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Pour un humanisme numérique

 

Auguste-Rodin-DoodleFragments sur les Temps Présents a six ans (et pour l’occasion se voit intégré à google.scholar). Les hypothèses sur le lien entre fragmentation sociale et déplacement de la Périphérie sur le Centre semblent plus sensibles aujourd’hui. La constructions des savoirs par le lien fait entre divers objets paraît une évidence à l’ère des réseaux. Mais cela suffit-il à savoir ce que peuvent ou doivent faire sur internet les chercheurs en sciences sociales ? Pour l’occasion, nous avons décidé de questionner d’autres chercheurs qui, eux aussi, ont fait le choix de l’intervention dans les médias numériques.

A eux de nous dire ce qu’ils en pensent : comment doit intervenir socialement le chercheur ? quel rôle doit-il tenir sur le web ? que penser de l’idée d’ « humanités numériques » ? comment produire une « vulgarisation » pertinente et/car efficace ?

Le premier de ces invités est Fabien Escalona. Politiste, Ater à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, collaborateur scientifique au Cevipol (Université Libre de Bruxelles). il a codirigé (avec David J. Bailey, Jean-Michel De Waele et Mathieu Vieira) un ouvrage paru il y a quelques jours: European social democracy during the global economic crisis, Renovation or resignation?, Manchester University Press (cliquez ici pour une présentation de l’ouvrage). A côté de cette production académique, il ne néglige nullement les potentiels  et palette de formes du web. Il a rédigé des notes librement téléchargeables sur le site de la Fondation Jean Jaurès (avec Mathieu Vieira : Les idéopôles, laboratoires de la recomposition de l’électorat socialiste, février 2012 ; avec Mathieu Vieira et Jean-Michel De Waele, La social-démocratie des années 2000, janvier 2014). Il tient un blog (l’ensemble de son profil blogger étant ici). Il rédige une chronique de la recomposition des gauches sur Slate:

Depuis le début de mes recherches en tant que doctorant en science politique, j’ai pris l’habitude de les publiciser et de les diffuser sur Internet, à travers plusieurs canaux : un blog personnel, des contributions ou des interviews à des pure players, la mise en ligne de documents entiers sur un profil Academia… Je n’ai jamais théorisé cet usage du numérique, mais avec le recul je m’aperçois à quel point il s’intègre logiquement à ma conception du « métier » et du rôle social des chercheurs.

Premièrement, le Net permet de rendre plus facilement accessibles des articles, recensions, voire chapitres d’ouvrages, non seulement au lectorat « naturel » des collègues universitaires et des étudiants, mais aussi à un public potentiellement plus large. A l’heure où les éditeurs de publications scientifiques, en particulier des revues académiques anglophones, usent de pratiques tarifaires scandaleuses, ce geste m’apparaît salutaire. On peut d’ailleurs imaginer beaucoup de prolongements dans cet esprit, qui consisteraient par exemple à créer et à mettre à jour des bases de données sur la vie politique, qui s’avèrent souvent fastidieuses à obtenir pour les profanes ou même les chercheurs les plus éloignés des institutions les détenant.

Deuxièmement, le Net est un terrain privilégié pour une expression moins académique, à la fois en raison de la réactivité qu’il permet et du style d’écriture que l’on peut y adopter (en usant d’hyperliens pour ne pas alourdir le propos, mais en étant aussi libéré des contraintes d’espace parfois pénibles qui sont imposées par le « papier »). L’outil numérique est ainsi particulièrement adapté à un rôle de transmission, ainsi que d’éclairage voire d’animation du débat public, qui me semble essentiel mais doit être exercé sans renoncer à quelques impératifs (définir nos concepts, sourcer nos emprunts, oser s’exprimer de façon complexe si le réel que l’on décrit l’impose).

C’est ainsi que j’entends la « vulgarisation », que je préfère d’ailleurs appeler « intervention » : celle-ci revient à avancer des interprétations ou des points de vue reposant sur les connaissances accumulées, mais aussi des intuitions qui nécessiteront d’être confirmées par un travail plus pointu, obéissant à des procédures nécessairement plus longues de validation par les pairs. Les risques inhérents à ce genre d’intervention –en faire trop au détriment du travail de fond, verser dans l’éditorialisme, se complaire dans la mise en scène de soi, provoquer la jalousie des collègues– ne me semblent pas propres à l’outil numérique et se retrouvent dans l’audiovisuel et le « papier ».

De façon plus générale et plus prospective, à l’heure des restrictions de budgets et de postes, mais aussi des tendances à la standardisation et à la parcellisation du travail académique, le Net peut devenir un espace où certains objets et certaines traditions d’analyse trouveront refuge. Par exemple, et de façon paradoxale, des objets pourtant classiques de la science politique (en gros, les partis et les élections) ne sont pas ceux qui attirent le plus de reconnaissance institutionnelle et de ressources matérielles et humaines. Or, ils méritent mieux que des spéculations dites « politologiques » (alias le plateau BFMTV) ou au contraire l’enfermement dans un langage sophistiqué et abscons pour le citoyen éclairé (alias l’article en anglais bourré d’équations coûtant 50 dollars pour une location de 24h).

On peut donc faire l’hypothèse, ou émettre le souhait, que le numérique sera un outil au service de nouvelles formes de production et de diffusion de connaissances cruciales pour se repérer dans la vie politique contemporaine. Fragments des temps présents fait sans nul doute partie des défricheurs de ces potentialités.

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