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L’Extrême droite en France : « La volonté de revivre dans une société fermée »

soc fermeePropos de Stéphane François recueillis par Arte (voir ici).

Combien de personnes en France appartiennent à des groupes d‘extrême droite, de droite radicale ou à des groupes néo-nazis ? 

Stéphane François : On estime, grosso modo, que les militants radicaux, c’est-à-dire à la droite du Front national, sont aux alentours de 3 000 individus, néonazis compris, mais Bloc identitaire exclus (environ 2 000 membres à jour de cotisation en 2013). C’est donc relativement peu. En France, il y a deux groupes de personnes qui peuvent être qualifiés de néonazis : les néonazis à proprement parler (et comprenant les skinheads d’extrême droite) et une frange de la mouvance identitaire, qui se place dans l’héritage des SS français, en particulier dans l’héritage de Marc Augier (connu sous son nom de plume de Saint-Loup).  

Qu’est-ce que le Bloc Identitaire? Et pourquoi ne l’assimilez-vous pas aux autres militants radicaux ?

Stéphane François : Le Bloc Identitaire est une formation politique radicale régionaliste, pro-européenne, qui fait la promotion de l’enracinement (économique et culturel) et qui refuse à la fois l’islam et l’immigration, mais ayant rompu avec l’antisémitisme (ce qui n’est pas le cas du reste de la mouvance identitaire). Le Bloc Identitaire est né en 2002/2003 des cendres de l’organisation « Unité Radicale », dissoute à la suite de la tentative d’assassinat du président Jacques Chirac par un de ses sympathisants. Dans le paysage de l’extrême droite française, le Bloc est une formation à part : il refuse le jacobinisme du Front national, fait la promotion d’une politique identitaire, attire des militants et/ou des sympathisants ayant plutôt de gros bagages universitaires.  

Y-a-t-il des régions plus importantes pour l’extrême droite en France?

Stéphane François : Oui, il y a des régions où ces personnes sont plus présentes, en général, ce sont des régions industrielles touchées par la crise et la désindustrialisation : le Nord Pas de Calais, la Picardie, l’Alsace et la Lorraine (donc le grand Nord-Est de la France), la région parisienne ainsi que le Rhône. Ailleurs, il existe des militants radicaux, mais dans une proportion plus faible.

Qu’est-ce qui motive les gens ? 

Stéphane François : Ce qui les motive est la volonté de revivre dans une société « fermée » d’où serait exclu « l’Autre » (l’étranger, l’immigré, le Juif), vu comme une sorte de cinquième colonne qui risquerait de mettre à bas, ou de pervertir, cette société idéalisée, ou du moins souhaitée.  

Est-ce qu’il existe un « profil type » ?

Stéphane François : Non, il n’y a pas de « profil type » : les militants peuvent être des diplômés ou  sans diplômes, des ouvriers ou des universitaires… S’il devait y avoir un profil type, ce serait un individu qui souhaite vivre dans une société fermée et qui exclurait les minorités jugées dangereuses pour la « communauté du peuple » pour reprendre une expression nazie… Le terme « Aryen » utilisé par les nazis trouve ses origines dans la théorie d’Arthur de Gobineau formulée au 19eme siècle.

Comment vous expliquez-vous l’évolution de ce concept ?

Stéphane François : En fait, le terme « aryen » a été utilisé par un Allemand, Friedrich von Schlegel qui publia vers 1819 son Essai sur la langue et la philosophie des Indiens, pour rassembler dans une même famille un certain nombre de langues européennes. Cet auteur peut être vu comme le pionnier des études Indo-Européennes. Arthur de Gobineau ne fit que reprendre le terme, à une époque, vers 1850, où il commençait à être vulgarisé. Ceci dit, il est important de préciser que Gobineau, à son époque, c’est-à-dire les années 1850, était surtout connu pour son œuvre littéraire. En effet, le mythe « aryen » a renvoyé rapidement à un discours racial par un glissement sémantique progressif. Ainsi, un précurseur français de Gobineau, Victor Courtet de l’Isle, soutenait que le type idéal de l’humanité était le Germain du Nord.    Dans le film nous verrons des personnes en Allemagne et en France qui utilisent le mot « Aryen » pour leurs groupes, leurs idéologies.

Est-ce qu’il existe des groupes qui s’appellent « Aryen » en France ?

