Le Haut-Karabakh, là où la terre n’est jamais légère

À l’automne 2022, l’Azerbaïdjan annonçait avoir découvert plusieurs fosses communes dans le Haut-Karabakh, un territoire non reconnu par la communauté internationale depuis sa déclaration d’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991 et reconquis par les forces de Bakou en 2020.
Je suis alors contacté par une agence de relation publique au service du gouvernement de l’Azerbaïdjan, qui me propose un voyage de presse. Un peu plus tôt, un de mes reportages, réalisé en Bosnie et publié sur Slate.fr, a reçu le prix Louise Weiss du journalisme européen 2022. Pour cet article, j’étais parti à la recherche des fosses communes disséminées sur les terres du génocide bosniaque commis par les Serbes durant le conflit en ex-Yougoslavie.
Pour celles et ceux qui ignorent ce que sont les voyages de presse, cette pratique peut être résumée de la manière suivante: le thème, le financement et les modalités d’un ou de reportages vous sont proposés «clés en main». Le journaliste n’est pas rémunéré, mais tous ses frais sont pris en charge. Pour un reporter indépendant comme moi c’est une aubaine, car les reportages à l’étranger sont souvent montés avec des bouts de chandelles.
On l’aura compris, le danger d’un tel accord est de perdre de vue le fait que vous n’aurez droit qu’à une seule version de l’histoire: celle de celui qui vous invite. À vous de ne pas tomber dans cet éventuel piège. Le deal qui m’a été proposé par l’agence était simple, voire simpliste: «Venez et dites ce que vous avez vu. Vous avez l’expérience des meurtres de masse et des crimes de guerre, nous ne pouvons pas vous raconter n’importe quoi. Et si quelque chose vous dérange, alors nous ne pourrons pas vous contraindre à publier l’article.»
J’ai accepté. De toute façon, il est impossible de se rendre dans la partie reconquise du Haut-Karabakh sans l’accord du gouvernement d’Azerbaïdjan. Entrer sur ce sol est quasiment interdit: si votre nom ne figure pas sur les tablettes des militaires qui contrôlent les checkpoints, vous ne passez pas. En outre, il s’agit de l’un des territoires les plus minés au monde. Il est donc impossible de s’y aventurer ne serait-ce que sur quelques mètres, sous peine de voir militaires ou accompagnateurs vous rappeler à l’ordre sur le champ.
Dans ce décor apocalyptique, nous comprenons rapidement que la question de la recherche et de la restitution des corps, d’un côté comme de l’autre, est l’un des enjeux majeurs de cette guerre tiède entre les États arménien et azerbaïdjanais.