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Février 34 : l’affrontement

Parution d’Olivier Dard et Jean Philippet, Février 34 : l’affrontement, Paris, Fayard, 2024, 752p.

Présentation de l’éditeur : Le spectre des années trente plane sur la France d’aujourd’hui. Des mobilisations de masse récentes comme les gilets jaunes ont ravivé la mémoire de l’émeute sanglante du 6 février 1934, largement assimilée à une tentative de coup de force fasciste des ligues. La réalité fut bien plus complexe.

Olivier Dard et Jean Philippet s’appuient sur un dépouillement systématique des sources pour replacer cette journée au cœur d’une séquence de deux ans, de « l’hiver du malaise » de 1932-1933 à l’échec de « l’union nationale » autour de Doumergue à l’automne 1934. Ils racontent au plus près du terrain, entre Paris et la province, l’affaire Stavisky et ses multiples rebondissements, les coulisses et le déroulement de la manifestation meurtrière du 6 février, de même que ses répliques, tout aussi violentes, des 7 et 9 ainsi que du 12, marqué par une grève générale.

En examinant les multiples acteurs de ces journées – membres des ligues, communistes, forces de l’ordre ou simples passants –, cette somme propose une lecture renouvelée du 6 février 1934, par-delà les mythes et les récupérations.

Professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université, Olivier Dard est un spécialiste d’histoire politique et tout particulièrement des années trente. Outre une synthèse sur le sujet (Les années trente. Le choix impossible, LGF/Le Livre de poche, 1999) et une étude sur Le rendez-vous manqué des relèves des années 30 (PUF, 2002), il a notamment publié des biographies consacrées à Bertrand de Jouvenel (Perrin, 2008) et à Charles Maurras. Le nationaliste intégral (Dunod/Poche, 2023).

Docteur en histoire de Sciences Po, Jean Philippet est chercheur indépendant après une carrière de conseiller parlementaire dans les deux Chambres. Sa thèse « Le temps des ligues. Pierre Taittinger et les Jeunesses Patriotes » fait autorité sur le sujet.

Fayad propose de lire librement en ligne l’introduction et le premier chapitre. Nous reproduisons ci-dessous les lignes introductives :

Le spectre des années trente planerait-il sur la France des années 2020 ? Un parallèle est régulièrement dressé pour alerter sur le caractère potentiellement détonnant d’une défiance marquée vis-à-vis des élites gouvernementales et de leurs soutiens partisans. Celle-ci est alimentée par la suspicion que génèrent des liens entre argent et politique et matérialisée par des affaires de conflits d’intérêts et de corruption. La comparaison entre les deux périodes se nourrit également de l’audience rencontrée par des « populismes » d’inspiration nationaliste et de la vigueur d’une protestation incarnée en 2017-2018 par le mouvement des Gilets jaunes. Cette dernière a remis au goût du jour un antiparlementarisme que beaucoup d’observateurs pensaient disparu. Comparaison n’est évidemment pas raison, mais février 1934 parle sans doute davantage à la France d’aujourd’hui qu’il ne l’aurait fait à celle d’un passé proche.

Revenir sur le 6 février 1934, cette manifestation ayant tourné à l’émeute place de la Concorde et où le sang a coulé, s’avère nécessaire afin de souligner l’importance d’une crise et la force d’un événement souvent érigé en symbole de la « fièvre hexagonale » et des « guerres franco-françaises » contemporaines. L’épisode, dominé par la mobilisation des ligues et qui a raison d’un gouvernement investi le 6 et démissionnaire dès le lendemain, a grandement marqué les contemporains. Ils ont accumulé à son sujet récits, références et représentations qui ont structuré leur vision de la France au moins à court et à moyen terme. En regard, le 6 février 1934 est demeuré un parent pauvre de l’historiographie. On retiendra l’ouvrage que lui avait consacré Serge Berstein en 1975. Publié dans la collection « Archives », il resituait cette émeute dans la crise des années trente et en proposait un récit principalement fondé sur les travaux publiés par la commission d’enquête parlementaire chargée de « rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934 ». L’ouvrage fut des décennies durant considéré comme la référence sur le sujet. En effet, si de nombreuses études sur les figures et les forces politiques économiques et sociales, l’histoire des mobilisations collectives (manifestations, grèves) ou le « fascisme français » des années trente ont croisé le 6 février, aucune synthèse nouvelle ne lui fut consacrée jusqu’au récit qu’en a proposé le journaliste Pierre Pellissier en 2000. Plus récemment, les historiens britanniques Brian Jenkins et Chris Millington, pourfendeurs de l’école de René Rémond et de ses disciples érigés en défenseurs rigides de la « thèse de l’immunité » de la France au fascisme ou d’une « histoire refoulée », ont refusé de considérer le 6 février comme « un événement circonscrit par son résultat immédiat, ni comme l’une des fièvres récurrentes de la France » s’achevant le 7 février avec la nomination de l’ancien président de la République Gaston Doumergue à la présidence du Conseil. Ils y voient « une étape cruciale dans une crise en cours et prolongée de la Troisième République, comparable à des développements parallèles se déroulant ailleurs ». Les manifestations des jours suivants – le 7, quand l’émeute gronde de nouveau jusqu’à la Grille du Coq à l’Élysée, puis la démonstration communiste du 9 avec ses barricades et ses échanges de coups de feu dans l’Est parisien, les cortèges communistes et socialistes du 12 février et la grève générale du même jour – n’ont pas donné lieu à des travaux documentés permettant de reconstituer, comme la commission d’enquête formée après les événements l’a fait, le continuum des « journées » de février 1934.

