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Le Pen[s]

surreal-photography-kevin-corrado-12Bisbilles entre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen, échec de celle-ci à fonder un groupe au Parlement européen : Jean-Yves Camus, Sylvain Crépon et Nicolas Lebourg ont répondu tour-à-tour aux questions du Figaro quant à l’actuelle phase du FN. Nous rassemblons ci-dessous ces trois échanges : 

LE FIGARO. – En conflit ouvert avec son père depuis quinze jours, Marine Le Pen l’a fermement recadré mercredi, affirmant que c’est elle «et non plus lui» qui est «chargée de l’avenir» du Front national. La voix de Jean-Marie Le Pen porte-t-elle encore au FN?

Jean-Yves CAMUS – Jean-Marie Le Pen a encore un poids au sein du FN, lié à sa personnalité et à son parcours. On le constate même chez des militants qui assurent ne pas avoir voté Front national lorsqu’il en était le président, mais qui disent avoir une reconnaissance envers lui pour ce qu’il a fait pour le parti. C’est lui qui a sorti le Front de sa marginalité et en a fait la troisième force politique de France. Pour autant, le rapport de force est aujourd’hui en faveur de Marine Le Pen. Face à ça, que peut faire son père si la fronde ne se calme pas? Il pourrait partir ou fonder un nouveau mouvement. Mais est-ce raisonnable à près de 90 ans? Il n’y a en tout cas pas d’espace politique pour deux formations comme le FN, comme en attestent les différents essais ratés après la scission mégrétiste de 1998. Jean-Marie Le Pen peut aussi faire en sorte de saborder le congrès de novembre ou faire monter un candidat sur une autre ligne que sa fille. Mais, là encore, on aurait sans doute un résultat équivalent à celui du congrès de janvier 2011. Marine Le Pen l’avait alors largement emporté face à Bruno Gollnisch.

Le FN a-t-il besoin de lui électoralement ou Marine Le Pen peut-elle prendre le risque de s’en séparer?

Le Front national a sans doute de moins en moins besoin de lui en termes de capacité électorale. Si Marine Le Pen le mettait définitivement à l’écart, cela ne créerait pas de gros dommages dans l’électorat. Cela pourrait même faciliter un transfert de vote à droite, pour tous ceux qui étaient jusque-là repoussés par le personnage du patriarche.

Mais il paraît quand même nécessaire que père et fille se rabibochent pour éviter que l’ascension du FN ne soit abîmée par leur brouille. En fait, imaginer le parti sans Jean-Marie Le Pen de son vivant reste quand même très compliqué. Sans oublier l’aspect filial de cette affaire: Marine Le Pen est la fille du président d’honneur du parti. Cela rend forcément les choses plus difficiles.

Jean-Marie Le Pen affirme cette semaine dans Paris Match que l’extrême ne lui «fait pas peur». Le Front national version Marine Le Pen doit-il garder une part d’extrême?

Le FN a besoin de se démarquer constamment du système «UMPS» pour exister. S’il est affadi et n’apparaît plus que comme un parti situé à la droite de l’UMP, il va perdre de son attraction, qui vient de sa capacité à transgresser différents codes comme le dogme de la démocratie représentative, le politiquement correct ou le fait qu’il soit le seul à prôner une sortie de l’UE. Le FN a donc besoin de sa radicalité, mais en même temps il la paye. Tout est donc une question d’arbitrage entre le coût de cette radicalité et le gain de la normalisation.

LE FIGARO. Dans une interview au site Valeurs Actuelles Marine Le Pen propose à Jean-Marie Le Pen, s’il s’oppose à sa ligne, de la «contester» lors du congrès de novembre. Ce scénario est-il crédible? Jean-Marie Le Pen lui-même peut-il poser sa candidature?

Nicolas LEBOURG Nul ne peut imaginer que Jean-Marie Le Pen se comporte comme un cadre lambda, comme l’y appelle sa fille. Il considère que c’est lui et lui seul qui a ressuscité sa famille politique, en cela il se reconnaît un rôle historique: il ne va pas s’abaisser à ce comporter comme un jeune cadre. La lettre que Jean-Marie Le Pen a adressé à Marine Le Penétait assez humiliante: il lui envoie à Saint-Cloud, lui rappelant qu’elle vit chez lui, et use d’un vocabulaire nécessitant une forte culture classique, qu’elle n’a pas. Elle lui répond en l’humiliant en retour, en lui signifiant qu’il ne serait qu’un encarté comme un autre. Les congrès du Front national ont souvent été l’occasion de mesurer les rapports de force entre courants et chefs de chapelle. Mais, même à l’époque Mégret où toute la question était de peser camp des lepénistes et camp des mégretistes, affronter directement et ouvertement un président du FN en congrès est une gageure.

Comment ce congrès peut-il se passer concrètement?

Jusque là, la question essentielle était de savoir quelles onctions de la base recevraient Florian Philippot et Marion Maréchal-le Pen. De nombreux cadres avaient probablement envie d’en découdre avec le premier, mais il a su incontestablement travailler pour améliorer son image interne. Le leadership de Marine Le Pen ne saurait être en jeu après les succès des municipales et des européennes. Il y avait eu l’idée de découpler les responsabilités, qu’elle laisse la présidence du parti pour avoir une image plus large en 2017. Mais est-ce qu’un Le Pen lâche un poste? Le père a répondu non pour la présidence d’honneur, qu’il la conservait à vie. D’où, selon le journalMinute, un autre scénario envisagé: la disparition du FN au profit du Rassemblement Bleu Marine. Trois ans avant la présidentielle, Jean-Marie Le Pen serait momifié en président d’honneur d’un parti ayant existé de 1972 à 2014. Mais la disparition du FN au profit d’une autre marque, afin de le détacher de l’histoire de l’extrême droite radicale (le FN a été fondé par des néofascistes, un ancien milicien, un ancien Waffen-SS et c’est quelque chose que les opposants au FN rappellent périodiquement), on en parlait déjà dans les années 1970…

Quel est le rapport de force au sein du parti? Jean-Marie Le Pen bénéficie-t-il encore d’un pouvoir de nuisance? Dans quelle mesure?

