Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française

Première parution : Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française : propagande collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique », dans Olivier Dard dir., Références et thèmes des droites radicales IDREA III, Bern, Peter Lang, 2015, pp. 101-138.
Dans la France libérée, la collaboration militaire constitue l’une des marques d’infamie essentielles. En jugeant que la SS a constitué une organisation criminelle, le Tribunal de Nuremberg exclut la représentation de combattants ordinaires. Conséquemment, les collaborationnistes ayant combattu sur le front de l’Est doivent travailler à une narration des faits qui réhabilite leur capital social personnel et relégitime non pas le national-socialisme allemand, mais leur vision du monde. Les poursuites légales et la réprobation morale se conjuguent pour empêcher que ce travail se fasse par la voie de l’activisme politique. La révision historique du Front de l’Est passe donc par le combat culturel et la concurrence des représentations, en particulier à travers la production romanesque – d’autant que si le droit français encadre fortement la pratique politique, il assure en revanche très amplement la liberté de création artistique. La matière première des auteurs ne repose pas sur des archives mais sur des souvenirs (glanés ou les leurs) ainsi que sur l’image projetée par les organes de propagande pour l’engagement sur le front de l’Est (Le Combattant européen, Devenir, La Jeune Europe ou Signal[2]).
Originellement affaire de la marge la plus radicale ostracisée, cette construction identitaire s’est avérée une question travaillant toutes les extrêmes droites, et, ce, dans toutes leurs dimensions idéologiques (éthique, projet géopolitique, rapport conçu entre centre et périphérie, référentiels, etc.). La normalisation de l’engagement passé dans la Werhmacht et la Waffen-SS sous la forme d’un « lieu de mémoire » constitue ainsi l’un des premiers terrains de la « métapolitique » que la Nouvelle droite conceptualisera plus tard[3]. Cela ne souffre guère d’illogisme : les romanciers Jean Mabire ou Saint-Loup sont tout à la fois des producteurs essentiels de l’esthétique romanesque du front de l’Est et du corpus idéologique néo-droitier – Saint-Loup publiant en 1963 son premier livre sur les engagés du front de l’Est, soit au moment où s’opère la mue d’Europe-Action. Cette pratique a contribué à une redéfinition racialiste du nationalisme, d’autant que le racialisme comporte, tel que le définit Stéphane François, une explication de l’histoire par la question raciale[4].
En outre, dans un champ politique qui repose moins sur un corpus doctrinal que sur une « vision du monde », et dans une société où l’industrie du divertissement de masse façonne les identités, il serait une erreur de s’intéresser aux seuls textes néo-droitiers à prétention intellectuelle et de délaisser la culture populaire représentée par les romans historiques. Pour ces producteurs du passé, il s’agit de dépeindre une Waffen-SS autonome de l’hitlérisme, romanesque, héroïque : ce serait une avant-garde révolutionnaire (1) La trilogie que publie Mabire au tournant de la décennie 1970 constitue en la matière un objet singulier, réceptacle, matrice et diffuseur de cette rénovation de l’image des volontaires de l’Est, entre métapolitique et lieu de mémoire (2). S’extrayant de l’ombre des crimes contre l’Humanité, le front de l’Est ne serait que la dernière étape en date d’un affrontement géopolitique entre Orient et Occident où la SS aurait tenu son rang (3). Cette relecture conduit certes à une réécriture de l’histoire, mais également à une redéfinition des buts politiques présents (4)[5].
Une avant-garde révolutionnaire ?
Après-guerre, les volontaires français ont eu très vite à cœur de conter leur propre version de leur engagement. Le contexte le nécessite : outre les témoignages d’expérience de guerre, a été fondé, dès le 20 octobre 1944, le Comité d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France. Malgré l’intitulé, les approches se focalisent sur la Résistance[6]. Cependant, les premiers récits autobiographiques des engagés sur le front de l’Est sont produits dès la fin de la décennie 1940[7]. Il y a donc un temps d’interactions et de concurrences. Il faut attendre l’après-1968, pour que des études universitaires se penchent sur la question du collaborationnisme armé français, et soulignent l’importance de l’adhésion idéologique des recrues au projet du Nouvel ordre européen[8]. De même que les recherches sur Vichy et les formes de Collaboration sont ainsi dans le même espace temporel que la « vague rétro » en cinéma et littérature, ces publications se situent dans le moment où les livres de Saint-Loup et Mabire revisitent l’histoire des SS français à leur avantage[9]. Pour répondre à une demande sociale manifeste, la concurrence histoire-mémoires est nette, avec deux points de fuite opposés : les recherches dévoilent le projet et la trajectoire idéologique des engagés (à l’extrême droite), la fiction et l’autobiographie présentent des individus plus désidéologisés, avec des marqueurs faisant rupture quant à ceux socialement établis du nazisme (européisme, néopaganisme), moins inscrits dans les fondamentaux de l’extrême droite (oscillations idéologiques).
