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Marine Le Pen et l’écologie

Par Stéphane François

Peut-on parler de virage écologique de Marine Le Pen ? On peut en douter. Ses positions restent très limitées sur ce point, comme le montre la brochure intitulée M l’écologie, qui exprime le programme du Rassemblement national sur cette problématique. Ainsi, jusqu’en 2010, elle parlait d’un « prétendu réchauffement climatique ». En 2017, les thèmes réellement écologiques étaient absents de son programme. Le tournant écologique date de 2019 et de l’arrivée d’Hervé Juvin, cet ancien proche de Raymond Barre lorsqu’il était maire de Lyon, devenu par la suite un collaborateur de Corinne Lepage. S’il est devenu écologiste, il reste malgré tout libéral sur le plan économique.

Le rapport de Marine Le Pen à écologie est quasi inexistant. L’écologie n’est pas une valeur première chez elle. Elle ne met rien en avant, ni ne s’appuie sur une vision écologique, quelle qu’elle soit. Elle ne mobilise pas des auteurs comme Alain de Benoist, qui a élaboré une écologie de droite. Parfois, elle associe écologie et mode de vie français. Son programme actuel offre ainsi ce slogan : « Pour l’écologie de la joie de vivre des Français en France ». Mais en quoi l’écologie participe-t-elle au bonheur d’être français ? Il s’agit là en fait d’une confusion entre écologisme et simple préservation patrimoniale de l’environnement. Elle propose une « écologie positive » sans la définir précisément, mais en l’opposant à une « écologie punitive », c’est-à-dire contraignante, comprendre le « Green Deal », contre-productif selon ce parti, « imposé » par l’Union européenne. Parmi les mesures, il y aurait une initiation des enfants à l’environnement et au contact avec la nature, sans plus, « pour échappe à la fascination exclusive des écrans numériques ».

En outre, le Rassemblement national est sceptique sur la question écologique. Auparavant, contrairement à d’autres formations d’extrême droite, l’écologie du FN/RN relevait plus d’un « habillage vert » que d’une proposition réellement réfléchie. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les questions que Marine Le Pen souhaitait soumettre à Emmanuel Macron : peu sont de nature réellement écologiques (). Pourquoi chercherait-elle à développer un discours vaguement écologique, sachant que les écologistes ne votent pas pour elle et qu’une majorité d’électeurs de ce parti considère avec mépris les « écolos ».

De fait, le Rassemblement National tâtonne, ou plutôt a un discours superficiel, en ce qui concerne les questions écologiques. Au sein de ce parti, il y a peu de personnes intéressées ou compétentes dans ce domaine. Surtout, Jean-Marie Le Pen était économiquement un libéral, ne voyant dans l’écologie qu’une « préoccupation de bobo ». Ce libéralisme économique est encore un marqueur important du RN de Marine Le Pen. En outre, il existe un fort rejet de l’écologie chez certains militants d’extrême droite, qui ne voient que des « pastèques » dans les activistes écologistes (vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur), adeptes à la fois du « mondialisme » et d’une « écologie punitive ».

Comme tous les partis, le RN de Marine Le Pen a compris qu’il devait se saisir de ce sujet, et ce, à partir de l’échec à la présidentielle de 2017. Mais si l’on excepte les déclarations récentes de Marine Le Pen en faveur du « produire local, manger local », le parti a toujours eu des positions prudentes, se contentant de prôner une économie « durable » et se méfiant par exemple des énergies renouvelables.

Contrairement à d’autres formations d’extrême droite, l’écologie du FN/RN est plus un « habillage vert » qu’une proposition réfléchie. Les quinze questions proposées à Emmanuel Macron l’an passé portaient plus sur une certaine qualité de la vie que sur un discours réellement écologique. Aucun de ces points ne s’intéressait à la transition écologique ou n’évoquait un autre modèle civilisationnel rompant avec le productivisme. Les seules questions de nature réellement écologiques étaient celles portant sur le maintien des zones humides, improductives sur le plan agricole, mais riches d’une faune et d’une flore fragiles, qu’il faut, effectivement protéger ; sur la possibilité de poursuivre et de condamner de grandes firmes dont les filiales se seraient coupables de dommages environnementaux ; et sur la possibilité de moduler la TVA sur les produits recyclables, ce qui va dans le sens d’une (petite) décroissance. Trois questions ouvertement écologiques sur quinze, c’est peu. Le constat est donc simple à faire : le RN n’est toujours pas converti à l’écologie. Il reste un parti profondément marqué à la fois par le libéralisme économique et par le nationalisme. Parti massivement soutenu par le monde ouvrier, il peine à rompre avec une idéologie productiviste. Parti à la fibre poujadiste, il rejette les contraintes de l’effort écologique, affirmant dans son programme présidentiel : « Nous sortirons du “Green deal” et de l’enfer administratif qu’il impose aux petites entreprises ».

