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Caractériser le terrorisme

Première parution : Nicolas Amadio et Stéphane François, « Terrorisme. Eléments de caractérisation », fiches outils ProREV, 2024.

D’emblée, il est nécessaire de préciser que le terrorisme et un concept-valise polémique. Les spécialistes tentent de le définir depuis la convention de Genève de 1937. Le terme « terrorisme » apparaît pour la première fois en France en novembre 1794 pour désigner un « système de terreur » exercé par l’État contre une partie de sa population, dans un contexte de guerre civile et de conflits aux frontières. Dans ce premier sens, il s’agit d’un mode d’exercice du pouvoir de l’État, et non d’un moyen d’action contre lui. Le sens du mot évolue progressivement le siècle suivant pour désigner une action contre l’État. Cette notion voit sa signification évoluer au cours du XIXe siècle pour décrire une violence, perçue comme « asymétrique », commise par des acteurs tendant à déstabiliser un ordre politique ou social. C’est le cas, par exemple des actions des indépendantistes irlandais, désignés comme « terroristes » en 1866. Mais, c’est à partir des années 1880, que ce glissement sémantique devient opératif avec l’irruption dans le champ politique de l’activisme anarchiste et de la théorie de la « propagande par le fait » qui vient alors supplanter la propagande verbale et écrite.

S’il n’est pas un phénomène nouveau et possède une socio-histoire avec la construction des Etats nations (Alix, Cahn, 2021) et plus particulièrement avec la construction de l’État français, le domaine des terrorism studies s’est considérablement développé depuis l’attaque du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis (Silke, 2001, 2008). A la suite du 09/11, les terrorism studies ont bénéficié d’un soutien financier et institutionnel considérable aux Etats-Unis et plus largement à l’international. La nécessité de ces développements s’est confirmée les années suivantes, les menaces et les attaques terroristes s’étant accrues jusqu’à constituer un enjeu majeur pour les États européens.

De nombreux ouvrages et articles scientifiques ont été publiés et des différentes bases de données ont été créées afin de permettre de suivre l’évolution des attaques et des menaces (parmi les plus importantes : American Terrorism Study (ATS), Extremist Crime Database Database (ECDB), Global Terrorism Database (GTD), International Terrorism: Attributes of Terrorist Events (ITERATE), RAND Memorial Institute for the Prevention of Terrorism (RAND-MIPT), Minorities at Risk Organizational Behavior (MAROB)).

L’accumulation de données quantitatives et d’observations qualitatives a contribué à l’autonomisation du domaine, disposant de revues de références (Critical Studies on Terrorism, Perspectives on Terrorism, Studies in Conflict and Terrorism, Terrorism and Political Violence) et de handbook régulièrement réédités (Routledge Handbook of Terrorism and Counterterrorism, Oxford Handbook of Terrorism) qui transcendent les appartenances disciplinaires. De nombreuses approches ont émergé, constituant peu à peu des sous-domaines de spécialités. Les débats entre ces derniers sont récurrents, notamment quant à la définition du terrorisme. S’il n’existe pas de définition précise, il y a des consensus sur son contenu. Le terme est fréquemment employé en droit international et par les institutions internationales, mais il ne donne pas lieu à une définition unique et universelle. Pour autant, l’Unesco le définit en 2017, reprenant une définition de l’ONU de 2003, comme

« tout acte commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa nature ou son contexte, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire » (Unesco (2017). Les médias face au terrorisme. Manuel pour les journalistes. Paris : 20).

L’Union européenne a établi une liste des groupes et organisation qu’elle considère relever du terrorisme. Son contenu frappe par son hétérogénéité : cela va de groupuscules de quelques dizaines de militants à des organisations d’échelle internationale ; de revendications locales à des idéologies cherchant à détruire l’Occident ; de groupes sans appuis social à d’autres qui trouvent des échos dans des sociétés. Cette difficulté à le définir est lié à son caractère éminemment politique. En outre, ce terme est disqualifiant et souvent instrumentalisé par l’État, délégitimant celui qui s’en trouve affublé. De ce fait, peu d’acteurs l’acceptent, lui préférant des qualificatifs positifs comme « résistant », « combattants de la liberté », parfois « nationalistes », « révolutionnaires » ou « fondamentalistes ».

Sommier (2000) recense ainsi pas moins de 109 définitions du terrorisme et l’existence d’une trentaine de critères distincts permettant de caractériser un acte terroriste. Nous retiendrons six points principaux : 1 / la finalité politique ; 2 / l’usage de la terreur ; 3/ un répertoire d’action singulier (attentats, prise d’otage, destructions de biens, détournement d’avion, etc.) ; 4 / l’action indirecte ; 5 / l’atteinte à l’État ; et enfin 6 / l’indiscrimination violente. Enfin, le terrorisme est intimement tributaire du développement des médias modernes, ceux-ci servant de relais à l’action terroriste en diffusant massivement l’action commise.