Pierre Clémenti (François Clémenti dit) est de ces collaborationnistes prenant la plume, publiant en fuite La Troisième paix dès 1949. Fondateur en 1934 du Parti Français National-Communiste, il l’a rebaptisé Parti Français National-Collectiviste à la demande de l’Occupant et a déclaré la guerre à l’Angleterre « à titre personnel ». Le PFNC a un socle idéologique fasciste, une vision du monde contre-révolutionnaire, des références aux socialistes français (Proudhon, Blanqui), une volonté d’étatisation partielle de l’économie, et l’antisémitisme. Le début de l’Occupation voit Clémenti refuser l’idée d’une Collaboration au bénéfice de celle d’une Alliance entre le Reich et la France, mais il soutient aussi Pierre Laval et il participe à la fondation de la LVF. Il rejoint lui-même le front de l’Est. Il est condamné à mort par contumace en 1948. Son ouvrage est un plaidoyer pro domo qui ne peut être réalisé qu’en dépassant son propre cas afin de réenvisager le sens de l’engagement pro-nazi. Significativement, son opuscule est édité aux « éditions de la Jeune Europe », en référence au journal Jeune Europe présentant le front de l’Est comme la construction de l’Europe[10]. Clémenti se dit convaincu que les nouvelles nécessités de la lutte anticommuniste mèneront vite à la réhabilitation des SS. Il souligne que lui et ses proches n’ont jamais voulu la victoire de l’Allemagne nazie, mais celle de l’Europe socialiste. Il voit dans la jonction des anciens nazis et fascistes d’Allemagne, d’Italie et de France, ainsi que dans les anciens résistants anti-communistes, la base d’une possible édification d’une troisième voie européenne fondée sur la naissance d’un Etat unique pour ces trois nations. Contre le matérialisme communiste et capitaliste, ils pourraient éventuellement trouver demain un soutien dans une Union soviétique s’éloignant du marxisme au bénéfice d’un socialisme national. Cette évolution de son regard sur l’URSS, il explique la devoir à son séjour sur le front de l’Est, où il a découvert « ce magnifique peuple [russe], sain, dru et bon »[11].
Les buts de guerre passés sont donc différenciés du combat pour l’Allemagne, tandis que l’attitude vis-à-vis des communistes et des Russes implique une représentation autre que celle d’une avancée perpétrée à coups de crimes de masse. On retrouve cette conception chez d’autres « anciens » et, finalement, dans la réorganisation même des structures nationalistes. Membre du Parti Populaire Français, Jean Castrillo rejoint les Schutzkommandosen 1942. Il est envoyé en Norvège, puis est versé dans la Division Charlemagne. L’engagement armé est un élément assez transformant et le front de l’Est un lieu de mémoire si établi qu’en 1991 il synthétise ses expériences de guerre en affirmant : « je ne peux pas dire que j’étais national-socialiste en 1941. Je suis devenu national-socialiste en 1941 au fur et à mesure que je me battais sur le front de l’Est. » Emprisonné par les Russes, il devient slavophile et se convertit à l’orthodoxie. Il s’entend remarquablement avec certains officiers russes et estime que le stalinisme recouvre en fait un nationalisme. Ensuite emprisonné en France, il affirme s’être rendu au cinéma une fois libre, afin de voir un film traitant de l’extermination dans les camps. Il s’insurge et récuse la possibilité de tels actes, au motif de l’attitude qu’il affirme avoir vu parmi les SS. L’expérience du front devient un mode de légitimation personnel du négationnisme. Castrillo rejoignit ensuite Europe-Action, dont le nationalisme blanc correspond parfaitement à ce néo-nazisme défait des hiérarchies internes à la race blanche qu’il a adopté à l’Est, de son engagement armé à son emprisonnement[12]. Europe-Action empruntait par ailleurs son expression de « réalisme biologique » à un autre SS français, René Binet (passé antérieurement par le trotskysme, le parti communiste, et le PPF), fondateur en 1951 du Nouvel ordre européen par scission du Mouvement Social Européen[13]. Divers ex-Waffen-SS avaient participé à la fondation du MSE, et se retrouvait en celui-ci le thème de la propagande pour l’engagement sur le front de l’Est qu’était l’unification de la « jeunesse nationale d’Europe ». L’échec du MSE mène aussi à la création en Allemagne par l’ancien Waffen-SSArthur Ehrhardt de Nation Europa avec l’aide financière de Georges Albertini, Maurice Bardèche, Oswald Mosley et de l’ancien secrétaire d’Etat de Goebbels, Werner Naumann[14]. Autrement dit, sans que nul ne théorise la chose, l’échec du parti, comme celui de l’activisme, entraîne, dès les années 1950, le passage d’un certain nombre de cadres à ce que l’on nomma vingt ans plus tard la métapolitique.