C’est fort de ces constats et controverses que nous avons entrepris de proposer cet ouvrage qui achève un long cheminement. Il commence par une première rencontre à la fin du siècle dernier entre Jean Philippet, engagé dans une vie professionnelle prenante tout autant que passionnément investi dans un travail doctoral monumental consacré au « temps des ligues », et Olivier Dard, alors jeune maître de conférences en histoire, qui avait soutenu sa thèse sur cette période et continuait ses recherches en la matière. Ce premier échange avait été marqué par une discussion en détail sur la crise des années trente et le 6 février. Par la suite, les relations se sont encore approfondies tandis que s’imposait l’idée de reprendre dans le cadre d’un ouvrage commun la question du 6 février. La base allait en être constituée par la masse des dépouillements réalisés pour Le temps des ligues, en particulier les archives inédites de la commission d’enquête avec leurs nombreux documents riches en informations de toutes natures et celles de la préfecture de police qui permettent de comprendre comment les erreurs d’organisation du service d’ordre ont abouti au drame sanglant que l’on connaît3. Mais les avancées de ce travail ne suffisaient pas. En effet, vingt ans après sa soutenance, de nouvelles archives s’étaient ouvertes, notamment du côté du parti communiste, des sources inédites avaient été publiées, comme les Mémoires du lieutenant-colonel de La Rocque. Parallèlement, l’historiographie s’était enrichie de travaux importants concernant l’histoire des droites et de certaines de ses figures majeures, mais aussi la violence politique et les politiques de maintien de l’ordre. C’est à l’aide de cette somme de réflexions et de documentation que nous avons entrepris cet ouvrage.

La construction retenue procède de choix mûris, à commencer par celui du titre. Le livre ne s’intitule pas « Le 6 février 1934 » mais « Février 34. L’affrontement », tant il s’agit d’intégrer la célèbre journée dans une séquence plus large, celle d’une confrontation violente et durable qui, au-delà de l’émeute de la place de la Concorde, a polarisé la société française bien après l’arrivée de Gaston Doumergue à la présidence du Conseil. Prendre la mesure de cette séquence impose donc d’en faire ressortir les causes profondes et de montrer que février ne saurait seulement être entendu comme une flambée ou un coup de colère, mais, au contraire, avec juin 36, comme le premier des deux pivots de l’entre-deux-guerres.

Les prodromes sont essentiels et un premier jalon est à rechercher du côté des conséquences des élections législatives de 1932 remportées par le néo-cartel des gauches (une alliance électorale mais non gouvernementale entre radicaux et socialistes) et de l’impuissance des gouvernements à sortir la France de la crise polymorphe qui la frappe. En face, les droites parient sur l’échec de leurs adversaires. Comme à l’époque du premier cartel des gauches, les droites parlementaires aspirent à voir s’opérer au Parlement un renversement d’alliances comparable à celui qui avait permis le retour de Raymond Poincaré aux affaires, en s’appuyant au besoin sur la rue, comme en juillet 1926. De Poincaré à Doumergue, la boucle serait-elle bouclée, même si le sang a beaucoup coulé en 1934 à la différence de 1926 ? Un simple raisonnement par analogie serait très réducteur et justifie la nécessité de planter le décor d’une France de 1933 troublée par une situation économique qui se dégrade et des nuages qui s’accumulent sur le plan international à l’heure où les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne. Le contexte est inflammable, ce qu’illustre la force des mobilisations ligueuses durant cette année de bascule qui s’achève dans la boue de l’escroquerie des bons de caisse du crédit municipal de Bayonne mettant le nom de Stavisky au cœur de l’actualité.

