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Le Régiment Azov et le nationalisme ukrainien

Par Stéphane François

Adrien Nonjon nous offre avec Le régiment Azov. Un nationalisme ukrainien en guerre (Paris, Le Cerf Éditions, 2023) la première étude circonstanciée, critique, historique et idéologique francophone du régiment ukrainien Azov, tant décrié. En effet, Azov partage aussi bien les Ukrainiens que les Occidentaux ; il a déjà été mis en cause dans plusieurs rapports d’Amnesty International quant à de possibles crimes de guerre dans le Donbass.

Cet ouvrage est à la fois précis, érudit et compréhensible pour le curieux, clair objectif et informé. Il ne s’agit pas d’un texte écrit à « chaud » pour répondre à une demande éditoriale, bien au contraire. Il s’agit d’un travail universitaire au long cours, Adrien Nonjon ayant commencé ce terrain de recherche plusieurs années avant le début du conflit, faisant des entretiens, collectant les matériaux théoriques, interrogeant les protagonistes.

L’auteur refait l’itinéraire d’Azov, et donc met en avant ses évolutions, depuis la révolution de Maïdan en 2014 et son apparition en tant que tel, jusqu’à aujourd’hui, mettant en avant les logiques idéologiques qui le sous-tendent. Ainsi, il montre le parcours de certains des dirigeants de l’unité, autrefois affiliés à d’anciennes structures ultranationalistes et néonazies ukrainiennes comme Tryzub ou Sitch14. De fait, l’auteur montre que le régiment Azov est à la fois mouvement nationaliste, parti politique et organisation paramilitaire. Ce positionnement a fait qu’il a d’abord attiré l’attention par ses insignes renvoyant à la symbolique du Troisième Reich et à la SS.

L’auteur montre également les filiations avec des mouvements radicaux nés dans les années 1990, qui passent par la création du Corps noir en 2014, dont le nom évolue rapidement, pour devenir le bataillon Azov. Celui-ci nait officiellement à Kharkiv. Contrairement à d’autres groupes radicaux, Azov se soumet à l’autorité de l’État ukrainien, et intègre en 2014 la Garde Nationale, une institution rattachée directement au ministère de l’Intérieur. Cette intégration n’a fait que nourrir les polémiques concernant d’hypothétiques convergences entre cette unité et l’État, offrant un prétexte au chef du Kremlin. Depuis 2014, il reste un enjeu sous-jacent du conflit russo-ukrainien. De formation d’extrême droite, désignée par la Russie comme néonazie, Azov est devenu pour les Ukrainiens le symbole de la résistance face à l’agression russe du 24 février 2022, défendant la ville de Marioupol et de son usine Azovstal pendant plus de trois mois. Son statut de martyr a changé son image auprès des Ukrainiens.

Grâce à cela, le régiment a pu faire l’acquisition de nouveaux armements, et moderniser sa doctrine, qui tend peu à peu à épouser les standards occidentaux. Surtout, cette intégration lui permet de revaloriser son image, passant d’un obscur bataillon ultra-nationaliste à un régiment d’exception ayant fait ses preuves dans la guerre du Donbass et à Marioupol. Cette mue a permis au régiment Azov à la fois d’élargir ses rangs et de se lancer en politique.

En outre, l’auteur réussit la gageure d’expliquer les tenants et les aboutissants de l’histoire, complexe, de l’Ukraine et du nationalisme ukrainien sans perdre le lecteur novice. En effet, l’Ukraine est un pays complexe, où se superposent différents enjeux, liés à la culture et à la mémoire. À la différence des autres nations du continent, l’Ukraine est jeune avec seulement trente ans d’existence en tant qu’État souverain et indépendant, mais ayant des revendications nationalistes (au sens d’un nationalisme d’existence) très anciennes, dès le XVIIIe siècle, voire un siècle plus tôt, à chaque fois écrasées par la puissance coloniale russe (URSS comprise). Ce n’est que dans les années 1990 que l’Ukraine accède à l’indépendance et débute son apprentissage de la démocratie. Il s’agit d’un processus de transition long, fait de tâtonnements qui sont caractéristiques de l’espace post-soviétique. Adrien Nonjon montre que ce nationalisme ukrainien peut être rapproché d’une forme de décolonialisme, à juste titre d’ailleurs.

Cet excellent ouvrage est capital pour comprendre les motifs de Vladimir Poutine quant à l’agression de l’Ukraine. En effet, il s’agissait officiellement de « dénazifier » ce pays, laissant sous-entendre qu’il ne s’agissait que d’une affaire interne à la Russie (niant au passage le droit à l’Ukraine d’être indépendante). Le régiment Azov a été un excellent prétexte, étant marqué à l’extrême droite identitaire et nationaliste. De ce fait, la parution de cet ouvrage est salutaire dans un contexte de propagande et de désinformation exacerbé de la part de la Russie. Il vise en effet à analyser un objet qui a suscité un emballement médiatique depuis le début de la guerre, mais dont la vision est le plus souvent partielle et partiale.

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