Quoiqu’il s’inscrive dans une perspective de l’action militante et de la fidélité à son engagement armé, Binet pose nombre de bases de ce que seront les courants néo-droitiers et nationalistes-révolutionnaires. Reprenant le titre du journal de la LVF, Binet est l’un des premiers à entreprendre dans son Combattant européen une guerre culturelle par rétorsion des signes. Binet exprime d’une manière gauchisante son national-socialisme, son discours évoque plus Otto Strasser qu’Himmler. Sa prose peut être liée à celle de Lucien Rebatet qui après 1942 en appelle dans Je suis partout à une entente en bonne intelligence entre communisme et « socialisme aryen »[15]. Dès 1946, Binet écrit que « Les Volontaires du Front de l’Est (…) qui ont été des pionniers de la nation européenne, ont aujourd’hui la joie de lancer les premiers mots d’ordre et d’aider à dresser le premier rempart de la nouvelle résistance contre la nouvelle occupation ». C’est pourquoi le titre achève ce retournement symbolique en proclamant qu’il constitue la « voix de la France libre ». Il s’agit, par l’union des anciens résistants communistes et des ex-Waffen-SS, de renverser le cours d’une Histoire dont le moteur est « la substitution lente ou rapide des races aux races »[16]. Cette perspective participe d’un plan politique.
En 1946, selon les Renseignements Généraux, un groupe d’anciens Waffen-SS français constitue un clandestin Groupement d’Auto-défense, un réseau en charge d’assurer la liaison des mouvements d’extrême droite[17]. En 1947, un clandestin Comité National de Coordination affirme en un mémorandum qu’il faut infiltrer des cadres dans les mouvements anticommunistes, afin d’orienter la vie politique par ce réseau occulte, et d’en conclure « Nous sommes la nouvelle résistance… ». En 1951, se recristallise l’opposition entre pétainistes et collaborationnistes, les seconds se groupant autour de l’hebdomadaire Rivarol[18]. La participation au Front de l’Est n’est plus tant le signe d’une trahison patriotique que la mise en avant d’une troupe de soldats révolutionnaires, se voulant apte aux activités de manipulation occulte du politique. La subversion de la clandestinité peut aller de pair avec la volonté d’inclusion aux référents sociaux admis. Ainsi, de la création en France d’une section nationale de l’association d’entraide des anciens SS (HIAG, fondée en 1951, reconnue d’utilité publique en République Fédérale d’Allemagne en 1959), placée sous le patronage de Maurice Bardèche et, elle aussi, active dans la diffusion du négationnisme[19].
En sus d’un contenu « révolutionnaire », les anciens Waffen-SS ont donc légué une posture, faite de rodomontades, d’un refus du reniement, de don de soi quand tout serait perdu, etc. A ce stade, toutefois, cela relève de l’underground, et court le risque évident de se transformer en culture de « ghetto ». L’écrivain Jean Mabire joue un rôle essentiel pour permettre que le politique et le culturel fonctionnent ensemble de manière plus populaire.
Les représentations faites par Binet sont en effet très proches de celles popularisées par Jean Mabire lors de sa participation au journal L’Esprit public de 1962 à 1965. Mabire y revient régulièrement sur le nazisme, pour le présenter comme une forme de romantisme. Militant pour une perspective européiste et racialiste (de par son magistère sur les Jeunes de l’Esprit Public et au sein du mouvement Europe-Action fondé par Dominique Venner), il affirme que l’internationale nationaliste n’est pas à construire mais à reconstruire, puisqu’elle aurait été édifiée à la fois dans la Waffen-SS, dite trahie par le pangermanisme, et les maquis, dits trahis par le panslavisme[20].
Mabire connut le succès grand public à travers ses récits consacrés aux Waffen-SS. Ses premières productions romanesques sur le sujet, une trilogie (La Brigade Frankreich en 1973, La Division Charlemagne en 1974 et Mourir à Berlin en 1975), furent de véritables best-sellers, tous édités par la prestigieuse maison d’édition Fayard et réédités peu de temps après en livre de poche[21]. Signe de son succès, un peu plus d’un an et demi après sa parution en novembre 1973, les 31 900 exemplaires de la Brigade Frankreich tirés par Fayard ont été vendus[22]. Aux éditions le Livre de Poche, 13 100 exemplaires avaient été vendus de La Division Charlemagne en février 1978[23].
