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Réflexions sur le mouvement « Identitaire » [1/2]

L'hoplite, référence permanente du courant identitaire

Par Stéphane François

L'expression « Identitaire » est une expression générique renvoyant à un courant de l'extrême droite française apparu en avril 2003, via la création du Bloc identitaire-Mouvement social européen sur les cendres d'Unité radicale, mais dont les idées préexistaient depuis la fin des années 1980. Les principales structures identitaires françaises restent les groupuscules Terre et peuple, animé par les universitaires Pierre Vial, Jean Haudry et, jusqu'à son décès, par l'écrivain Jean Mabire, et Bloc identitaire, dirigé par Fabrice Robert, Guillaume Luyt et Philippe Vardon, autour desquelles gravite un certain nombre d'électrons libres, à l'instar de Guillaume Faye, ou de structures politico-culturelles régionalistes, comme Alsace d'abord[1].

Ce courant de l’extrême droite est connu pour ses positions radicales vis-à-vis de l’immigration, de l’islam et pour sa défense de la civilisation européenne et des Européens, une défense qui s’exprime au travers de thèses géopolitiques[2]. C’est ce dernier aspect que nous analyserons dans cet article, au travers des thèses de son principal idéologue identitaire francophone, Guillaume Faye, dont l’un des ouvrages, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne[3], au soubassement théorique très influencé par une vision ethniciste de la géopolitique, est considéré par des identitaires comme le manifeste de la pensée identitaire, comme son « dictionnaire fondamental de 177 mots-clés ».

En effet, selon Pierre Vial, « Il manquait au courant identitaire une véritable doctrine de synthèse idéologique et politique qui au-delà de tous les partis, tendances, chapelles et sensibilités, rassemble enfin autour d’idées et d’objectifs clairs l’ensemble des forces qui s’opposent au dramatique déclin des Européens. […] Comme le fut pour la gauche du XIXe siècle le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx, Pourquoi nous combattons est destiné à devenir le manuel de base des forces identitaires européennes du XXIe siècle. Sa possession et sa lecture attentive sont absolument indispensables. »[4]

Qu’est-ce que les Identitaires ?

Politiquement les Identitaires défendent une sorte de « socialisme ethniciste », sous l’influence manifeste du SS français Saint-Loup (pseudonyme de Marc Augier[5]), qui peut se résumer de la façon suivante : aider « les nôtres », au sens racial de l’expression, avant « les autres » : « Soyons capable de ce réflexe élémentaire : un Européen est en difficulté ? Je l’aide. Pourquoi ? Parce que c’est un Européen. Je fais pour ma communauté ce que les autres font pour la leur. Spontanément. Naturellement. Légitimement. »[6] C’est dans cette optique que les Identitaires distribuent depuis 2003 les fameuses et médiatiques « soupes au cochon », excluant les musulmans et les juifs.

De plus, le Bloc identitaire et Terre et peuple ont mis en place le Conseil Représentatif des Associations Blanches, sur le modèle du CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France) et du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). Un appel allant dans ce sens était déjà lancé en 2004 par le magazine Terre et peuple : « Nous appelons donc les Européens soucieux de rester ce qu’ils sont à se regrouper, à s’unir pour s’entraider et se donner ainsi les moyens d’exister. Quand aux Européens qui n’auront pas ce réflexe de salut, tant pis pour eux… Qu’ils crèvent. »[7]

Les différents groupuscules identitaires refusent le métissage, vu comme un ethnocide, et l’immigration, perçue comme une colonisation de l’Europe[8], avec des slogans explicites comme « pas de kärcher, mais des charters », ainsi que ce qu’ils appellent le « racisme anti-français », qui se manifesterait par un « ethnomasochisme », c’est-à-dire une culpabilisation permanente des peuples européens, et une xénophilie naïve. Néanmoins, leurs principales cibles restent l’islam et l’islamisme.

Ce discours mixophobique, c’est-à-dire la peur du mélange ethnique, se retrouve au niveau géopolitique. Outre le fait que ce courant est favorable à une France des régions qui s’inséreraient dans une Europe des nations, celui-ci défend l’idée d’une Europe ethniquement homogène. Fort logiquement, la mouvance identitaire refuse la mondialisation, destructrice d’identité. En effet, les identitaires ont fait leur cheval de bataille la préservation des Européens, au sens ethnique de terme, et des identités historiques et charnelles (local, national, civilisationnel).

