Nationalismes et européisme [ceci n’est pas une aporie]
Le terme de nationalité apparaît au XVIIe en Anglais et en Espagnol, au XVIIIe en Français. Mais, le terme « nationalisme » est quant à lui inventé en 1793 par la littérature contre-révolutionnaire pour fustiger le jacobinisme. Il est vrai que la Révolution française est ce nœud historique où l'idée de l'Etat-Nation et la démocratie en tant que souveraineté du peuple émergent ensemble. Pourtant, la Révolution française va s'aventurer en Europe et muer en Empire. Les grands thèmes sont là et montrent comment la question de la nation, du nationalisme, de l'Europe et de l'Empire se lient.
L’idée nationale n’est pas antinomique des sentiments européistes. Ernst Renan (1823-1892) est celui qui a conceptualisé l’idée de nation à la française en 1882, nation de contrat social et non de références aux éléments ethniques, linguistiques, etc. Pourtant Renan est à l’origine un nationaliste : avant toute chose c’est à cause de la question d’Alsace Lorraine qu’il évolue. Toutefois, dès 1870 il en appelait à des « Etats-Unis d’Europe » qui soit une fédération des nations.
Ordre Nouveau
Cependant l’importance du thème de la construction européenne ne prend son essor qu’après la Première Guerre mondiale, dont elle est un contre-coup direct.
En 1919 c’est la démocratie parlementaire qui paraît dominer à long terme l’Europe. Mais la totalité des transformations politiques qu’elle connaît (Portugal 1933, Espagne, etc.) va dans le sens de la dictature pour le moins autoritaire et nationaliste. Ainsi le conflit et la Paix de Versailles aboutissent-ils à attiser des nationalismes (en Europe centrale tout particulièrement), à faire émerger des ultra-nationalismes d’un type nouveau (les fascismes) en même temps qu’ils mènent à une volonté de dépassement des conflits nationaux (création de la Société des Nations, européisme).
Alors même qu’il est de nature ultra-nationaliste et impérialiste, le fascisme a pour particularité d’avoir développé une vision et un discours européiste et parfois universaliste. Au sein de ce phénomène nouveau qu’est le fascisme se développent non seulement des formes nouvelles du nationalisme et de l’européisme mais également de leurs exaltations conjointes. A la réunion fondatrice du premier faisceau, le 23 mars 1919 à Milan, le programme adopté proclame la nécessité de réaliser une Grande Italie jouissant d’un Empire lui assurant son espace vital, mais également la nécessité de réaliser une fédération européenne unissant des pays suivant des voies similaires – hors possibilité pour la Grande Bretagne d’y adhérer – et colonisant en commun l’Afrique.
Moteur idéologique
Le fascisme reste constamment auprès des masses de ses sociétés nationales d’origine un élément de grandeur nationaliste. Mais dans les élites et dans les partis fascistes c’est bien souvent fait jour une conversion à une idéologie européenne voire mondiale, perçue comme l’unique moyen d’en finir tant avec le bolchevisme qu’avec le libéralisme, d’instaurer une zone économique saine dirigée par un Etat technocratique.
De plus a existé une grande confusion dans la représentation faite des conquêtes du IIIe Reich. Le Secrétaire Général de la Société des Nations, Joseph Avenol, en poste depuis 1933, considère en juillet 1940 qu’en balayant les démocraties nationales le IIIe Reich est en train de « réaliser l’Europe ». Le blocage de la guerre à l’Est et l’existence du double front obligent l’Etat nazi lui-même a faire évoluer son discours en ce sens. C’est là conséquence idéologique du passage à la « guerre totale » (proclamée par Goebbels le 18 février 1943) : il faut enrôler les non-Allemands et tenir les sociétés déjà conquises. Après l’effondrement de l’Axe l’Europe devient le thème central du néo-fascisme. Est donc ici une pensée et une action qui participent à ce que l’on appelle parfois « l’aventure européenne ».
Effet d’optique
Jusqu’il y a peu la pensée historique ne voulait voir dans l’européisme fasciste qu’une nouvelle facette du cynisme de la propagande fasciste : simple coup tactique pour les nazis, simple travestissement de la trahison pour les collaborationnistes. La réalité historique vient ici heurter un préjugé politique. De nature foncièrement belliciste, le fascisme a pour part embrassé un rêve européen qui se veut dans sa représentation un rêve pacifiste, au moins pour les Français depuis que Victor Hugo appela en 1876 à la transformation de l’Europe en « Etats-Unis d’Europe ».