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L’Extrémisme n’est pas réservé aux radicaux

Par Stéphane François

Lors de la manifestation du Comité du 9 mai, ou antérieurement lors des manifestations dites « pour Lola », des groupes ont manifesté dans les rues avec virulence. Des journalistes se sont demandé si ces militants d’extrême droite étaient plus visibles qu’avant dans l’espace public. Il faut relativiser. Si l’on se place dans un temps plus long, les slogans racistes/xénophobes étaient présents dans les années 1960-1970, voire dans les années 1980 dans les groupes les plus radicaux. Ils se sont faits plus discrets dans les années 1980-1990, sans pour autant disparaître. Pensons, par exemple, au « Jour de colère » (2014) où retentirent des slogans antisémites.

Néanmoins, nous pouvons remarquer que les niveaux de tensions et violences ont augmenté, si l’on se place, là encore dans un temps plus long. Après une baisse dans les années 1990, la tension et la violence ont augmenté de nouveau dans les années 2000, à la suite du 11 septembre 2001, mais surtout après 2012, à la fois dans les actes (avec la multiplication des « actions » des structures identitaires) et dans la banalisation de leurs discours… Cela dit, il ne faut pas oublier que dans les années 1960-1970, des groupuscules comme Occident (dissolution en 1968) ou Ordre nouveau (dissolution en 1973) étaient connus pour des rixes de rues parfois très violentes… Nous sommes loin aujourd’hui de ce niveau.

Les réseaux sociaux et certains médias traditionnels ont joué un rôle important dans cette visibilité nouvelle. Mais il s’agit de deux stratégies différentes : les réseaux sociaux et les médias web servent à diffuser à faible coût les thématiques (ou la propagande) de ces groupuscules, compensant par leur suractivisme un nombre restreint de militants. Quant à certains médias plus mainstream, ils ont servi, et servent encore, de tribune à des essayistes comme Éric Zemmour qui a repris et banalisé les thématiques identitaires. Il faut préciser que cette radicalisation militante était déjà présente avant ces victoires, et les campagnes de Zemmour ont été des échecs. On peut d’ailleurs se demander si ces formations et personnes ne cherchent pas à suivre des militants de plus en plus radicaux, qui leur échappent.

Certaines chaines d’information en continu ont offert à ces discours des caisses de résonance, en accueillant ces militants ou essayistes sur leurs plateaux, voire en les recrutant… Elles ont eu une responsabilité dans la banalisation et l’exacerbation de ces discours. L’idée d’un « grand remplacement », conçu comme une « colonisation inversée », par exemple, s’est banalisé depuis plusieurs années… Des personnalités de droite ont repris des éléments de langage identitaire, voire certaines thématiques (immigration, discours sécuritaire, etc.). Ces idées sont déjà bien installées. En effet, depuis plusieurs mois, nous voyons les succès électoraux de différents partis d’extrême droite. Après les bons résultats du Rassemblement national en France, ceux des Démocrates de Suède, l’extrême droite est parvenue au pouvoir en Italie. Pour autant, peut-on parler de logiques identiques ?

Nous sommes en présence de projets politiques similaires et convergents. Ainsi, les différentes formations d’extrême droite insistent depuis une vingtaine d’années sur l’idée d’un « grand remplacement ». Il faudrait donc préserver l’identité blanche, tant sur le plan ethnique que culturel, du métissage et de la société multiculturelle. Cela a été formulé dans différents cadres théoriques : dans un premier temps, dans celui de la nation, puis, par la suite, dans celui de la civilisation, européenne (comprendre « blanche »). Elles estiment donc que, dans une planète mondialisée, l’avenir sera multipolaire et appartiendra aux grands ensembles civilisationnels capables de s’organiser en espaces autocentrés. C’est l’aspect similaire: le discours est identique . Une fois cela dit, il faut affiner l’analyse : comme chaque histoire nationale est particulière, cette convergence se fait dans un cadre propre à chaque pays, c’est l’aspect convergent. Ainsi, si toutes ces formations condamnent la société multiculturelle, l’ingérence de l’Union européenne, le « grand remplacement », etc., elles mettent en avant des thèmes propres aux valeurs, religions et cultures de ces pays, comme le catholicisme en Italie. N’oublions pas que l’extrême droite est présente en Italie depuis longtemps et que le MSI (Movimento sociale italiano), parti néofasciste, fondé en 1946, n’a disparu qu’en 1995…

Ces progressions peuvent être expliquées par différents facteurs : « culturels » (peur de l’immigration, d’affaiblissement de l’identité nationale, « grand remplacement », Islam, repli national et méfiance face à l’Union européenne..) et « sociaux » (inégalités, affaiblissement de la gauche et des syndicats, effets du néolibéralisme..). Néanmoins, si on met en avant tous ces éléments, il ne faut pas oublier que nous sommes dans l’un des rares moments où les discours de l’extrême droite, qui insiste depuis longtemps sur les thèmes précités, entrent en résonance avec les peurs des citoyens européens. Confinés initialement dans les franges les plus radicales de l’extrême droite, ces discours se sont progressivement diffusés à droite, et au-delà de celle-ci.

Aujourd’hui, l’immigré, ou le « migrant », est analysé comme un envahisseur, venu coloniser l’Europe et imposer ses pratiques cultuelles et culturelles jugées incompatibles avec la civilisation européenne. Ainsi, un candidat à l’élection présidentielle de 2022, pour prendre un exemple français, peut dire, sans que cela offusque l’opinion publique, que l’immigration serait un phénomène d’invasion de l’Europe par des populations non-européennes. Et le même, dans la foulée, insiste sur la grande fraternité des peuples d’Europe, sur sa patrie, la « Grande Europe ». On retrouve ce type de discours en Suède et en Italie, avec le même succès. De fait, les digues qui maintenaient l’extrême droite éloignée du pouvoir ont progressivement cédé durant les années 1990, en lien à la fois avec l’essor de la mondialisation (qui n’était pas « heureuse » pour une population qui subissait de plein fouet le néolibéralisme) et l’apparition d’un « péril islamiste/musulman ». Cette obsession identitaire est devenue un thème majeur pour ces formations. Ces questions ont trop longtemps été sous-estimées par certains observateurs. Il faut les prendre avec sérieux : le fond de l’air effraie…

Nonobstant, comme là aussi l’actualité l’a souligné, dans un environnement de déclin des partis politiques, et de défiance des classes populaires pour ceux-ci, le syndicalisme peut jouer un rôle majeur en formant ses adhérents, en permettant de donner une formation théorique et militante. Cela dit, il y a malheureusement également un désintérêt des classes populaires pour le syndicalisme, en lien avec une modification profonde du fonctionnement de la société comme l’uberisation ou la précarisation du monde du travail, les évolutions sociales (comme l’essor de l’individualisme) ou culturelles. Enfin, il ne faut pas oublier que les différentes formations d’extrême droite tentent ou ont tenté de créer des syndicats, sans compter les tentatives de syndicats nationalistes au début du XXe siècle (les « Jaunes »)… Le syndicalisme peut aussi être un vecteur de diffusion de ces idéologies. Pour l’instant, ces différentes tentatives ont été des échecs, et certains syndicalistes, ayant évolué vers l’extrême droite, ont été exclus de leur organisation. Pour combien de temps encore ?

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