Mabire reprend la création d’un homme nouveau, ce thème central de la conception totalitaire, pour le mettre en scène tel un fil rouge qu’il dévide tout au long d’un récit initiatique. Le point zéro de ce parcours moral est la défaite de 1940, trauma originel des futurs volontaires, symbole de la décadence française. L’aventure, elle, « commence le 22 juin 1941, à l’aube »[24] avec l’invasion de l’URSS. Il s’ensuit une progression partant du Français lâche de 1940, indiscipliné et porté sur l’alcool, vers l’héroïsme et l’ascétisme du Waffen-SS « européen ». Plus largement, court une opposition entre les soldats de la Wehrmacht associés à ceux de la LVF, réactionnaires, nationalistes chauvins, chrétiens et plus âgés face à la jeunesse européiste, révolutionnaire et idéaliste des « vrais » Waffen-SS. Cette représentation est certes le fruit des tensions internes passées entre ex-LVF et SS : selon James Gregor de sérieux antagonismes opposèrent les membres d’une ex-LVF empreints d’une conception nationaliste hexagonale et catholique, et des SS français européistes, nazis, néopaïens[25]. Mais elle correspond aussi fort bien aux tendances historiques de l’extrême droite française. Se reconnaît là la division entre « nationaux », réactionnaires, et « nationalistes », révolutionnaires, imposée par la publication par Dominique Venner de Pour une Critique positive en 1962.
La tension entre partisans de Maurras et ses hérétiques évoluant vers le fascisme, avant et durant la guerre, celle entre vichystes et collaborationnistes[26], cette propension à vouloir qu’une école révolutionnaire d’anciens collaborationnistes manœuvrent les mouvements de l’extrême droite nationale-populiste après-guerre, encore réalisée en 1966 par Europe-Action dans le cadre de sa tentative clandestine de manipulation des extrêmes droites par un comité clandestin[27], tout cela renvoie bien à cette articulation spécifique entre extrême droite réactionnaire et radicale et, en l’espèce, se retrouve dans cette double image de réactionnaires de la LVF et de révolutionnaires de la SS. Cela fortifie du même coup la légitimité des renouvellements via la mise en avant du néopaganisme, de l’européisme, ou l’idéologie du Sol et du Sang. Autrement dit, le récit historique pousse les radicaux à concevoir que le renouvellement et la dédiabolisation de l’extrême droite passe par la reprise de schèmes correspondant à la SS française… Le paradoxe est évident, mais empirique, et structurant. L’imaginaire du front de l’Est se nourrit et nourrit la bipolarisation de l’extrême droite française.
Métapolitique et lieu de mémoire : le cas Jean Mabire
La révolution culturelle à laquelle en appelle Venner en 1962 pour forger le « nationaliste » a été pleinement vécue sur le front de l’Est à en croire ce qu’en disait la propagande SS (dans le premier numéro de Devenir Joseph Darnand affirmait que cette « armée révolutionnaire » avait rompu avec les vieux nationalisme et socialisme, Marcel Déat spécifiait que tels les « soldats de l’An II » les SS détruisaient l’ordre ancien au bénéfice de l’Europe[28]), et cette renaissance tant du volontaire que de la géopolitique se retrouve dans les livres de Mabire. Toute une série d’épreuves rythment ce passage vers une nouvelle humanité, qui sont autant de sélections. La biographie des volontaires vue par Mabire évoque le « voyage du héros » théorisé par Joseph Campbell dans Le Héros aux mille visages, réédité dans une version révisée en 1968 – et bénéficiant ensuite du succès populaire de Star Wars : a new hope (1977) qui s’en inspire. « La route n’est plus qu’une piste de boue où ils s’enfoncent jusqu’aux genoux. La vision de ce cloaque cingle les Waffen-SS français mieux que n’importe quel discours. Ici commence un autre monde » écrit Mabire[29]. Le national-socialisme est élevé au rang de foi, de religion face à la IIIe République parlementaire ou aux guerres intestines déchirant collaborateurs et collaborationnistes entre eux. Mais, à tout prendre, l’œil du lecteur cherchant à interpréter historiquement la représentation, verrait certes en ces hommes des fascistes, mais non des nazis.
Mabire avertit le lecteur que depuis son engagement dans la guerre d’Algérie, il a « gardé l’habitude de laisser seulement les guerriers juger les soldats ». D’ailleurs, il ne « s’agit pas de donner aux SS français raison ou tort »[30]. Une attention obsessionnelle est portée à une décoration qui devient le symbole par excellence de la bravoure : la croix de fer. Alors même que se multiplient les épisodes mettant aux prises un faible nombre de « résistants » Waffen-SS avec une multitude de Russes, on pense aux guerriers des Thermopyles. C’est là une thématique récurrente du thème littéraire de l’épopée que l’on retrouve dans d’autres récits du front de l’Est[31] .
