Greta Thunberg décryptée par la « pop culture »

Source : Utopia, Channel4.
Par Marc Gauchée
Le 23 juillet 2019, Greta Thunberg a été invitée à l’Assemblée nationale pour porter son discours sur l’impératif à agir contre le changement climatique. La démarche de l’adolescente, tant par sa médiatisation, son écho que son autisme, a suscité plusieurs critiques.
Les Républicains furent les plus prolixes. Julien Aubert, député du Vaucluse, l’a qualifiée de « prophétesse en culottes courtes », lui attribuant le « Prix Nobel de la peur » (@julienaubert84, 21 juillet 2019). Jean-Louis Thieriot, député de Seine-et-Marne, a reconnu une « infantilisation obscurantiste » (@JLThieriot, 12 juillet 2019). Quant à Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône, elle dénonça son choix de quitter l’école pour se consacrer à la cause du sauvetage de la planète : « On peut se demander si c’est aux enfants de faire de la politique mais il y a une certitude, Greta Thunberg, pour changer le monde, il faut aller à l’école ! » (@valerieboyer13, 14 juin 2019) et la qualifia, ensuite d’« ado sous emprise » (@valerieboyer13, 13 juillet 2019). Enfin, Guillaume Larrivé, député de l’Yonne la qualifia de « Gourou apocalyptique » (@GLarrive, 20 juillet 2019).
D’autres se sont interrogés sur le contenu du discours de Greta Thunberg. Ainsi. Bénédicte Peyrol, députée La République en marche de l’Allier, a rappelé qu’« utiliser le manichéisme du Bien contre le Mal est bien trop simple pour agir dans un monde complexe » (@B_Peyrol, 21 juillet 2019). Isabelle Attard, ex-députée écologiste du Calvados, avait écrit, bien avant la venue de l’adolescente à l’Assemblée nationale, que « le capitalisme vert utilise Greta Thunberg » (reporterre.net, 9 février 2019). Pascal Bruckner qualifie même le discours des « jeunes gens pour le climat » de « véritable exercice de ventriloquie » (lefigaro.fr, 10 avril 2019).
« Tu as un idéal, c’est très bien. Mais il y a des réalités ! »
Il ressort de ces nombreuses critiques une difficulté à nommer le phénomène. Comme quand Emmanuel Macron commença à émerger, les parlementaires et les publicistes tentent de définir la nouveauté en ayant recours à des catégories politiques connues. À ce titre, il est peut-être plus éclairant de remonter à quatre sources issues de la « pop culture »…
D’abord Greta Thunberg est une enfant qui fait la leçon aux grandes personnes. Or le cinéma avait déjà présenté ce « scandale ». En 1992, Coline Serreau avait montré des enfants qui envoyait dans les poubelles de l’histoire la façon de penser d’un député. Dans La Crise, une scène montre en effet le député socialiste Laville qui habite une gentilhommière, est marié et a deux enfants. Ce sont ses enfants, Sarah (Pénélope Schellenberg) et Olivier (Max McCarthy) qui, en cachette, jettent le repas du soir car, écologistes, ils sont sensibles à la diététique. Le député Laville explique alors à son fils : « Je suis député d’un département agricole ! Est-ce que tu peux imaginer ce qui se passerait si la presse de droite apprenait que, chez moi, on jette le bœuf, le foie gras et le vin à la poubelle ? », « Tu as un idéal, c’est très bien. Mais il y a des réalités économiques derrière la pollution. Il y a des éleveurs, il y a la concurrence ».
Ensuite il est insupportable aux parlementaires comme aux publicistes d’entendre une enfant décrire la catastrophe qui nous attend à l’avenir, car cela signifie que tous ces grands « experts » ont été incapables de la prévenir. Là, il faut remonter en 1951 dans Le Jour où la terre s’arrêta (The Day the Earth Stood Still de Robert Wise). C’est, espérons-le, ce film et non l’autisme de la jeune fille, qui a inspiré Michel Onfray sur son blog : « Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion – ni sourire ni rire, ni étonnement ni stupéfaction, ni peine ni joie. Elle fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du posthumain. Elle a le visage, l’âge, le sexe et le corps d’un cyborg du troisième millénaire : son enveloppe est neutre » (« Greta la science ? », michelonfray.com, 23 juin 2019).
Le film de Robert Wise met en scène un extra-terrestre nommé Klatu (Michael Rennie) qui vient mettre en garde les Terriens sur leurs tendances destructrices devenues insupportables pour les autres habitants de l’univers : « L’univers est plus petit chaque jour, et la menace d’une agression, d’où qu’elle vienne, n’est plus acceptable. La sécurité doit être pour tous ou nul ne sera en sécurité. Cela ne signifie pas renoncer à la liberté mais renoncer à agir avec irresponsabilité. Vos ancêtres l’avaient compris quand ils ont créé les lois et engagé des policiers pour les faire respecter ».
Ajoutons, côté catastrophisme, que Greta Thunberg relève aussi un peu de Philippulus, le prophète de L’Étoile mystérieuse (d’Hergé, 1942) qui parcourt la ville en annonçant la prochaine fin du monde.
Enfin, côté grande et belle cause à laquelle personne ne peut s’opposer, elle est aussi comme ces candidates Miss dont la vague ambition était résumée par Helmut Fritz dans une chanson de 2009 (Miss France). À la question : « Que voulez-vous faire plus tard ? », la candidate répondait : « Le bien autour de moi, Jean-Pierre ». En venant s’adresser aux parlementaires français avec comme objectif de leur exposer pourquoi il est urgent d’infléchir leur politique, elle fait preuve, comme le doit une candidate Miss, à la fois de respect pour l’institution parlementaire et de naïveté.
C’est la diversité de ces sources imaginaires qui fondent la difficulté à nommer Greta Thunberg. Car elle est à la fois Sarah et Olivier Laville qui ont beaucoup lu avant de devenir écologistes ; Klatu l’extra-terrestre développant ses arguments rationnels ; Philippulus l’insupportable porteur de mauvaises nouvelles et ces apprenties Miss qui, par leur naïveté et leurs grandes causes, suscitent le sourire amusé voire le mépris des « grandes » personnes.