De son côté, Dory (2020 : 127-128), propose de retenir trois sous-domaines qu’il nomme des « strates définitionnelles » :

  • La strate polémique (qui permet de désigner un ennemi abject et absolu [et place l’étude du terrorisme au niveau des intérêts étatiques notamment]).
  • La strate juridique (qui vise à qualifier et à réprimer des actes et des comportements).
  • La strate scientifique, dont la vocation consiste à dégager les spécificités du terrorisme parmi les autres formes de violence (principalement politique), et rendre compte de ses conditions, manifestations et conséquences de tous ordres.

La distinction de ces trois approches permet de rendre compte de la structuration d’un domaine qui peine à s’accorder sur une définition de son principal objet (Richards, 2019). Toutefois, on peut retenir avec Striegher (2015 : 81) que

« Toutes les définitions sont cohérentes en ce sens qu’elles stipulent que le terrorisme est l’acte physique ou la menace d’un acte, l’utilisation ou la menace de la violence pour faire avancer une cause politique, religieuse ou idéologique. Elles présentent toutes des similitudes caractéristiques avec les définitions de l’extrémisme violent, en ce sens que les motivations sont généralement de nature politique, religieuse et/ou idéologique. Là où l’extrémisme violent est identifié comme une idéologie qui accepte la violence, le terrorisme peut être considéré comme l’acte » (notre traduction).

Cette définition, relativement large, permet de mettre en perspective le caractère « implicatif » voire « intentionnel » d’une acception opératoire du terrorisme qui met à distance la violence mise en acte. Ainsi, soulignent Horgan et Boyle (2008 : 57) : « Le terrorisme est mieux compris comme un sous-ensemble de la violence politique, utilisé par une série d’acteurs pour attaquer d’autres acteurs, mais avec l’intention de répandre la peur au-delà de sa cible immédiate ». L’intention de semer la terreur constitue une caractéristique principielle du terrorisme. La puissance de l’acte terroriste réside moins dans les conséquences directes de la force physique déployée sur des cibles que dans l’impact émotionnel qu’il suscite au-delà.

On entendra ainsi par terrorisme une forme d’action violente dont l’intention fondamentale réside dans l’onde de choc qu’elle suscite dans un collectif social et qui se manifeste par l’implication (ou l’intention d’une implication) dans quatre catégories d’activités retenues par Borum (2015 : 64) :

  • 1. Action directe, impliquant une participation directe à des attaques terroristes contre des cibles humaines.
  • 2. Soutien opérationnel, qui peut impliquer la planification et le soutien sur place d’attaques ou la préparation d’armes, de substances létales et d’explosifs destinés à être utilisés dans des attaques contre des cibles humaines.
  • 3. Soutien organisationnel, impliquant des activités telles que le repérage, le recrutement, la collecte de fonds, la diffusion d’informations et la stratégie médiatique.
  • 4. Le soutien logistique, qui comprend à la fois des activités de soutien telles que la fourniture d’argent, de nourriture ou d’hébergement, et des formes moins directes de soutien opérationnel telles que l’acquisition ou la fourniture de faux documents ou de fausses pièces d’identité, d’équipements de communication ou de moyens de transport.

Il reste que, malgré les caractéristiques ainsi identifiées de la violence terroriste, les difficultés à la distinguer d’autres formes de violence demeurent. C’est le cas notamment des violences portant des similarités parfois importantes comme l’insurrection, ou des violences liées à la criminalité organisée (Neumann et Smith, 2008 ; Schmid, 2011). Certaines recherches vont utiliser le terme terrorisme comme un qualificatif permettant de catégoriser des mouvements, des idéologies ou des groupes extrémistes violents. Mais sur quels critères considérés ces derniers comme terroristes ? Peut-on réduire leur terrorisme à une forme de motivation unique, religieuse, politique, nationaliste ou ethnique ? L’absence de définition commune et explicite constitue l’une des principales critiques adressées par le courant des critical terrorism studies aux approches classiques du terrorisme. Cependant, comme le soulignent Horgan et Boyle (2008 : 56) dans un article mettant en perspective le caractère autocritique du domaine des terrorism studies :

« Il n’existe pas de définition unique, car les spécialistes du terrorisme sont bien conscients qu’il s’agit d’un concept inéluctablement normatif, sujet à des jugements de valeur. Il n’est pas possible de comprimer un concept et un phénomène aussi divers et conceptuellement provocateur que le terrorisme dans la définition précise que les défenseurs des CTS estiment nécessaire pour que les « études sur le terrorisme » soient validées. L’absence d’une définition claire et acceptée est loin d’être essentielle au développement conceptuel ».

De fait, les objectifs de l’action terroriste sont multiples. Ils peuvent relever :

  • De la vengeance (volonté de venger des exactions dont les ennemis seraient responsables).
  • De la dissuasion (pour que la population terrorisée fasse pression sur son gouvernement).
  • De la propagande (pour frapper les esprits).
  • De la provocation (pour pousser un gouvernement à surréagir).