Ils prônent le retour des immigrés dans leurs pays respectifs en deux temps « expulsion immédiate des clandestins et des délinquants » puis dans un second temps « signatures de partenariats avec les pays d’origine pour des plans de retour au pas (établis par exemple sur 15 ans) »[9]. Pourtant, ils arrivent parfois à conclure des alliances avec des ennemis « raciaux », mais qui partagent la même vision identitaire du monde et le même antisémitisme, comme ce fut le cas avec la Tribu Ka et ses avatars[10].

Les idées des identitaires proviennent principalement du courant völkisch[11] de la Nouvelle Droite, les « folkistes », analysé dans un autre article[12], et de Guillaume Faye. Ceux-ci sont des membres historiques du GRECE (le Groupe de Recherches et d’Etudes de la Civilisation Européenne)[13] qui l’ont quitté lors de l’évolution mixophile d’Alain de Benoist : « J’étais en effet convaincu, en 1984, écrit Pierre Vial, qu’il y avait nécessité de renouveler, d’actualiser le discours du GRECE par une ouverture vers des problématiques nouvelles, et essentiellement la question de l’identité et celle de l’immigration, les deux étant totalement liées. Or il y avait là une source de divergences d’analyse entre moi et d’autres responsables du GRECE, en particulier Alain de Benoist, qui prenait ses distances avec ce que j’appellerai, pour simplifier, l’affirmation ethnique. »[14] En retour, Alain de Benoist condamne la pensée identitaire : « La revendication identitaire devient un prétexte pour légitimer l’ignorance, la mise à l’écart ou la suppression des autres. Elle est ce qui permet de conjurer, dans une perspective obsidionale, la peur suscitée par la différence des autres. […] Dans une telle optique, la distinction entre « nous » et « les autres », qui est à la base de toute identité collective, est posée en termes d’inégalité ou d’hostilité de principe.

Les identités sont figées dans un idéaltype intemporel, interdisant désormais tout échange au lieu d’en être l’instrument. […] Les races et les peuples sont traitées en quasi-espèces distinctes, qui ne possèdent plus rien en commun. Défendre son identité, ce serait nécessairement ignorer ou mépriser les autres : un Européen, par exemple, trahirait son identité en aimant la poésie arabe, le théâtre japonais ou la musique africaine ! »[15]

Ces divergences aboutiront à des départs au milieu des années 1980 de cadres néo-droitiers, comme Guillaume Faye, Jean Haudry, Robert Steuckers et Pierre Vial, qui donneront eux-mêmes naissance la décennie suivante à la mouvance identitaire.

Le GRECE[16], la principale structure néo-droitière, a donc influencé plus ou moins directement les idées identitaires. En effet, les idées grécistes se sont diffusées par les passages, d’un groupuscule à l’autre, des dissidents de la Nouvelle Droite. Pierre-André Taguieff insiste « […] sur un processus souvent observé en histoire des idées : les représentations et les arguments forgés par le GRECE dans les années soixante-dix lui ont progressivement échappé, étant repris, retraduits et exploités par des mouvements politiques rejetant l’essentiel de sa « vision du monde ». Il s’agit donc d’éviter d’attribuer au GRECE les avatars idéologiques et politiques de certaines composantes de son discours, et plus particulièrement de son discours des années soixante-dix. »[17]

En outre, il est important de préciser que le principal penseur de la Nouvelle Droite, Alain de Benoist, refuse les conclusions des Identitaires issus de la Nouvelle Droite (en particulier Guillaume Faye et Pierre Vial) : « Il faudrait pour cela que [la mouvance identitaire] cesse de confondre l’appartenance avec la vérité, et qu’elle cesse d’attribuer aux facteurs ethniques le rôle que Karl Marx attribuait aux facteurs économiques. Il faudrait surtout qu’elle repense à nouveaux frais la notion même d’identité, en consentant à admettre que l’identité n’est pas une essence éternelle, qui permettrait à ceux qui en sont porteurs de ne jamais changer, mais une substance narrative qui nous permet de rester nous-mêmes en changeant tout le temps. »[18] Enfin, les idées des Identitaires sont même plus anciennes que la Nouvelle Droite : elles ont été formulées pour la première fois par les animateurs du groupuscule Europe-Action, souvent présenté par les spécialistes comme l’ancêtre direct de la Nouvelle Droite[19]. Des mêmes animateurs que nous retrouvons au sein de la mouvance identitaire.

Une civilisation européenne ?

