Où va le Front de Gauche ?
Propos de Romain Ducoulombier recueillis par Lilian Alemagna, «Le Front de gauche a peur d’être satellisé par les socialistes», Libération, 9 novembre 2012, p. 11.
Au vu de leur longue histoire politique, en quoi les relations actuelles entre le PCF et le PS sont-elles atypiques ?
C’est le fruit du renversement des équilibres entre les deux formations. En 1945, le PCF était le premier parti de gauche, et de France. Depuis les années 70 et jusqu’à aujourd’hui, c’est le PS le poids lourd. Résultat, le Front de gauche est tétanisé par le spectre de la gauche plurielle. La peur d’être satellisé par les socialistes.
Ils n’ont absolument tiré aucun bénéfice électoral de leur participation au gouvernement Jospin. Le Front de gauche veut à tout prix éviter le destin que connaissent les écologistes.
Eux trouvent un moyen d’exister en disant «non» quand Europe Ecologie-les Verts est tenu à la solidarité…
Exister mais surtout trouver un équilibre entre critiques et identité de gauche. Il est logique qu’ils s’opposent au gouvernement sur les questions économiques issues de traités européens qu’ils dénoncent. Mais le Front de gauche risque aussi d’être tiraillé entre l’antisocialisme à la Mélenchon et des communistes soucieux de ne pas taper trop fort sur des socialistes avec qui ils gèrent les collectivités. S’ils tapent trop fort, ils savent qu’ils s’enfermeront dans le camp de la gauche qui refuse le système.
Voyez-vous d’autres périodes historiques qui ressemblent à celle ouverte au printemps 2012 ?
Cela me rappelle une situation totalement oubliée aujourd’hui. En 1918, la SFIO (le PCF n’existait pas encore) s’opposait ouvertement à Clemenceau et à l’Union sacrée. Mais elle a maintenu très discrètement trois commissaires au gouvernement jusqu’en mai 1919 ! Une façon de prendre avec les mains ce qu’on repousse du pied… Le PCF est, dans un contexte très différent, dans une situation similaire vis-à-vis du PS d’aujourd’hui. On vote non, puis on se rend à Matignon. Cependant, on peut penser que les tensions vont s’aggraver, d’autant que le PS n’a jamais autant affirmé sa conception sociale-démocrate. Et cette évolution n’est pas pour rapprocher les deux partenaires.
Les périodes 1983-1986 ou 1988-1993, lorsque le PS avait besoin des voix PCF à l’Assemblée sans participation des communistes au gouvernement ?
Ces périodes peuvent être mises en parallèle… Mais tout le travail du PS depuis 1971 est de se débarrasser de cette dépendance communiste. On voit comme c’est gênant pour eux lorsque celle-ci se manifeste comme ces derniers jours au Sénat !
Pourquoi ces deux partis fonctionnent en permanence dans un rapport de force ?
C’est une forme de marchandage, soit sur du contenu, soit pour des postes. Mais, pour l’instant, le Front de gauche utilise le non comme moyen de pression mais n’obtient rien. Néanmoins, cela pourrait donner des idées aux autres alliés, les écologistes ou les radicaux. Même si le PS est très puissant à l’Assemblée nationale, ces contestations le handicapent.