Celui qui a le pouvoir c’est celui qui se créé des obligés et des clientèles. Il y a des militants qui sont aujourd’hui des élus: ils le doivent à Marine Le Pen. Or, il faut bien voir que quand Jean-Marie Le Pen fait de sorties du même genre que «le détail», le résultat est terrible pour les élus FN. Du jour au lendemain il se retrouvent totalement ostracisés dans les conseils où ils étaient élus. Ils ont donc tout intérêt à appuyer la présidente. On parle d’ailleurs de la sortie des vice-présidents historiquement proches de Jean-Marie Le Pen: Marie-Christine Arnautu et Alain Jamet pourraient rendre leurs tabliers (et, en tous cas, on en parle, ce qui est encore une manière de marquer que le jeune génération remercie certes ses aînés mais qu’elle estime qu’il est temps que se fasse le relais). Quant aux militants il sont environ 60 000 contre moins de 15 000 en 2009, et près de 30% sont des jeunes. Ils sont donc là pour Marine bien plus que pour Jean-Marie. Après, ce dernier ne doit pas être sous-estimé. C’est un animal politique hors-pair et à la longue mémoire. Poussera-t-il Marion Maréchal, etc.? On revient au côté feuilletonesque de la saga Le Pen.

Marine Le Pen semble désormais se situer clairement dans l’après Le Pen. Une page de l’histoire du FN est-elle tout simplement en train de se tourner?

Elle est concentrée sur 2017. Autant la rénovation du FN était parfois un story-telling au départ, autant il est vrai que le parti a changé ces derniers temps. Dans son interview à Valeurs actuelles Marine Le Pen tend encore une fois la main aux Français juifs. Le FN mariniste première manière faisait le lien entre la tradition national-populiste du père et le néo-populisme bien représenté par le Parti de la Liberté aux Pays-Bas: une extrême droite qui se présente comme défendant les libertés face au «totalitarisme islamiste» qui se répandrait sur la base des quartiers à forte population immigrée. Cette phase hybride me paraît trouver son achèvement au bénéfice d’une offre de souverainisme intégral qui promet une protection économique (protectionnisme «intelligent»), sociale («préférence nationale»), culturelle (néo-laïcisme) contre la globalisation économique, démographique, culturelle, etc. C’est un programme qui a le mérite d’une très forte cohérence, et qui correspond aux attentes protectionnistes et unitaristes de l’électorat français.

Cette crise peut-elle être finalement salutaire pour Marine Le Pen?

Elle prend tout de même un risque: la délepénisation de l’extrême droite. Elle lève le tabou du lien entre Le Pen et FN car elle est en excellente position pour 2017. Mais si elle devait échouer à faire mieux qu’en 2012 elle aura pris le risque de pouvoir s’entendre dire que c’est le lepénisme le problème… Les numéros deux ont toujours vocation à vouloir devenir des numéros un… Elle n’aura pas, comme Jean-Marie Le Pen, le droit de se présenter cinq fois à la présidentielle, d’autant que se constituent des réseaux et clientèles internes à chaque succès électoral. Si elle réussit à mener son équipage à bon port, il louera sa stratégie. Sinon, ils pourront parodier Lénine et lui dire qu’elle leur a vendu la corde pour la pendre.

LE FIGARO – Contrairement à son objectif, la présidente du FN, Marine Le Pen, n’a pas réussi à constituer un groupe au Parlement européen. La récente sortie controversée de son père et le conflit familial qui s’en est suivi ont-ils pu jouer un rôle dans cet échec?

Sylvain CRÉPON Je ne pense pas car ce n’est pas le Front national qui est en jeu dans cette affaire. D’après les premiers éléments, le parti néerlandais de Geert Wilders, le Parti de la liberté (PVV), n’a pas voulu s’allier avec le parti polonais Congrès de la nouvelle droite (KNP), ce qui a fait échouer les négociations. Ce n’est donc pas le FN qui est en cause. Surtout que Marine Le Pen a été suffisamment adroite pour marginaliser son père afin que ses propos surune «fournée» d’artistes hostiles au parti et son comportement ne mettent pas en danger sa stratégie d’alliance.

Marine Le Pen va-t-elle pâtir de cette absence de groupe au niveau européen?

Appartenir à un groupe n’aurait pas changé beaucoup de choses pour le FN. Certes, c’est un échec indéniable. D’autant plus que le parti, avec ses 23 élus, aurait pu être le leader des députés antieuropéens d’extrême droite. Mais ce n’est pas dramatique, car le Front national va tout de même se servir du Parlement européen comme d’une caisse de résonance pour promouvoir ses idées. L’alliance avec le Néerlandais Geert Wilders aurait par ailleurs été difficile sur le fond. Car s’ils se retrouvent autour de la même islamophobie, ils ont d’importantes divergences idéologiques, notamment sur le plan économique.

Cette affaire peut-elle avoir un impact au niveau national?

Pas vraiment, car la vraie dynamique pour le parti, c’est son résultat aux élections européennes. Sa victoire, ce sont les 24 députés (23 depuis la dissidence de Joëlle Bergeron qui a rejoint l’Ukip anglais, NDLR) obtenus le 25 mai. Cela a constitué un tel séisme dans le pays que ces tractations bruxelloises apparaissent maintenant secondaires. Elles n’auront aucun impact sur les résultats du FN aux prochaines élections.

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