Outre quelques considérations de géopolitique militaire, Mabire nous invite à suivre cette expérience guerrière au ras du front, à la manière des journalistes-soldats de la Waffen-SS. De très nombreuses conversations sont rapportées. Les héros sont présentés par de courtes descriptions qui les singularisent, à la manière de croquis pris sur le vif. Cette attention portée aux hommes est consubstantielle de la manière même dont l’auteur a travaillé. Mabire s’est essentiellement appuyé sur la parole des acteurs provenant de récits autobiographiques, ainsi que sur de nombreux témoignages récoltés par lui et Eric Lefèvre. Le travail du romancier s’apparente à une entreprise de médiatisation des souvenirs, à la production d’un récit catalysant les divers témoignages individuels, publiés ou pas. Il n’opère pas de critiques des matériaux : pour Mabire, la reconstitution a posteriori, l’erreur, l’affabulation ne sont pas supposées exister chez le témoin ex-collaborationniste.
La principale source d’influence se trouve sans conteste dans l’œuvre de Saint-Loup, mais, plus encore que celui-ci, Mabire s’emploie à rendre acceptable ces souvenirs, les dissociant des mémoires du national-socialisme et de l’extermination des juifs d’Europe. Les Français du front de l’Est deviennent des « ingénus au cœur d’un système totalitaire » qui « ne furent jamais mêlés à des tâches policières » et « ne participèrent pas au monde des camps de concentration ». Tous les motifs d’adhésion évoqués peuvent sembler respectables, que ce soit l’ « idéal politique, le « goût de l’aventure et du risque », l’« attrait du métier de militaire quel que soit l’uniforme », s’imaginer que « les Allemands vont gagner la guerre » ou encore croire « à la croisade contre le bolchevisme et la naissance d’une Europe nouvelle »[32]. Cette manière de présenter les « vaincus » comme des idéalistes s’ancre dans des lieux communs forgés dans les prisons de la Libération[33]. Pourtant, cette thématique même relaye la propagande d’époque, ainsi de la vaillance au combat de la Waffen-SS, reprise et souvent présentée comme vérité historique après 1945 au regard du nombre impressionnant de croix de fer récoltées par ces unités. Cette distribution était en fait volontairement extrêmement généreuse dans le but de « fabriquer des héros »[34]. Dès le premier numéro de Devenir, un reportage sur la façon dont la SS forgeait un homme nouveau européen s’achevait en certifiant que les engagés reviendraient régénérer la France en proclamant : « La parole est aux croix de fer »[35]. Les engagés français, en particulier la LVF, n’ayant pas brillé sur le front, cette imagerie est d’autant plus nécessaire (certains de ceux qui sont toujours présentés tels anciens du front de l’Est n’ont guère connu que l’arrière du dit front).
Mabire affirme avoir forgé ses romans avec une « rigueur historique »[36]. L’attente dessinée par ce pacte de lecture ne relève pas du vraisemblable, comme c’est le cas des romans historiques, mais bien du véridique. Et pourtant, ces récits ont selon lui une « couleur romanesque »[37]. Le style développé, mêlant spectaculaire, héroïsme et érotisme, permet une grande intensité d’évocation. Comme Saint-Loup, Mabire ne présente pas ses analyses historiques et politiques en les dissociant de la narration, mais en les plaçant dans la bouche de ses protagonistes. L’anachronisme devient ainsi archive par le biais du métarécit, conséquence logique d’une conception culturelle du politique que Mabire expose : « pour moi, la politique n’a de sens que si elle s’inclut dans un tout plus vaste (de l’archéologie à la métaphysique par exemple) »[38].
Dans cette production, l’identification avec les « héros » se fait par le biais de la bravoure. Ce sont avant tout des soldats d’élite, se battant pour une cause perdue. Le point de vue téléologique joue ici à plein pour relégitimer les hommes au nom du « c’est bien plus beau parce que c’est inutile » de Cyrano de Bergerac – ainsi de l’image d’Henri Fenet, SS français présent dans le bunker d’Hitler lors de la fin, ou de celle de Christian de La Mazière, dandy SS. Ces romans mettent en scène des Soviétiques usant d’une débauche de moyens techniques et d’artillerie face aux Waffen-SS qui se battent avec la seule force de leur héroïsme. Le symbole même de cette lutte est le corps à corps engagé avec les chars soviétiques, Panzerfaust à la main, le courage et la volonté face à l’acier. L’auteur transfigure ses héros en moines-soldats : « à la veille de remonter en ligne, il reste encore quelques jours à vivre dans un état de dénuement et de pureté que les SS français n’avaient encore jamais connu et qui leur paraît la raison même de leur engagement »[39]. L’engagement dans la SS devient un geste respectable car preuve de désintéressement – parmi les écrivains on ne s’appesantit pas sur les documents de propagande pour l’engagement détaillant les menus gourmets qui sont censés être servis aux SS… En revanche, lorsque Mabire insiste sur le regard de ces Waffen-SS qui « brûle d’un feu étrange »[40], ne reproduit-il pas l’impression laissée par les affiches de recrutement ?
