Le Négationnisme. Histoire d’un réseau international

Avec Les idées fausses ne meurent jamais. Le négationnisme. Histoire d’un réseau international (Lormont, Le Bord de l’eau, 2021. Préface de Pascal Ory), l’historienne Stéphanie Courouble Share, chercheuse à l’ISGAP (Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy), nous offre une histoire exhaustive du négationnisme depuis l’apparition de cette idéologie. Paru en novembre 2021, il est tiré d’une thèse soutenue en 2008 à l’université Paris 7 (Le négationnisme et son émergence dans l’espace public. Analyse comparative : France, Angleterre, Allemagne et Etats-Unis (1946-1981)) et dirigée par Pierre Vidal-Naquet. Cette thèse a été entièrement refondue et mise à jour pour cette parution. Malgré tout, l’ouvrage est imposant : 517 pages. Néanmoins, il reste agréable à lire, aidé en cela par un plan chrono-thématique très fluide et par un appareillage critique (notes très érudites, index, bibliographie scientifique exhaustive, etc.).
Livre particulièrement érudit, il est la synthèse de nombreuses enquêtes et recherches que l’auteur a mené à travers le monde, dans les archives de presse et privées, de la France aux États-Unis, en passant par l’Angleterre, l’Allemagne, Israël et le Canada. Il revient donc sur l’histoire du négationnisme. Stéphanie Courouble Share revient aussi sur les conditions d’émergence d’une idéologie, sur sa pénétration dans la sphère publique des démocraties occidentales, en analysant les différents scandales négationnistes qui ont commencé à défrayer la chronique à compter des années 1970 en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique, en France, en Italie, au Canada et aux États-Unis (dans le désordre : Harwood, Butz, Christophersen, Faurisson, Zündel, Garaudy, Dieudonné…), faisant connaître ce phénomène publiquement. Pour autant, ces auteurs ne sont qu’une centaine (intellectuels, universitaires, militants) depuis l’après-guerre, cherchant la polémique publique afin de faire connaître leurs thèses aux opinion publiques.
Le texte se décompose en 10 chapitres, sans compter l’« Introduction », la « Conclusion », l’« Index » et la « Bibliographie » : « Vingt ans de tâtonnements négationnistes », « L’émergence d’un paradoxe politique », « Les années charnières, 1967-1973 : une construction idéologique », « L’offensive allemande », « “L’affaire Harwood” », « La “controverse Butz” », « “Les temps sont mûrs” », « Au nom de la liberté d’expression », « les négationnistes se renforcent » et, enfin « De nouveaux espaces de diffusion ».
Le négationnisme est un terme forgé dans les années 1980 (les négationnistes préférant le terme « révisionniste », un euphémisme pour se donner un semblant de légitimité scientifique) pour désigner une idéologie extrémiste qui nie la réalité du génocide des Juifs et de l’arme du crime, les chambres à gaz, reprenant un vieux postulat antisémite : les Juifs sont le mal par essence. En effet, le « Juif », en tant d’être fantasmé, est devenu un mythe répulsif depuis la fin du XIXe siècle : il serait le maître occulte du monde. Cette assertion est au cœur des discours antisémites. Menteurs, les « Juifs » n’ont pas été tués en masse par les nazis. Dès lors, ils perdent leur statut de victimes. Au contraire, ils auraient utilisé ce mensonge pour justifier la création de l’État d’Israël. Il sous-tend également l’idée d’une pseudo-démarche rationnelle, cherchant à réhabiliter le nazisme, en le disculpant de ses crimes. Par extension, le concept de négationnisme a été employé pour désigner la négation des génocides des Arméniens en Turquie, des Tutsis au Rwanda, et des Cambodgiens. Cependant, cette idéologie préexiste à la création du terme : les premiers auteurs négationnistes ont commencé à sévir dès la fin de la guerre.

Les négationnistes cherchent à effacer les traces du génocide des Juifs européens durant la Seconde guerre mondiale. Leur principale stratégie est de focaliser le débat sur la supposée inexistence des chambres à gaz et des centres de mise à mort. En induisant un doute, les négationnistes tentent de faire passer un fait historique dans le domaine de la « croyance », c’est-à-dire d’un ressenti sans fondement scientifique. Il s’agit, pour eux, de dénoncer un mensonge, celui de l’extermination des Juifs européens et de montrer l’imposture qui se serait emparée du sens commun : c’est le sens du « complot sioniste », qui serait à l’origine du « bobard de l’extermination » ou du « mythe des 6 millions ». Ces négationnistes cherchent en outre à positionner leurs discours dans une optique « hypercritique ». C’est le sens du nom Akribeia (mot grec ancien signifiant « exactitude », « soin scrupuleux »), titre d’une revue puis nom d’un éditeur négationniste français.
Stéphanie Courouble Share remonte le cours de l’histoire et observe le négationnisme dans sa dimension internationale depuis la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours. À partir des années 1960, cette idéologie est devenue un phénomène international, nourrie par des échanges doctrinaux entre les théoriciens des différents pays européens, d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et ceux des pays arabes. La décennie suivante, des négationnistes originaires du monde entier se regroupent en un institut international, l’Institute for Historical Review (Institut pour la Révision de l’Histoire – IHR), doté d’un « centre de recherche » et basé aux États-Unis. Ils officialisent ainsi leurs multiples rencontres antérieures. Aujourd’hui, ces idées sont diffusées par des personnes comme Dieudonné ou Alain Soral, touchant de nouveaux segments de la population française.
De fait, cet ouvrage explique parfaitement comment cette idéologie s’est mise en place, dès la fin de la guerre, au niveau international, intégrant des éléments éparts, venant de l’extrême droite évidemment -en particulier venant de la part d’anciens nazis ou de néonazis-, mais aussi venant d’une gauche radicale, antisioniste. Tous ont un point commun : l’antisémitisme. L’un de ses points fort est de montrer l’aspect foncièrement international de la nébuleuse négationniste : européenne évidemment, mais aussi, très tôt d’ailleurs, américaine et arabe, les différents théoriciens de cette idéologie se nourrissant des textes des autres.
Cet ouvrage deviendra une référence pour tous ceux qui souhaitent avoir une vision d’ensemble du négationnisme mondial, depuis son apparition dès la fin de la Seconde guerre.