Jean-Marie Le Pen et l’Église catholique

Première parution : Stéphane François, « Le catholicisme de Jean-Marie Le Pen n’était pas celui de l’Église », La Croix, 13 janvier 2025.
Le décès de Jean-Marie Le Pen le 7 janvier 2025 nous offre l’occasion de revenir sur ses rapports à l’Église. Nostalgique d’un catholicisme intransigeant, il était ouvertement hostile à celle-ci. Selon Fils de la nation (Muller Éditions, 2018), le premier tome de ses Mémoires, il s’en était éloigné à 16 ans, lorsque les jésuites du collège Saint François-Xavier de Vannes lui avaient fait croire au décès de sa mère pour l’éloigner de l’établissement. Malgré tout, il est resté profondément catholique, et, peu rancunier, il reconnaissait que ces jésuites lui avaient donné une solide culture classique et religieuse.
Jean-Marie Le Pen est né dans une famille très pratiquante et a reçu une éducation catholique dont il ne s’est jamais départi. Lors de plusieurs entretiens, il reconnaissait aller à la messe – de manière irrégulière – et lire régulièrement les Évangiles. Il affirmait que l’origine des valeurs morales fondant la civilisation française était chrétienne. Ses discours étaient émaillés de références catholiques et il n’hésitait pas à mettre en avant sa foi pour motiver ses décisions, comme en 1988, lorsqu’il justifie son refus de l’avortement par son christianisme.
Des valeurs traditionnelles plus qu’une expérience intime
Cependant, la mise en avant de ces références catholiques était parfois perçue comme une instrumentalisation, le Front national (FN) ayant en son sein des tendances ouvertement païennes hostiles au christianisme, venant de la Nouvelle Droite, incarnées notamment par Pierre Vial et Jean Mabire. Ceux-ci suivront Bruno Mégret lors de la scission de décembre 1998.
Pour autant, son catholicisme n’était pas celui de l’Église. Il considérait qu’elle s’était détournée de sa mission lors des conciles de Vatican II (1962-1965). Il n’hésitait d’ailleurs pas à dire qu’ils étaient à l’origine de la décadence de la civilisation européenne actuelle.
Cependant, la rupture a eu lieu à la fin des années 1990. En 1998, l’épiscopat français condamne la politique xénophobe et raciste lepéniste. En 2002, Jean-Marie Le Pen le critique ouvertement, voyant en lui le « ventre mou de l’Église ». Selon lui, le catholicisme s’est fourvoyé en adoptant le progressisme.
Profondément réactionnaire, misogyne, antisémite et négationniste assumé, sans parler de sa réhabilitation du régime de Vichy ou de son soutien au pétainisme, Jean-Marie Le Pen vouait par ailleurs un culte à l’archange saint Michel (en 1987, il a même lancé sa campagne présidentielle depuis Le Mont-Saint-Michel) et une admiration pour la sainte patronne de la France, Jeanne d’Arc, « héroïne nationale » et « modèle pour la jeunesse » selon lui, à qui il a demandé de sauver la France en 2014. De fait, Jean-Marie Le Pen voyait dans le catholicisme une part importante de l’identité nationale, l’origine des valeurs traditionnelles de notre pays, plus qu’une expérience intime.
Traditionalisme
Ce profil marqué a attiré des catholiques d’un style particulier : les traditionalistes. En effet, ceux-ci entrèrent au FN dont il avait la direction (il n’en est pas le fondateur, contrairement aux âneries qu’on peut lire ou entendre). Pensons au courant national-catholique d’un Bernard Antony. Le FN fondé par les militants néofascistes d’Ordre nouveau, Jean-Marie Le Pen lui donne dès les années 1970 des accents traditionalistes. Dès cette époque, des solidaristes d’extrême droite, à l’anticommunisme et au catholicisme assumés, se sont encartés, à commencer par Jean-Pierre Stirbois, qui deviendra l’un des numéros deux de 1981 jusqu’à son décès en 1988. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs évolué vers le traditionalisme.
Rapidement, le FN devient le seul parti possible pour les « catholiques de conviction ». Ces traditionalistes ont quitté le parti à la suite de l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête : divorcée, ayant des enfants de différents conjoints, vivant en concubinage, elle choquait ces militants adeptes de l’ordre moral…
Les liens entre les traditionalistes ne s’arrêtent pas à ces aspects politiques : en 2021, Jean-Marie Le Pen épouse religieusement sa compagne Jany, avec laquelle il était marié civilement depuis 1991. Le prêtre qui officie est un traditionaliste, Philippe Laguérie, ordonné par Mgr Lefebvre en 1979, curé de la paroisse traditionaliste parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet de 1983 à 1997. C’est d’ailleurs le même qui lui donne les trois sacrements, l’absolution, l’extrême-onction et l’eucharistie, en novembre 2024.
Cet héritage religieux n’est pas mort pour autant, sa petite-fille Marion Maréchal, proche du traditionalisme, le revendiquant ouvertement, comme le montre le message publié sur X lors du décès du « Menhir », dans lequel elle affirme qu’elle « n’abandonnera sa mission (…) confiée il y a treize ans » par son grand-père.