Mabire convoque des trajectoires individuelles que les mémoires gaulliste et communiste jusque-là dominantes ne peuvent expliquer. C’est par exemple la figure de Jean Bassompierre, « lieutenant (…) réputé « fasciste » [qui] lutte énergiquement contre l’armée italienne »[41]. Il participe à la « vague rétro », en étant ainsi à l’origine d’un numéro spécial très diffusé d’Historia sur « L’Internationale SS », médiatisant sur un autre mode les principales thématiques de ses romans[42]. Il s’inscrit parfaitement dans cette vision jouant sur l’attraction-répulsion :
« Qu’ils haïssent les vainqueurs ou qu’ils les envient, et parfois les deux ensembles, [les Français de 1940] n’en sont pas moins fascinés par ces adolescents blonds (…). Pour les garçons de quinze ans plus que pour tous les autres c’est une armée luciférienne qui marche sur les routes de France. En ce mois de juin 1940, les guerriers de la Wehrmacht possèdent la splendeur de l’enfer »[43].
La jeune génération se passionne pour ceux que leurs aînés ont voulu oublier. D’ailleurs, Mabire s’est largement inspiré des Réprouvés de Von Salomon Ce roman largement autobiographique, qui raconte l’engagement dans les Corps Francs allemands au lendemain de la défaite allemande de 1918, a été réédité en livre de poche en 1969 et est particulièrement apprécié, aussi bien par Dominique Venner que dans la nébuleuse de la Nouvelle droite, ou par les néofascistes d’Ordre Nouveau[44].
Cette expérience des volontaires du front de l’Est est double. Présentée comme irréductible à toute autre, ses protagonistes évoluent dans « un monde à part », un univers où règne « une toute autre dimension du bien et du mal »[45]. Pourtant, une actualité lui est donnée. Mabire joue à la fois sur la mémoire littérale, qui construit l’évènement comme unique pour ne pas dévaluer l’objet mémoriel, et la mémoire exemplaire, qui reconnaît des traits communs avec la situation présente[46], nécessaire pour entraîner l’adhésion du lecteur lambda. Les Waffen-SS français défendant Berlin face aux Soviétiques deviennent les descendants des émigrés huguenots français qui avaient contribué à construire la capitale allemande. Ce sont également des « « soldats perdus » », référence aux combattants des guerres d’Indochine et d’Algérie que le lecteur de culture « droitière » ne peut manquer de comprendre[47]. Dans le sillage de Mai 68, ils sont même dépeints en « contestataires [qui] refusèrent en bloc le monde que leurs cadets veulent détruire aujourd’hui »[48]. Cela ne saurait être portant interprété comme un signe de non-conformisme de l’auteur.
La décomposition de la mouvance Europe-Action a donné jour à une nébuleuse, cherchant à réaliser la liaison avec la mouvance ultra-gauche issue de Mai 68 grâce à une reformulation intense de schèmes idéologiques racialistes, prônant une Europe des régions ethniques sous le nom de « socialisme européen », soit une formule empruntée à Binet qui reprenait celle de Marcel Déat justifiant le collaborationnisme politique et militaire[49]. Déjà, Pierre Vial (neveu de Clémenti, issu de Jeune Nation, futur cadre dirigeant du FN et meneur de l’association Terre et Peuple) avait lancé un bulletin Socialisme européen qui se voulait « un laboratoire d’idées à partir duquel puissent se définir les possibilités d’action », en présentant le racialisme dans un discours très « à gauche »[50]. L’extrême droite radicale est globalement concernée par ce mouvement, ainsi des néonazis de la Fédération d’Action Nationaliste-Européenne (fondée en 1966 par l’union de trois groupes, dont le Cercle Charlemagne, dénomination en référence à la division SS éponyme, groupe socialiste-européen de scissionnistes du Jeune Europe de Jean Thiriart, lui préférant Emile Lecerf[51]). Ils suivent dans le même temps la même optique de jonction des extrêmes, estimant que les enfants de René Binet et de Che Guevara peuvent faire cause commune[52]. L’œuvre romanesque de Mabire est bien le versant « métapolitique littéraire » d’une stratégie « métapolitique groupusculaire » qui, avec la Nouvelle droite se meut progressivement en métapolitique stricto sensu. Dominique Venner, qui l’a bien connu, n’affirme-t-il pas que « Pour Jean, littérature et politique ne pouvaient être séparées »[53] ?