Les Identitaires, à la suite des néo-droitiers, postulent l’existence d’une civilisation européenne fondée sur l’aire d’implantation des Indo-Européens, c’est-à-dire de la « race blanche », elle-même originaire du cercle circumpolaire selon eux[20], une thèse contestée par les spécialistes : « […] Ex septentrione lux, et vous savez très bien comme moi les théories dangereuses qui viennent de là : du nord, vient la lumière, le Surhomme vient du nord, l’Aryen vient du nord, etc., nous avons déjà abordé ce sujet dont je ne parviens pas à comprendre qu’il trouve toujours, aujourd’hui, des adeptes parfois instruits, sortes de nostalgiques crispés sur un passé illusoire et refusant contre tout bon sens les tendances de la modernité. »[21]

Les Indo-Européens sont ces peuplades de la préhistoire eurasiatique, dont la civilisation se caractériserait par un certain nombre de valeurs sociales communes : la « tripartition fonctionnelle », une religion commune, le paganisme, un esprit technicien, le prométhéisme et dont ils estiment descendre en ligne directe. Selon eux, il existe une identité raciale européenne qui se serait manifesté au travers des grandes civilisations païennes (grecque, latine, celte, germanique) et médiévales. Des vestiges archéologiques, épigraphiques, littéraires, mythologiques et culturels[22] attesteraient de cette civilisation européenne originelle, née aux alentours du cinquième millénaire avant notre ère, qui se serait manifestée de l’extrême ouest de la péninsule européenne à l’Inde et à la Perse.

Pour asseoir leur démonstration, ils s’appuient sur les travaux universitaires de l’indo-européaniste identitaire Jean Haudry, l’un des responsables de Terre et peuple, qui reprend lui-même les conclusions de Gustav Kossina, un philologue et archéologue nationaliste allemand du début du XXe siècle, et de Hans F. K. Günther, un raciologue nazi[23]. D’un côté, Kossina postulait l’équation « culture archéologique = ethnie »[24], encore sujette à de vives discussions dans les milieux scientifiques, et de l’autre, Günther, soutenait que les Indo-Européens étaient détenteurs d’une « mentalité » propre qui définirait encore l’esprit européen : héroïsme, tripartition sociale et mentale, esprit libertaire, etc. Un éditeur identitaire, les Éditions du Lore, a d’ailleurs réédité récemment, en 2006, l’un des textes les plus völkisch de Hans F. K. Günther, Les Peuples de l’Europe[25], un traité de raciologie européenne publié initialement en 1929, montrant ainsi l’importance de cet auteur pour cette mouvance.

Les Identitaires défendent aussi l’idée qu’il existe des « races » européennes au type physique distinct. Ainsi, Jean Haudry a écrit en 2003 un article, « Le type physique des Indo-Européens », publiés dans le magazine identitaire Réfléchir & agir[26] manifestement influencé par les thèses de Günther. Cette influence se retrouve aussi chez Pierre Vial lorsque celui affirmait dès 1981 que « D’un de vue anthropologique, la population française est composée de « Méditerranéens », d' »Alpins » et de « Subnordiques » »[27]. Évidemment, nos Identitaires soutiennent les origines germaniques, nordiques des Européens[28], un sillon tracé là encore dès 1981 avec la publication par Jean Haudry d’un « Que sais-je ? »[29] qualifié par Pierre-André Taguieff de « mini traité de raciologie nordiciste »[30]. Les Identitaires réactivent donc, dans une certaine mesure, le « mythe aryen » analysé par Léon Poliakov[31].

Cette « race indo-européenne » est menacée par un certain nombre de périls au nombre desquels nous trouvons l’islamisme, l’immigration, le métissage et l’impérialisme anti-européen des Américains. Ces périls ont incité les théoriciens identitaires à formuler le discours géopolitique que nous allons étudier.

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[1] Nous pourrions ajouter à cet inventaire la Fondation Polémia, la Maison de l’identité, les Jeunesses identitaires, Soulidarietà, les agences de presse Novopress et Altermedia, les magazines Réfléchir & agir, Utlagi, War Raok, la diffusion du Lore, les Éditions ACE, Radio Bandera Nera, l’association caritative Solidarité des français, etc. Cette liste n’est pas exhaustive.

[2] La géopolitique étant définie comme l’étude de l’influence des données géographiques sur l’histoire et la politiques des États, auxquelles les Identitaires adjoignent des données ethniques.