Stéphane François : Non il n’y en a pas, en tout cas pas de groupe ayant une quelconque importance : cela concerne surtout  des formations de moins d’une dizaine de personnes. Par contre la thématique aryenne, c’est-à-dire à la fois l’idée selon laquelle la race blanche est « aryenne » et qu’elle est la descendante en ligne droite des peuples indo-européens de l’Antiquité, est présente dans toute une mouvance en particulier française qui réédite des auteurs racistes comme Houston Chamberlain ou Hans F. K. Günther, parallèlement aux rééditions de livres racontant le geste SS.

Et est-ce qu’il y a des gens qui se prennent pour des « Aryens » ?

Stéphane François : Oui, évidemment, mais ils ne se qualifient pas « d’Aryens », bien que quelques personnes, très marginales, le fassent pourtant. S’ils ne se prennent pas pour des « Aryens », ces personnes font l’éloge des sociétés païennes européennes (Celtes et Germains surtout), qu’ils qualifient d’Indo-Européennes, et sont fascinés par leurs religions et modèles de société, les reconstruisant grâce à des auteurs comme Hans F. K. Günther, un écrivain qui connut son heure de gloire pendant le IIIème Reich grâce à des livres faisant l’éloge, justement, des Aryens et du « grand blond aux yeux bleus »… Ce qui finalement revient au même, mais c’est formulé de manière plus soft et surtout plus discrète.   Les symboles

Quels sont les symboles qui sont importants pour des idéologies d’extrême droite en France ?

Stéphane François : Il y en a peu, et sont communs à l’extrême droite occidentale : l’aigle fasciste, le trident, la croix celtique, le casque spartiate, la croix gammée (pour les néonazis), la croix de fer, le marteau et le glaive entrecroisés, les runes…  

Est-ce qu’il y a une législation sur l’utilisation des symboles nazis ou racistes ? 

Stéphane François : Un certain nombre de signes tombant sous le coup de la loi, comme la croix gammée, ces symboles, de ce fait, ne sont pas utilisés (ou peu utilisés). 

Un quart des Français est « issu de l’immigration » c’est-à-dire qu’eux-mêmes sont immigrés ou bien un des deux  parents est issu de l’immigration. Quelles conséquences sur l’extrême droite en France ?

Stéphane François : Cela pose évidemment de gros problèmes. Pour les formations les plus radicales, ces Français ne sont pas vus comme des citoyens à part entière… Dans les années 1990, Bruno Mégret, alors n° 2 du Front national souhaitait instaurer le droit du sang en lieu et place du droit du sol et interdire la double nationalité… En fait, pour les militants les plus radicaux, un « Français » reste avant tout un « Français de souche » : ils ont une conception ethnique de la citoyenneté et de la nationalité. Toutefois la focale s’est quand même déplacée : avant la Seconde guerre mondiale, la xénophobie visait les Italiens, Polonais, etc. Après la Seconde guerre mondiale, le racisme s’est mis à stigmatiser les populations extra-européennes, les mouvements de populations intra-européens n’étant plus vus comme une immigration, mais comme une migration entre population de même race, la race blanche…

En quoi diffère le mouvement d’extrême droite français des mouvements dans d’autres pays ? 

Stéphane François : Déjà, il est difficile de parler de « mouvement d’extrême droite français. S’il existe une extrême droite au sens générique de l’expression, elle est composée d’une multitude de formations ou groupes aux idéologies parfois opposées : il y a des néopaïens et des chrétiens, des jacobins et des régionalistes, des anti-occidentalistes et des pro-occidentaux, des partisans du libéralisme économique et des anticapitalistes, etc. En outre, chaque extrême droite nationale est liée à l’histoire du pays où elle est née : en Allemagne, l’extrême droite se résume surtout au néonazisme, en Italie au fascisme, alors qu’en France, ces mouvances ont toujours été minoritaires… Le particularisme français serait plutôt à chercher dans l’aspect ligueur et populiste et surtout dans la défense de la laïcité.

Comment voyez-vous évoluer les groupes d’extrême droite en France dans les années à venir ?

Stéphane François : L’évolution sera surtout à la fois populiste d’un côté, et de l’autre identitaire, avec un rejet croissant de l’altérité, surtout religieuse et culturelle. En fait, il s’agira d’une évolution similaire aux autres pays occidentaux.

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