Cette dimension métapolitique est à la fois dirigée vers le grand public et vers les extrêmes droites, afin de les faire évoluer de l’intérieur. Déjà au sein de L’Esprit public, au lendemain de la perte de l’Algérie française, Mabire avait largement contribué à convertir les nationalistes issus de l’OAS et des luttes coloniales à l’Europe des ethnies et au « socialisme » antimarxiste. Si, depuis, les éléments lexico-idéologiques se sont diffusés, les hommes n’ont pas forcément été réhabilités : même dans les derniers soubresauts d’Europe-Action, lorsque Bousquet et Clémenti prennent le contrôle de ce qui reste de son Rassemblement Européen de la Liberté, une vague de démissions s’opère contre une main-mise de ces anciens du front de l’Est[54]. La représentation maléfique des SS est donc un point acquis jusque dans l’extrême droite radicale – non, il est vrai, sans que l’affaire ne soit compliquée par des aspects financiers, mais alors même que la formation interne prévoit des séances sur l’Apartheid ou Mein Kampf[55].
Mabire continue donc une décennie après ses papiers à L’Esprit public à jouer le rôle d’« éveilleur » à travers le médium romanesque. Lue très largement dans la société de la décennie 1970, la trilogie de Mabire n’en est pas moins un lieu de mémoire constitutif d’une contreculture radicale de droite. Les critiques dans la presse d’extrême droite de l’époque ont été largement positives, d’autant que ceux qui assurent la critique de l’ouvrage partagent souvent des vues avec l’auteur quant au sujet. Jean-Paul Rondeau loue dans la revue de Bardèche la force d’évocation des récits[56] tandis que l’organe du Front National parle d’apothéose tragique[57]. L’accueil le plus marqué et le plus chaleureux se trouve dans les colonnes de Rivarol, hebdomadaire lu dans de larges cercles d’extrême droite. Les comptes-rendus dithyrambiques d’un André Doutart avalisent les principales thématiques mabiriennes. Les volontaires Waffen-SS auraient bien lutté pour une Europe unie et socialiste, pour une mystique lumineuse dans une armée internationale. Bien mieux que les pâles révolutionnaires d’aujourd’hui, eux étaient de vrais « contestataires de la société plouto-démocratique de leur époque ». La conclusion est sans surprise : « ce récit de Jean Mabire devrait avoir pour suite logique la réhabilitation de ces combattants, qui, jusqu’au bout, restèrent fidèles à leur serment »[58]. Le promoteur de la trilogie était d’autant mieux placé dans cette situation de passeur qu’il s’agit d’un ancien de la Waffen-SS, avalisant les mythes devenues réalité sous la plume de Mabire[59].
« Beaucoup de jeunes veulent aujourd’hui savoir ce [que les Waffen-SS français] furent vraiment, hors de la passion partisane qui transfigura, dans un sens ou dans un autre, leur histoire » affirme Mabire[60]. Mais nul doute qu’en particulier les jeunes d’extrême droite soient en demande de textes affirmant une contre-histoire. Derrière cette posture se trouve une antienne d’extrême droite constitutive de cette vision singulière du passé : tout chercheur objectif devrait dénoncer l’ « histoire officielle ». Face à l’histoire des vainqueurs se dressent les témoignages de ceux pouvant affirmer : « j’y étais ». « Non-conformisme », « vérité » et réhabilitation tendent souvent à s’imbriquer dans un langage propre aux galaxies droitières. Le journal Le Combat européen que dirige Pierre Clémenti au sein du NOE a ainsi marqué son adhésion au premier tome de Mabire en affirmant trouver sa vision objective et sincère[61]. La revue du GRECE Nouvelle Ecole qualifiait quant à elle le roman d’« histoire vraie des volontaires français de la Waffen-SS »[62].
Toutefois, la tendance à l’entre-soi est préoccupante pour ceux qui rêvent de débouchés politiques. L’impact de l’œuvre de Mabire est assez fort pour que, dans les années 1980, Jean-Gilles Malliarakis, le leader du Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire puis de Troisième Voie, mette en place ce qu’il appelle « la démabirisation » : la purge régulière de militants trop influencés par Mabire, flirtant par trop avec l’idéologie du Sol et du Sang, risquant de commettre des violences[63].