[3] Guillaume Faye, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne, Paris, L’Aencre, 2001.

[4] Texte mis en ligne sur l’ancien site Internet de Terre et peuple, rubrique « lectures ».

[5] Sur les idées de Marc Augier, cf. Simon Epstein, Un paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Paris, Albin Michel, 2008, pp. .179-186. Voir aussi, avec les précautions d’usage, le texte apologétique de Jérôme Moreau, Sous le signe de la Roue solaire. L’itinéraire politique de Saint-Loup, Paris, L’Aencre, 2002.

[6] Pierre Vial, « Appel pour un communautarisme européen », Terre et peuple, n° 24, printemps 2004, p. 3.

[7] Ibid., p. 3.

[8] Guillaume Faye, La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam, Paris, L’Aencre, 2000.

[9] « Dialogue entre Égalité &Réconciliation et les Identitaires », ww.les-identitaires.com.

[10] Stéphane François, Damien Guillaume et Emmanuel Kreis, « La Weltanschauung de la tribu Ka : d’un antisémitisme égyptomaniaque à un islam guénonien », Politica Hermetica, n° 22, L’Age d’Homme, 2008.

[11] Les völkisch représentaient un courant de pensée apparu en Allemagne et en Autriche durant la seconde moitié du xixe siècle. La racine Volk signifie « peuple », mais son sens va au-delà de celui de « populaire » et de « nation », avec un aspect communautaire, organique et ethnique marqué. Les völkisch sont en partie les héritiers de Herder pour qui le nationalisme devait avoir des fondements ethniques et culturels. Ce courant bigarré irrationaliste puisait ses références dans le romantisme, dans les premières doctrines « alternatives », dans les discours antimodernes et enfin dans les doctrines racistes.

[12] Stéphane François, « L’extrême droite « folkiste » et l’antisémitisme », Le Banquet, CERAP, n° 24, 2007, pp. 255-269.

[13] Stéphane François, Les néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006), op. cit.

[14] Pierre Vial, Une terre un peuple, Paris, Éditions Terre et peuple, 2000, pp. 66-67.

[15] Alain De Benoist, Nous et les autres. Problématiques de l’identité, Paris, Krisis, 2006, p. 109.

[16] Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne.

[17] Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, Paris, Descartes et Cie, 1994, p. VIII.

[18] http://www.alaindebenoist.com/pdf/entretien_terre_et_peuple.pdf.

[19] Joseph Algazy, L’extrême droite en France (1965-1984), Paris, L’Harmattan, 1989, pp. 19-39.

[20] Cf. Jean Haudry, « L’habitat originel des Indo-Européens », Terre et peuple, nº 14, automne 2002, pp. 13-16.

[21] Régis Boyer, Au nom du Viking. Entretiens avec Jean-Noël Robert, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 195.

[22] Voir les nombreux articles sur ces questions dans la presse identitaire ainsi que la rubrique « La plus longue mémoire » de Terre et peuple.

[23] Sur les idées de Hans F. K. Günther, cf. Édouard Conte, Cornélia Essner, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, Paris, Hachette, 1995.

[24] A. Schnapp « Quand les nazis se faisaient archéologues », in Collectif, L’Allemagne de Hitler 1933-1945, Paris, Seuil, « Points Histoire », 1991, p. 205.

[25] Hans F. K. Günther, Les Peuples de l’Europe, Chevaigne, Éditions du Lore, 2006.

[26] Jean Haudry, « Le type physique des Indo-Européens », Réfléchir & agir, nº 14, printemps 2003, pp. 26-29.

[27] Pierre Vial, « A la croisée des destins », in Une terre, un peuple, op. cit., p. 233. Publié initialement dans Éléments, n°38, printemps 1981, pp. 17-24.

[28] Ibid., pp. 234-235. En 1991, il soutenait toujours cette idée dans « La source de l’imaginaire national », publié dans le magazine Enquête sur l’histoire, nº 1, hiver 1991 repris in Une terre, un peuple, op. cit., pp. 239-245.

[29] Jean Haudry, Les Indo-Européens, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 1981.

[30] Pierre-André Taguieff, « La stratégie culturelle de la « Nouvelle Droite » en France (1968-1983) », in Robert Badinter (dir.), Vous avez dit fascisme ?, Paris, Montalba/Artaud, 1984, p. 53.

[31] Léon Poliakov, Le mythe aryen, Bruxelles, Complexe, 1987.

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