À l’extrême droite, l’antisémitisme est-il « résiduel » ?
Parution : Nicolas Lebourg, « À l’extrême droite, l’antisémitisme est-il « résiduel » ? », RevueAlarmer, mis en ligne le 30 mai 2025, https://revue.alarmer.org/a-lextreme-droite-lantisemitisme-est-il-residuel/

L’adjectif « résiduel » a été récemment utilisé par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pour qualifier l’antisémitisme d’extrême droite, en considérant que désormais la haine des Juifs était l’affaire de l’islamisme et de l’extrême gauche. Il reprenait ainsi le qualificatif de Jean-Luc Mélenchon, qui avait écrit quelques mois auparavant que « Contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France.»Durant les campagnes électorales de 2024 en France, le Rassemblement national (RN) s’est présenté comme le bouclier des Français juifs. L’actualité paraît ainsi renfoncer le storytelling entretenu depuis une quinzaine d’années, selon lequel l’extrême droite ne serait plus antisémite, voire deviendrait solidaire des Français juifs. Autour de ce sujet sont souvent mis en avant des déclarations philosémites de ténors nationaux-populistes. D’autre part, les révélations publiques de prétendus « dérapages » antisémites de candidats malheureux du RN sont monnaie courante. Pour circonscrire le phénomène, il faut distinguer les modes d’expression de cet antisémitisme. Les questions des violences, de la place accordée aux marqueurs antisémites dans la communication des partis, et de l’expression culturelle sont trois dimensions qui se recoupent pour distinguer la place de l’objet au sein de ce champ politique.
Mesurer la violence antisémite d’extrême droite
L’attribution des faits violents n’est pas une science exacte. Les services de police le reconnaissent eux-mêmes : un rapport de synthèse de la Direction centrale des Renseignements généraux (DCRG) pour l’année 1982 exposait avoir exclu du bilan annuel de l’extrême droite 11 attentats antisémites à Paris, les enquêtes en cours travaillant cette piste mais sans certitude acquise[1]. En outre, selon une enquête publique, sur la période 2013-2018, seules 14 % des victimes de menaces ou violences physiques racistes et 2 % des victimes d’injures racistes déposent plainte. Ce « chiffre noir », selon l’expression en usage, des délits racistes non-enregistrés, est dû soit au fait que la victime ne veuille pas porter plainte, soit au fait d’une formation encore trop légère des forces de l’ordre à leur bon enregistrement[2].
De 1979 à l’été 1980, 325 actes de violences, dont 50 attentats à l’explosif, furent imputés à l’extrême droite[3]. Cette phase implique essentiellement des militants néo-nazis, ce qui est souligné tant par les signatures des groupes clandestins que par le choix des cibles. L’exemple prototypique en est le Groupe Joachim Peiper, dont le nom renvoie à un ancien Waffen-SS. Sa signature se retrouve lors des attentats contre le siège de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH, juillet 1976), de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, août 1976), de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE, octobre 1976), du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP, août 1976 ; novembre 1976 ; juillet 1977), contre deux des avocats de ce dernier (juillet 1977), etc.
Cette dynamique connut une amplification à la suite de l’attentat palestinien contre la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980 (4 morts et 46 blessés). Dans un premier temps, l’extrême droite fut soupçonnée, en raison de l’infiltration d’un militant sioniste dans le principal groupuscule néonazi de l’époque, lequel communiqua une fausse revendication auprès de la presse[4]. Le massacre engendra une déferlante de violences d’extrême droite qui allaient plus que doubler par rapport à 1979. 85 % des 76 actions antisémites d’extrême droite (contre 25 l’année précédente) se déroulèrent dans les quatre derniers mois de l’année, montrant bien l’effet d’entraînement de Copernic[5]. Le leadership des néonazis dans cette phase de violences explique la croissance parallèle de celles visant les Juifs et les militants de gauche (15 en 1978, 16 en 1979, 32 en 1980) dans une opposition doctrinale au « judéo-bolchevisme ». Le nombre d’actions antisémites diminua ensuite, au bénéfice d’une envolée des actes anti-maghrébins. En 1980, les violences antisémites représentaient 31 % des violences d’extrême droite ; elles n’en constituaient plus que 7 % en 1985[6].
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Notes
[1] DCRG, « Violence politique-Bilan annuel », 1er février 1983, p. 6, Archives Nationales (AN)/20090417/14. Les archives citées sont accessibles sur dérogation.
[2] Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2019, 2020 [en ligne :https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/L-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-CVS/Rapport-d-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-2019%5D
[3] Directeur des Renseignements Généraux au Directeur de la Réglementation, 8 février 1979, 3 p. ; idem, 21 juillet 1980, 8 p. (AN/19990426 /5).
[4] Jacques Walter, « L’attentat de la rue Copernic (3 octobre 1980) : piste et fausse piste de l’extrême droite. Temporalités, revendications, attributions », dans Béatrice Fleury et Jacques Walter (dir.), Violences et radicalités militantes dans l’espace public en France des années 1980 à nos jours, Paris, Riveneuve, 2020, 566 p., pp. 487-524.
[5] DCRG, « Extrême droite bilan 1980 », janvier 1981, 2 p., AN/20090417/14.
[6] Direction centrale de la Police Judiciaire, « Bilan annuel de l’activité des services. Sixième division : 1987 Lutte contre le terrorisme », p. 2, AN/20090417/14 ; DCRG, « Extrême droite : la violence politique d’extrême droite », décembre 1985, p. 2, AN/20090417/11.