L’affaire Stavisky est le détonateur de notre histoire tant elle cristallise les griefs contre la République parlementaire et électrise les oppositions. L’ampleur des compromissions nouées entre « Sacha » et une partie des élites en place comme les conditions de sa mort survenue le 8 janvier 1934 et jugée très suspecte par une presse qui retient davantage la thèse d’un assassinat que celle d’un suicide, nourrissent une campagne menée principalement par L’Action française de Charles Maurras et Léon Daudet. En face, les atermoiements et les compromissions du président du Conseil, le radical Camille Chautemps, son refus jugé suspect de constituer une commission d’enquête parlementaire, ont raison de son maintien au pouvoir. Acculé, il finit par démissionner pour être remplacé par Édouard Daladier, celui-là même dont le gouvernement doit être investi le 6 février au soir. Entre-temps, le dégoût a gagné l’opinion et nourri les mobilisations de la rue parisienne tout au long du mois de janvier et des premiers jours de février 1934. Le limogeage du préfet de police Jean Chiappe fait le reste. Certaines manifestations, comme celles du 27 janvier lancée par l’Action française, du 4 février menée sous la houlette de l’Union nationale des combattants ou du 5 février impulsée par les Croix-de-Feu, sont fondamentales pour comprendre les mots d’ordre, l’état d’esprit et les méthodes de ces organisations qui ont appelé à manifester le 6 février et qui sont habituées et entraînées à battre le pavé. Ce point est capital, car si la manifestation est exceptionnelle par l’ampleur de la mobilisation et la violence des manifestants, il va falloir s’interroger sur leurs rôles respectifs et leurs attitudes au cours de la soirée du 6 février pour saisir dans quelle mesure elles auraient ou non agi différemment de d’habitude. Ainsi, si certaines des manifestations précédentes ont pu être violentes et avoir occasionné de nombreuses déprédations, le sang n’a jamais coulé comme à la Concorde.

Comprendre février 1934 impose de proposer le récit le plus précis possible de trois soirées marquantes, le 6, le 7 et le 9, moments au cours desquels Paris, ou plutôt certains de ses quartiers, s’embrase, tandis que les morts atteignent quelques dizaines et les blessés plus d’un millier. Une radiographie précise de la soirée du 6 donne à voir que les troubles s’étendent sur près d’un quart de la superficie de la capitale, et ce, à des degrés variables selon les lieux et les moments. La Concorde, avec ses assauts et ses charges, est l’épicentre de l’événement, mais on ne saurait négliger les Grands Boulevards, le secteur de l’Hôtel de Ville d’où s’ébranlent les élus municipaux ou encore les mobilisations de la rive gauche, ce boulevard Saint-Germain où, comme de coutume, les ligues ont appelé au rassemblement. C’est donc bien à un voyage dans le Paris insurgé plusieurs heures durant que nous convions le lecteur, qui y croisera des militants des ligues, des anciens combattants, y compris communistes, mais aussi des curieux et des passants parmi lesquels on compte des victimes. Février à Paris ne se limite cependant pas à la soirée du 6, même si elle en est le symbole. Une place importante doit être faite à la fin d’après-midi et à la soirée du 7 où des ligueurs ulcérés entendaient revenir dans la rue pour en découdre avant de se voir délivrer par leurs chefs la consigne de rentrer chez eux, Doumergue ayant accepté de former un nouveau gouvernement. Leur absence n’a pas empêché une forte agitation et de graves déprédations. Il faut compter encore avec la soirée et le début de la nuit du 9, d’abord l’affaire des communistes qui, ce soir-là, tiennent la dragée haute aux forces de l’ordre dans certains de leurs bastions, sur fond d’échanges de coups de feu et de nouveaux morts.