Ces actions terroristes peuvent être motivées par des raisons séparatistes/indépendantistes (guerres de décolonisation), idéologiques (politique) ou religieuses. Cette dernière catégorie comprend les phénomènes sectaires (secte japonaise Aum Shinrikyō et ses attaques au gaz sarin au Japon, entre 1989 et 1995). Ces différentes motivations se combinent aisément. C’est le cas, par exemple, du terrorisme islamiste, religieux donc, mais qu’on peut rapprocher idéologiquement d’une extrême droite de type contre-révolutionnaire. Enfin, le terrorisme peut être lié à une organisation (Brigades rouges, Daesh, etc.), mais également individuel, motivé par la volonté de montrer l’exemple. La propagande par le fait révolutionnaire de la fin du XIXe siècle et le début du suivant, ainsi que les accélérationnistes d’extrême droite relèvent de cette catégorie. Anders Behring Breivik et Brenton Tarrant sont de bons exemples de la seconde tendance. Les organisations terroristes sont issues de groupes de militants qui considèrent que l’action partisane est insuffisante. Ils choisissent de basculer dans la clandestinité, se coupant des populations civiles, pensant que la violence aura par elle-même des vertus pédagogiques de mobilisation. Cette violence se retourne, de ce fait, contre les populations, incapables de comprendre les bienfaits de ces actions. Les années de plomb italiennes (1969-1981) en sont un bon exemple. Cependant, dans certains cas, la rupture n’est pas totale. Dans ce cas, la violence est calculée et vise à faire pression sur l’État pour obtenir des concessions. Le risque réside alors dans les plus radicaux.

Finalement, l’utilisation du qualificatif terroriste comporte deux limites importantes. Ces limites expliquent pourquoi on préférera se référer le plus souvent à la notion d’extrémisme violent plutôt qu’à celle de terrorisme :

  • D’une part, l’usage du terme terroriste tend à identifier des acteurs individuels et collectifs à une forme de violence dont la charge émotionnelle qu’elle suscite écrase les dimensions conflictuelles et politiques de leur rapport à la violence.
  • D’autre part, qualifier des acteurs individuels ou collectifs de terroristes peut avoir pour effet d’invisibiliser d’autres acteurs extrémistes potentiellement violents en se concentrant sur ceux qui sont identifiés prioritairement en termes de menaces et de risques par les Etats.

Les études consacrées au terrorisme se voient ainsi souvent reprochées d’être trop orientées par les intérêts étatiques. Poursuivant l’objectif de développer des réponses efficaces en matière d’antiterrorisme, elles passeraient sous silence des formes d’extrémismes violents qui ne retiennent pas l’attention immédiate des Etats, comme l’extrémisme d’ultra-droite ou le terrorisme d’Etat.

  • S’il n’existe pas de définition précise, il y a des consensus sur son contenu.
  • Le terrorisme peut être défini comme une forme d’action violente dont l’intention réside dans l’onde de choc qu’elle suscite dans un collectif social et qui se manifeste par l’implication (ou l’intention de) dans quatre catégories d’activités (action directe, soutien opérationnel, soutien organisationnel, soutien logistique).
  • Là où l’extrémisme violent est identifié comme une idéologie qui accepte la violence, le terrorisme peut être considéré comme un acte violent.
  • Le terrorisme peut être caractérisé par la finalité politique, l’usage de la terreur, un répertoire d’action singulier, l’action indirecte, l’atteinte à l’État, la non-distinction entre civils et personnel de l’État.
  • On peut retenir 3 grands types de terrorisme (idéologique, séparatiste/indépendantiste, religieux).
  • Limite du terrorisme : effets contre-productifs (résilience des populations, cohésion accrue de celles-ci, soutien au régime en place)
  • Les terrorism studies constituent un domaine d’étude de la recherche internationale.

Alix, J., & Cahn, O. (2021). Terrorisme et infraction politique. Paris : Mare & Martin.

Bigo D. (2005). L’impossible cartographie du terrorisme. Cultures & Conflits. URL : http://conflits.revues.org/1149

Borum, R. (2015). Assessing risk for terrorism involvement. Journal of Threat Assessment and Management, 2(2), 63-87.

Boubekeur A, Crettiez X, Laurent Mucchielli (eds) (2010). Les violences politiques en Europe : Un état des lieux. Paris : La Découverte.

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Horgan, J., & Boyle, M. (2008). A case against ‘Critical Terrorism Studies’, Critical Studies on Terrorism, 1(1), 51-64, DOI: 10.1080/17539150701848225

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Striegher, J. L. (2015). Violent-Extremism: An Examination of a Definitional Dilemma. The Proceedings of 8th Australian Security and Intelligence Conference held from the 30 November – 2 December 2015, Perth Western Australia: Edith Cowan University Joondalup Campus, 7586.

Union Européenne (2015). « European Union Terrorism Situation and Trend Report 2015 ». https://www.europol.europa.eu/publications-events/main-reports/european-union-terrorismsituation-and-trend-report-2015

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