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« Le FN répond à la définition historique de l’extrême droite »

jean marie le pen 40 ans de flamme FN source siteFNReprise d'un chat modéré par Abel Mestre et Caroline Monnot, entre Nicolas Lebourg et les lecteurs du Monde, 6 décembre 2012, à propos de la parution de Dans l'Ombre des Le Pen  Cinna : Le FN aura-t-il un jour à sa tête quelqu'un qui ne fait pas partie de la famille Le Pen ? Nicolas Lebourg : Pour l'instant, la marque Le Pen est indispensable à l'homogénéité du parti et à son électorat. Toutes les tentatives de construction d'un autre parti ou bien d'un appareil dépendant des cadres du Front national ont échoué. Historiquement, la figure du tribun est indispensable à l'alchimie du national populisme.

HGAZ : Le FN a-t-il changé ou évolué ?

Vaste question. Ses fondamentaux demeurent ceux du national-populisme qui existe depuis 130 ans dans notre vie politique : dénonciation des élites, apologie du peuple sain, etc. En revanche, il est extrêmement plastique au niveau du programme (économie, etc.). Il s’agit plus d’une vision du monde que d’une doctrine.

Gregorious : D’après vous, est-il juste de considérer que le virage socialisant du FN, amorcé par Marine Le Pen dès son intronisation à la tête du parti, est lié au bref passage d’Alain Soral dans ses rangs ?

Non. Tous les numéros 2 du Front national, hormis Bruno Gollnisch, ont plaidé pour un créneau social. La transformation de la sociologie électorale du Front national à partir de 1995 a rendu ce virage obligatoire selon le vieux principe « il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef ».

Néon : Quelle sera selon vous la prochaine étape que devra franchirMarine Le Pen pour se crédibiliser ?

C’est la même question depuis quarante ans, avec la même réponse : pour se crédibiliser, il faut des notables locaux. Ceux-ci sont nécessaires, paradoxalement, pour se présidentialiser. Le Parti communiste peut faire figure d’exemple avec, longtemps, ses municipalités et son tribun charismatique. Par ailleurs, les élections locales rendent plus aisées des alliances à la base avec la droite.

Visiteur : Quelle est la place du FN dans l’opposition contre l’exécutif PS aujourd’hui? Est-il audible? A-t-il des réponses sérieuses?

Dans la cacophonie actuelle des droites, le Front national a le mérite d’avoir un discours global : une souveraineté nationale, identitaire et sociale. Cependant, au vu des enquêtes d’opinion, la préférence nationale est un thème qui motive son électorat mais qui ne parvient pas encore à être crédible pour l’essentiel de nos concitoyens.

Gregorious : L’ascension rapide de Florian Philippot est-elle la résultante du manque de cadres formés dans l’appareil du FN ?

Le FN, depuis trente ans, a ce complexe d’infériorité qui l’amène à vouloir « se professionnaliser ». C’est ainsi que tout en dénonçant l’énarchie, sa présidente a pris pour bras droit un énarque qui lui permet de se dire qu’elle peut répondre aux questions techniques. Néanmoins, on a constaté, début 2012, que lorsqu’elle limitait son discours à la politique monétaire, elle baissait dans les sondages.

Ben : Le FN ne devrait-il pas quitter ses idées anti-européennes pouravoir de vraies chances d’arriver au pouvoir ?

Au contraire, sa force est de représenter un discours cohérent de défense de tous les aspects de la souveraineté. Sur le marché politique, il est le seul àoccuper ce créneau.

Néon : Existe-t-il des circonstances politiques qui pourraient pousser la droite traditionnelle à faire alliance avec le FN ?

Le but de la politique, c’est le pouvoir. Le reste est littérature. Il y aura une forte tentation de retrouver le scénario de 1998 où les droites ont tenté d’imposer localement à leur appareil national des alliances avec le FN. Par ailleurs, la direction de l’UMP se sera-t-elle relégitimée d’ici-là ? Enfin, il est possible que, comme en 1984, une partie de l’électorat de droite aille voter FN pour « punir » la droite. Cela ouvre une fenêtre.

Cinna : Les jeunes comme Marion Maréchal ont-ils vraiment leur mot àdire au FN ?

L’exemple que vous prenez est significatif : Marion Maréchal Le Pen, car Le Pen a bien sûr un rôle particulier. En revanche, le Front national de la jeunesse (FNJ) ne pèse pas d’un grand poids à l’intérieur du parti. Il a su, jadis, servir de laboratoire.

Gregorious : Le FN propose la nationalisation de Peugeot et d’Arcelor Mittal, le FN est-il désormais plus à gauche que le PS ?

D’abord, vous savez, le gouvernement de Vichy intervenait plus économiquement que celui du Front populaire. Donc le critère de l’intervention économique n’est pas celui qui fait tout dans le clivage droite-gauche. Richard Nixon disait: « Nous sommes tous des keynésiens. » Il n’était pas à gauche du PS. En somme, le moyen est à différencier de la fin.

Greg : Le fait que, dans l’entourage de Marine Le Pen, Gilbert Collard soit franc-maçon et Michel Thooris, un fervent défenseur d’Israël, ne constitue-t-il pas une rupture avec la tradition nationaliste ?

Au Front national d’aujourd’hui, on peut effectivement venir en étant franc-maçon, juif ou gay. On est dans cette évolution européenne du populisme où l’on défend une posture libérale contre « le totalitarisme islamiste ». Le Front national relève ainsi d’un comportement dit post-moderne (on fait son marché et son bricolage idéologique et identitaire) en fustigeant cette déconstruction sociale qu’est la post-modernité. Cette dernière devient, dans son discours, un effet de la présence de populations d’origine arabo-musulmane.

Juju : Quelle est la principale différence entre le FN version Jean-Marie et le FN version Marine ?

La grande différence entre les deux, c’est le refus de revenir sur ce qui a trait à la seconde guerre mondiale. Mais il faut voir que, comme d’habitude, le FN ne fait ainsi que retranscrire une évolution sociale. Les polémiques mémorielles aujourd’hui ont surtout trait à la guerre d’Algérie, à la colonisation. L’ensemble de la société française est sortie de l’obsession de Vichy.

Visiteur : La crise frappant actuellement l’UMP a-t-elle des conséquences directes pour le FN ?

Le Front national surjoue le nombre de transferts d’adhésion. Cependant, à ce rythme, la décomposition de l’UMP lui permet de se crédibiliser en retour. Surtout, en cas de division de la droite, il sera tentant pour une part dure de celle-ci d’aller chercher alliance avec le FN pour que celui-ci amène dans la corbeille un discours socialisant, parlant à l’électorat populaire.

ElChe : Y a-t-il encore des monarchistes au FN ?

Le principe du FN, à sa création en 1972, était d’allier toutes les chapelles. Mais depuis la prise de pouvoir par Marine Le Pen, on assiste à une homogénéisation. C’est d’ailleurs sur ce motif qu’un ancien numéro 2 comme Carl Lang a fondé un nouveau parti devant reprendre ce principe de l’alliance de tous les courants.

Julien-Alfred : Peut-on toujours qualifier le FN de parti d’extrême droite? Et pourquoi ?

Extrême droite est un terme que les gens d’extrême droite ont toujours refusé. Il s’est imposé dans le débat public français après 1917. Le courant auquel se rattachent les Le Pen existe idéologiquement depuis les années 1880. Le problème est que l’on fait d’un segment structurel de la vie politique française un marqueur moral. Cela n’a aucun rapport. Le FN demeure en toute chose un parti qui correspond à la définition historique de l’extrême droite. Ni plus ni moins.