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Propagande : l’arme de guerre de Vladimir Poutine

(Source inconnue)

Par Adrien Nonjon

Dans son ouvrage Propagande. L’arme de guerre de Vladimir Poutine (Autrement, 2024), Elena Volochine nous offre une plongée saisissante dans l’univers complexe et tentaculaire de la propagande russe, véritable pilier du pouvoir actuel au Kremlin. Journaliste franco-russe, correspondante à Moscou pendant plus d’une décennie, Elena Volochine fait partie de ces observatrices de premier plan des mutations idéologiques opérées par Moscou qui permettent au régime de remodeler l’histoire, manipuler le présent et orienter l’avenir selon ses ambitions impérialistes.

L’ouvrage débute par une exploration minutieuse de l’élaboration par la propagande d’un double mythe : d’une part, la résurgence d’un imaginaire nazi attribué aux adversaires de la Russie – au premier rang desquels l’Ukraine – et, d’autre part, , la réhabilitation mesurée mais stratégique de Joseph Staline, dont la figure est désormais indissociable du patriotisme russe. Elena Volochine démontre comment, après 2014, cette stratégie révisionniste s’intensifie pour légitimer les ambitions expansionnistes de Vladimir Poutine auprès de son propre peuple. Ce dernier, se posant en héritier de la « Grande Guerre Patriotique », réactualise le récit soviétique en le polissant de nuances nationalistes, tout en minimisant les exactions du passé, comme le prouve la refonte des manuels scolaires russes.

Ces derniers, coécrits par des figures telles que Viatcheslav Nikonov, petit-fils de Molotov, offrent une vision épurée de l’histoire soviétique. Par exemple, les mentions des goulags ne sont qu’anecdotiques. De même la répression est transformée en opportunité pour les prisonniers. Après 2014, cette réécriture de l’histoire s’accélère, soutenant les ambitions expansionnistes de Vladimir Poutine et consolidant son récit nationaliste, glorifiant un passé impérial.

L’un des axes majeurs de l’ouvrage réside dans la démonstration des parallèles entre cette réécriture historique et la rhétorique de diabolisation des Ukrainiens. En retraçant un fil narratif qui s’enracine dans la Révolution orange de 2004, Volochine dissèque les gradations de l’infamie attribuée à l’Ukraine : des manifestations pro-européennes initialement qualifiées d’illégitimes à leur assimilation progressive à une idéologie fasciste. Les figures de Stepan Bandera, le régiment Azov ou encore l’organisation Pravy Sektor, méthodiquement amplifié par les médias d’État, deviennent autant de prétextes pour les agressions militaires russes, mais servent aussi à mobiliser et polariser les sociétés. Au-delà des manipulations historiques et politiques, le livre s’interroge sur les effets psychologiques et sociaux d’une propagande omniprésente, qu’Elena Volochine qualifie de « réalité parallèle ».

La journaliste illustre comment cette machine idéologique, omnisciente dès la maternelle, segmente la population russe en trois catégories : les haineux convaincus, les craintifs conformistes et les rebelles silencieux. Dans ce contexte, certains, comme la nourrice de sa propre fille, passent de l’apathie politique à la protestation désespérée, tandis que d’autres s’enferment dans un syndrome de Stockholm collectif, un phénomène clinique où la population, soumise à une peur omniprésente, se solidarise avec son oppresseur.

Particulièrement frappante est l’analyse des territoires ukrainiens occupés depuis 2014, où les populations, asphyxiées par une propagande continue, en viennent à considérer Vladimir Poutine comme leur unique espoir de paix. Ce paradoxe, selon Volochine, résume la prouesse du Kremlin : convaincre que celui qui provoque le chaos est aussi celui qui en détient la solution. L’autrice inscrit également cette manipulation dans une perspective historique, explorant les racines soviétiques du « contrôle réflexif », une stratégie psychologique conçue pour modeler les décisions collectives par la peur et la désinformation. Elle rappelle des exemples emblématiques, comme la fabulation de la crucifixion d’un enfant à Sloviansk ou la réécriture de l’incendie de la Maison des syndicats à Odessa en 2014. Ces récits simplifiés, souvent grotesques mais terriblement efficaces, attisent la haine et justifient l’escalade militaire.

Enfin, le livre ne se contente pas de décortiquer la propagande russe : il pointe également les failles des démocraties occidentales, accusées d’avoir, par complaisance ou naïveté, laissé cette machine prospérer. Elena Volochine critique notamment les pratiques journalistiques consistant à mettre sur un pied d’égalité les discours des autorités russes et les témoignages des victimes ukrainiennes, contribuant ainsi à brouiller les repères du public occidental

Propagande n’est pas donc seulement une radiographie glaçante du régime de Vladimir Poutine, mais aussi un appel urgent à la vigilance. Avec une prose percutante et une documentation irréprochable, Elena Volochine nous invite à réfléchir aux dangers d’une manipulation narrative qui dépasse les frontières russes pour s’insinuer dans les esprits du monde entier. Dans une prose incisive et vibrante, elle nous rappelle que résister aux séductions des récits simplifiés est une nécessité, pour défendre non seulement la vérité, mais aussi la liberté. Il s’agit d’un lecture essentielle pour comprendre les mécanismes profonds de la Russie contemporaine et les défis qu’ils posent au monde.

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