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« Ce sont les partis populistes qui dictent aujourd’hui l’agenda politique et médiatique »

Metropolis KultPropos de Jean-Yves Camus recueillis par La Liberté

- Le très bon score du Front national lors du premier tour des municipales est-il un pas de plus vers la conquête du pouvoir?

Jean-Yves Camus: Je n’irais pas aussi vite. Le FN ne présentait des listes que dans 597 des 37'000 communes que compte la France. Alors, certes, son bon résultat est inattendu. Il a déjà fait élire un peu plus de 400 conseillers municipaux et espère en avoir un millier à l’issue du second tour, ce qui le ramènerait au niveau historique des municipales de 1995. Mais ce succès ne rapproche pas pour autant le FN du pouvoir, sachant que la droite classique ne l’admet toujours pas comme un possible partenaire de coalition.

– Les bons résultats du FN aux municipales sont-ils des épiphénomènes locaux ou révèlent-ils une lame de fond «bleu Marine»?

Il y a incontestablement dans ce vote frontiste un «effet de marque». Quel que soit le candidat local, des électeurs ont voté en faveur de Marine Le Pen et du FN. De manière générale, ce scrutin municipal a d’ailleurs été partiellement influencé par des considérations nationales: crise économique, chômage, popularité en berne du président François Hollande et de son premier ministre Jean-Marc Ayrault. On a assisté à une élection référendaire, un vote sanction, comme c’est souvent le cas lors du premier scrutin suivant un changement de majorité. Cela dit, le bilan pour la majorité de gauche pourrait se rééquilibrer à l’issue du second tour de dimanche.

– Après les municipales, les élections européennes de mai prochain ne marqueront-elles pas une nouvelle victoire du FN?

Tous les ingrédients sont en tout cas réunis pour que son score soit encore plus fort. D’abord, ces élections se jouent à la proportionnelle. Le FN aura ensuite des listes dans toutes les circonscriptions. Enfin, le sujet de l’Europe est porteur pour lui. Marine LePen est seule à tenir un discours antieuropéen, en réclamant la sortie de la France de l’Union européenne, le retour au franc, et en critiquant les politiques d’austérité imposées par Bruxelles.

– Le FN est souvent qualifié de mouvement populiste. Qu’est-ce que ce terme recouvre?

Je suis très réticent à l’extension sans fin de la catégorie des populismes, où l’on range à la fois Marine Le Pen, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et Hugo Chavez (le président vénézuélien décédé l’an passé, n.d.l.r.). J’y vois une forme de condescendance des partis au pouvoir vis-à-vis de la volonté populaire. Il faut se garder, aussi bien à gauche qu’à droite, de l’idée que les partis populistes ne font qu’exprimer les passions d’un peuple ne sachant pas dans quelle direction aller. Après tout, chaque responsable politique qui part à la conquête du suffrage des citoyens est tôt ou tard un populiste. La vraie question posée à mes yeux par le FN touche au fonctionnement de la démocratie française.

– Que voulez-vous dire par là?

Depuis le début des années 2000, le climat politique a considérablement changé. On observe une immense défiance des citoyens vis-à-vis des élites politiques, accusées d’être sourdes aux aspirations de la base et de gouverner dans leur propre intérêt. Cette défiance induit une très forte aspiration à plus de démocratie directe, aspiration qui ne saurait être totalement écartée. Et ce même si je trouve ce type de démocratie directe nocif. Que donnerait en effet un vote populaire sur le rétablissement de la peine de mort? Et qu’est-ce que «l’immigration de masse» que les Suisses ont choisi de limiter? Ce n’est pas avec des questions aussi binaires que l’on peut déterminer des politiques publiques.

– Le FN, au nom de la démocratie, menace-t-il donc la démocratie?

Le FN est un parti républicain, mais dans l’histoire française, la République s’est conjuguée de diverses manières. Le parti de Marine LePen se rapproche d’une démocratie plébiscitaire et porte des résidus de bonapartisme. Opposé aux élites traditionnelles, il veut réduire la liberté du parlement et instaurer un lien plus direct entre le dirigeant suprême et le peuple, qui serait consulté régulièrement sur toutes sortes de sujets.

– Comment répondre à ces aspirations profondes à une démocratie plus directe?

Il faudrait mettre en place des mécanismes de démocratie participative afin d’associer la base à la prise de décisions. C’est un modèle de démocratie par le bas. Le projet du FN, au contraire, veut donner plus de pouvoir au peuple, mais par le haut, sachant que le dirigeant déciderait, après avoir consulté la base.

– A vous entendre, une longue marche sépare les populistes du pouvoir. Mais leur vrai pouvoir ne réside-t-il pas dans l’influence qu’ils exercent sur les partis traditionnels?

Quand on regarde l’évolution du débat politique en France, on observe que les idées du FN sont en effet plus acceptables qu’hier. On peut donc tout à fait imaginer que le parti n’arrive jamais au pouvoir, mais que son programme soit pour autant partiellement mis en œuvre. Car dans de nombreux pays, ce sont les partis populistes qui dictent aujourd’hui l’agenda politique et médiatique.

– Assiste-t-on à la même lame de fond populiste en France, en Suisse, aux Pays-Bas ou en Hongrie?

Il faut tordre le cou à la théorie d’une internationale d’extrême droite. Les partis populistes sont nationalistes. Ils répondent à une histoire politique propre, très différente d’un pays à l’autre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la constitution d’un groupe au Parlement européen a souvent tourné au vinaigre. Pour former un groupe, il faut réunir 25 députés – cela paraît jouable en mai – provenant de sept pays différents. Ce second seuil paraît autrement plus difficile à franchir.

– Le FN tente pourtant un rapprochement avec d’autres formations populistes européennes.

Marine Le Pen travaille certes avec les Flamands du Vlams Belang et le FPÖ autrichien, et tente un rapprochement avec le Néerlandais Geert Wilders (connu pour ses diatribes contre l’islam, n.d.l.r.). En revanche, elle ne veut pas s’allier aux néonazis grecs d’Aube dorée et aux Hongrois de Jobbik, qu’elle juge trop radicaux.

– La Suisse est souvent citée en exemple par ces partis.

Ce qui les intéresse forcément, c’est votre démocratie directe. Mais ces partis d’extrême droite ne regardent que les votations qui les arrangent: celles sur les minarets et sur «l’immigration de masse». Alors que les Suisses votent plus souvent, et davantage dans une démarche de démocratie participative.

– Pour vous, l’UDC est-elle un parti populiste?

Oui. Mais elle n’est pas issue de la même matrice idéologique d’extrême droite que le Front national, et à laquelle on la rapproche indûment en Europe. L’UDC est en effet un mouvement populiste d’origine agrarienne, c’est un parti qui a lutté sous l’égide de Christoph Blocher. En faire une sorte d’extrême droite suisse arrivée au pouvoir serait un non-sens total.