La centralité de Paris au cours de ces soirées est évidente, mais pour comprendre leur retentissement à l’échelle du pays il importe de déplacer le regard vers la province. Le 6 février, les ligues y ont aussi défilé ; un point souvent oublié puisque ces manifestations n’ont nulle part connu l’afflux populaire ni les débordements de leurs homologues parisiennes, à l’inverse des mobilisations provinciales, beaucoup plus conséquentes, de gauche qui se déploient les 9 et 12. Cette dernière date est également essentielle à l’échelle parisienne, puisque la manifestation du cours de Vincennes est auréolée de l’image de la « fusion » des cortèges socialistes et communistes, du jamais-vu depuis la scission du congrès de Tours de 1920 et le divorce politico-syndical qui en avait résulté. Ce chassé-croisé droite/gauche et Paris/Province est un élément essentiel de ce qui se joue en quelques jours en février 1934 : la gauche réinvestit la rue aux dépens de ses adversaires. S’agit-il d’un tournant ? Nous montrerons que, malgré différentes tentatives au cours des mois suivants, les droites nationales et nationalistes n’ont pu ni su durablement reprendre la main, faute de pouvoir, à l’exception des Croix-de-Feu, bénéficier d’un afflux militant né du 6 février. S’il est connu pour être l’acmé des ligues, le 6 février peut aussi interroger sur la datation de leur déclin et permettre de comprendre le faible impact du premier anniversaire de l’évènement, le 6 février 1935.

Un dernier choix chronologique se posait et concernait la date par laquelle il fallait clore notre récit et nos analyses sur la séquence ouverte par Février. Si on la circonscrit à l’opposition des ligues et des gauches, ou pour le dire autrement au combat fascisme/antifascisme, Février s’inscrit dans un processus qui pourrait couvrir l’ensemble des années trente, et même le second conflit mondial. Que l’on songe ici aux vers de Robert Brasillach rédigés le 5 février 1945, la veille de son exécution, lorsqu’il évoque « le jour indistinct où sont tombés les nôtres » : « Sur onze ans de retard, serai-je donc des vôtres ? Je pense à vous ce soir, ô morts de Février. » Notre perspective est différente. Nous n’avons pas voulu limiter le 6 février aux mobilisations de rue, notamment ligueuses, mais prendre la mesure du rôle joué par les grandes figures modérées du régime tertio-républicain dans la crise, de Pierre Laval à André Tardieu. Nous avons tenu aussi à insister sur l’importance de la réforme de l’État. Ce thème, largement présent dans le débat public avant la crise, est au cœur des discours critiques contre la République parlementaire dont les détracteurs attendent du gouvernement Doumergue qu’il la mène à bien en s’appuyant sur les nombreux essais et plans qui nourrissent les travaux de la commission créée à cette fin. Cette effervescence est un échec, puisque le président du Conseil, porteur d’une réforme pourtant timide, tombe en novembre 1934, victime de la conjonction du rejet qu’il inspire aux radicaux et à Pierre-Étienne Flandin qui le remplace. L’échec de cette réforme marque pour ses promoteurs la fin de l’espoir de voir la IIIe se transformer, et avec lui l’impasse de l’Union nationale née du choc du 6 février. Que Flandin reprenne à bas bruit des projets de réformes de l’État et transforme significativement la présidence du Conseil au début de 1935 ne change rien au constat dorénavant posé par les détracteurs du régime : la séquence ouverte après le 6 février est bien close et la République parlementaire a eu raison de l’ambition révisionniste.

Dresser un bilan de février 1934 est une autre ambition de ce livre qui n’entend pas seulement en livrer le récit. Un premier souci est de proposer des évaluations aussi précises que possible sur l’ampleur des dégâts matériels perpétrés comme sur le nombre et la sociologie des victimes, tant du côté des forces de l’ordre que des manifestants. La nature des blessures occasionnées aux hommes, mais aussi aux animaux (chevaux) nous renseigne sur les armes et les projectiles utilisés et permet de souligner, au-delà de leur intensité, par quels moyens et selon quelles modalités les heurts se sont matérialisés.

Mieux comprendre les violences de Février impose de les remettre en perspective avec celles qui ont été perpétrées en janvier et dont l’intensité fut moindre, même si la tendance est déjà au durcissement. Il s’agira donc de mesurer les responsabilités des protagonistes, en commençant par celles des manifestants et de leurs chefs, de La Rocque aux dirigeants de l’Action française et des Jeunesses patriotes : que voulaient-ils réellement et quels ordres ont-ils donnés à leurs troupes ? Le problème se pose également du côté des autorités, incarnées notamment par le ministre de l’Intérieur, Eugène Frot, et le nouveau préfet de police, Adrien Bonnefoy-Sibour, dont il faudra interroger les choix quant au dispositif de maintien de l’ordre retenu et à leurs carences. Cette question est inséparable des effets liés à l’éviction-mutation houleuse par Édouard Daladier de Jean Chiappe, en place à la préfecture de police depuis de nombreuses années et cible de la gauche qui l’accusait régulièrement de connivence avec les droites ligueuses.