Les tentatives d’élaboration d’un discours écologique sont très récentes en fait… Elles datent des années 1990, lorsque Bruno Mégret était le numéro 2 du parti. Celui-ci avait commencé à instiller des préoccupations environnementales à des fins identitaires : il s’agissait de lutter contre l’immigration. Quand il a quitté le parti, le thème a été abandonné et a disparu des programmes du parti. Il y a eu une deuxième tentative en 2011, lorsque Marine Le Pen devint présidente du FN. Elle chargea Laurent Ozon de piloter le comité d’action présidentielle « écologie ». Celui-ci était un vieux militant écologiste (il a dirigé une collection chez Le sang de la Terre et était responsable du Recours aux forêts, la revue écologiste de la Nouvelle Droite). Sauf que ses propos sur le massacre d’Utoya l’ont poussé à démissionner de ce parti… La question écologique n’est redevenue importante que ces dernières années, avec l’arrivée à la fois d’Identitaires (très portés sur le localisme) et d’Hervé Juvin.

Avec eux, le parti a choisi pour mot d’ordre le localisme. Ce thème a été mis en avant lors de la précédente campagne présidentielle. Auparavant, le FN défendait les petites exploitations agricoles, mais sans développer ce point. Mais en quoi le localisme est-il écologique ? Dans le cas du RN, il s’agit principalement d’un discours nationaliste : le produit est fabriqué « ici » et non « ailleurs », sous-entendu à l’étranger… On retrouve aussi ce nationalisme dans l’idée proposée par le programme du RN d’une « écologie [qui] libère la France de ses dépendances extérieures ». L’écologie ainsi conçue est une écologie nationale, voire nationaliste qui « en finira avec une écologie hors-sol, basée sur le mensonge du globalisme ; chaque écosystème est unique, il est ici, et pas ailleurs ».

Cette critique du « globalisme », n’est donc qu’une mise en avant du nationalisme, exprimé de manière plus subtile : le localisme renvoie à l’idée d’enracinement, en particulier dans un terroir. Il est lié à l’idée d’appartenance. En somme, il s’agit de mettre en avant l’enracinement et les « patries charnelles » (le terroir) sans pour autant mobiliser des références à Charles Maurras et à l’Action française. Cela est fait de manière implicite, le penseur de Martigues étant devenu un repoussoir.

Surtout, Marine Le Pen, dans ses interventions ou ses propositions, met systématiquement en avant un discours technoscientifique, en parallèle d’une glorification du passé de notre pays. Les deux sont liés : il s’agit, pour elle, de louer la grandeur et le génie de la France à la fois par son patrimoine immatériel, comme les paysages, les vestiges – qui ne sont que les restes de sa grandeur passée – et par son excellence technique et scientifique. Elle est dans une logique très progressiste d’une certaine façon, technophile. La science et la technique ne sont pas vues comme des menaces. Au contraire, elles sont la solution pour résoudre les enjeux de la crise écologique actuelle. Il ne faut pas voir cette question au travers du prisme militant : le faible score de Yannick Jadot montre d’ailleurs que ces questions n’intéressent qu’une minorité de personne en France. Nombre d’électeurs du RN considèrent avec mépris les militants écologistes : au mieux ce sont des enquiquineurs, au pire des gauchistes mondialistes… Se présentant, en bonne populiste, comme la voix des « sans voix », de la « majorité silencieuse », elle ne va pas braquer son possible électorat.

Quel serait alors un possible ministère de l’écologie sous une présidence de Marine Le Pen ? Il s’agirait d’une politique de maintien des « beaux paysages », avec le démantèlement des parcs d’éoliennes, d’un soutien à une agriculture intensive et industrielle, avec des moratoires sur la toxicité des produits phytosanitaires et des engrais utilisés, d’une politique de développement du parc nucléaire et de réindustrialisation du territoire. Tout est présenté dans son programme… Celui-ci affirme que « L’urgence écologique est de préserver les conditions de vie humaines dignes et libres sur notre planète ». La formule, malgré ses atours, revient à considérer l’écologie sous un angle conservateur et anthropocentré, aucunement à reconsidérer l’équilibre entre les activités humaines et l’ensemble écologique.