des invariants à travers le temps et l’espace.

Les mouvements d’extrême droite se présentent comme des élites de rechange. Elles se donnent pour mission de régénérer – le mot est essentiel – leur société sous une forme organiciste, c’est-à-dire un corps unitaire, en articulant cela à une révision des relations internationales. C’est cette vision du monde qui constitue le cœur de l’extrême droite et non ses programmes. Les électeurs qui votent FN/RN depuis 1984 l’ont fait au départ avec un programme ultralibéral et proeuropéen, ensuite avec un programme interventionniste et souverainiste, aujourd’hui plus libéral identitaire, mais ils aspirent à la même utopie unitariste. »

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