Un troisième volet du bilan concernera les institutions, leur fonctionnement et leurs dysfonctionnements, pour comprendre comment un président du Conseil, Édouard Daladier, investi légalement mais dans le plus grand des tumultes le 6, démissionne dès le lendemain après des atermoiements de plusieurs heures. Notre ambition est de donner à voir comment les institutions, de la présidence du Conseil à l’Élysée, ainsi que les forces politiques réagissent à la crise. Février 1934 met la rue au centre des images et des controverses, mais est-ce finalement elle qui décide ? Il lui faudrait pour cela disposer de chefs suffisamment représentatifs et en capacité de proposer une alternative. Nous montrerons que comprendre la crise de février invite à passer constamment d’une scène à l’autre, des ministères à la présidence de la République en passant par l’Hôtel de Ville de Paris pour saisir au plus près le jeu de bascule qui permet, en quelques heures au cours de la journée du 7 et tandis que se précise le départ de Daladier, de faire sortir Doumergue de sa retraite de Tournefeuille. C’est donc du cœur même du régime que se trouve la solution à la crise dont on sait pourtant que les manifestants souhaitent, sinon l’abattre, du moins le voir se transformer en profondeur. Ce paradoxe, que reflète la composition du gouvernement Doumergue, pose question et pourrait donner à penser que l’intéressé n’est qu’un nouveau Poincaré : 1934 ne serait-elle pas que la redite de 1926 ? L’analogie, souvent mise en avant, sera relativisée tant il apparaît que l’onde de choc de février 1934 est beaucoup plus forte que celle de juillet 1926. L’affrontement ébranle alors le système en place et nourrit une polarisation idéologique croissante. À droite, les plus décidés des ligueurs se défient de leurs organisations comme de leurs chefs et s’interrogent sur la possibilité et les modalités de construction d’un fascisme français au fur et à mesure qu’ils tirent les leçons de la crise et refusent celles qui leur sont proposées. À gauche, l’ébranlement des journées de février conjugué au revirement de la IIIe Internationale communiste qui abandonne la tactique « classe contre classe » provoque une redistribution des cartes : l’Unité d’action des partis marxistes est la première étape de la mise sur pied d’un Front populaire avec les radicaux. Si, à l’automne 1934, la concentration républicaine (alliance du centre droit et des radicaux) semble avoir de nouveau triomphé et signe, du point de vue des dirigeants de la IIIe République, la fin de la séquence, l’insatisfaction née de l’incapacité du régime à se transformer en profondeur renforce les oppositions qu’il suscite à droite et qui entraînera après l’interdiction des ligues en 1936 la naissance de nouveaux partis politiques de masse.

Dresser le bilan du 6 février signifie enfin s’attacher à ses récits, légendes et ses mythes. Nous entendons bien retracer les origines et les étapes de leur construction, entreprise dès cette époque par les dirigeants politiques ou une presse enflammée. Les uns comme les autres ont longuement disserté sur les mitrailleuses qui auraient fauché les manifestants, les lames de rasoir installées au bout de cannes qui auraient coupé les jarrets des chevaux, les égouts par lesquels les émeutiers devaient pénétrer dans la Chambre des députés ou encore le poids de la pègre incarnée par Paul Carbone et les siens, réputés être des suppôts de Chiappe et montés à Paris pour y fomenter des troubles. Ajoutons-y bien sûr les multiples déclinaisons d’un « attentat » ou d’un complot fasciste perpétré par les ligues contre la République qui est au cœur des mémoires de gauche ou les thèses, bien représentées du côté des droites nationales et nationalistes, qui brandissent une provocation policière ourdie par le ministre de l’Intérieur et un régime « pourri » qui aurait voulu en finir avec des « honnêtes gens » qui n’entendaient que manifester leur dégoût et qui l’ont payé de leur vie ou de graves blessures.

On le constate, quand on aborde février 1934, le champ d’investigation est vaste. Ce n’est pourtant qu’après avoir raconté, analysé, démonté cette séquence qu’il sera question d’en proposer une nouvelle interprétation.

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  1. Société - tortuepatiente | Pearltrees

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