L’entre-soi demeure bien une des conséquences courantes de ces importations culturelles dans le politique (on trouve le même problème avec la diffusion de l’œuvre de Julius Evola durant la même décennie). Les héros mabiriens savent que « leur seul avenir sera de porter témoignage. Non pas tant d’un idéal que d’une attitude »[64]. On est là dans cette conception de « veilleurs » au sein de « l’interregnum » très typique des extrêmes droites redécouvrant la Révolution conservatrice, et en particulier de la Nouvelle droite, avec les tendances à démobiliser l’action que cela comporte[65]. Mais, c’est aussi par ce biais stylistique que l’œuvre de Mabire a pu être incorporée dans une culture politique dépassant les cloisonnements entre divers courants d’extrême droite.
Cette trilogie venait comme en écho à la critique de la décadence, en 1969, faite par Jean-Marie Le Pen : « à une époque où l’athéisme fait de redoutables progrès, le besoin ressurgit d’un ordre moral avec d’autant plus d’acuité que le relâchement des mœurs est grand. Aujourd’hui, les jeunes veulent des certitudes, non des problèmes. Dans cette optique, le SS, avec son uniforme, c’est un peu le prêtre avec sa soutane. Disparu dans une apocalypse de feu, de bombes et de sang, le soldat de Hitler est devenu un martyr pour ces jeunes à la recherche d’une pureté, même si c’est celle du mal » [66]. Il comprend, mais n’adhère pas, car Jean-Marie Le Pen est un « national » et non un « nationaliste ». Néanmoins, l’extrême droite radicale retrouve là ce qu’elle est souvent : une position plus esthétique et culturelle que politique, plus élitiste que portée sur les masses, moins régime qu’état d’esprit et posture. Ces romans sont faits de la somme de courages individuels qui débouchent sur l’homme nouveau. Les masses, caractéristiques du totalitarisme fasciste mais absentes d’un néo-fascisme français qui ne pense le politique que par la théorie des minorités agissantes, se retrouvent rejetées du seul côté soviétique.
Que ces valeurs soient ou non qualifiées de « fascisme » chez les militants et sympathisants, la trilogie mabirienne qui les porte participa à la production d’un ethos identitaire de l’extrême droite radicale. Au soir de sa vie, Mabire est revenu sur sa carrière d’écrivain et a mis en lumière un thème récurrent dans son œuvre : ses héros ont en commun d’être des « aventuriers », de vivre dangereusement face à une société bourgeoise conformiste[67]. On retrouve ici l’un des ingrédients du succès des romans historiques, à savoir présenter des épopées et évènements glorieux tranchant avec la grisaille et la routine du quotidien[68]. Mais, puisque ces romans sont avant tout une représentation des représentations faites par les « anciens », la chose est logique. A la lecture du Combattant européen de la LVF, Simon Epstein note qu’étant donné la médiocrité de l’activité militaire de l’unité « Augier, soldat-écrivain, doit donc transfigurer une activité de seconde ligne (…) en épopée romantique et sauvage »[69]. Cette représentation erronée étant cependant un fait de l’époque concernée, donc pouvant être avancée comme élément de preuve, et ayant forgé les esprits des acteurs, elle participe à une auto-représentation de légitimité, menant finalement Saint-Loup à présenter des titanomachies dans ses romans.
L’opposition entre une « droite de l’argent » et une droite révolutionnaire, entre ceux qui acceptent le « Système » en faisant mine de le combattre, les « nationaux », face aux opposants véritables refusant toute compromission les « nationalistes », est ici rejouée, amplifiée par la puissance romanesque et les possibilités d’identification lui afférant. Ces Waffen-SS « réprouvés » deviennent des modèles pour une extrême droite se vivant comme ostracisée. Elle dont les militants, surtout les plus jeunes, ont tendance à la fois à dénoncer le rejet dont ils sont victimes tout en le cultivant, pourquoi ne se reconnaîtraient-ils pas dans ces « maudits » de la Waffen-SS ? Le stigmate devient une revendication et une communauté mémorielles. Les militants des extrêmes droites sont en permanence renvoyés au passif criminel du Nouvel ordre européen nazi : retourner le stigmate en posture de non-conformisme, de détention d’un savoir spécifique quant à ce qu’eût été « réellement » la SS, en somme être en possession d’un savoir quasi-ésotérique face à « l’histoire officielle », c’est transformer son image de soi et se doter d’un capital culturel. Il faut en somme tout changer au passé pour le vivre au présent.
Un théâtre eurasiatique
L’opprobre qui couvre les ex-engagés du Front de l’Est ne touche pas qu’au questionnement politique, mais aussi éthique. Le théâtre d’opérations doit donc devenir un théâtre humain. La propagande collaborationniste présentait l’engagement à l’Est comme une entrée dans la chevalerie : il est devenu le symbole du déshonneur et de la félonie. Les milieux communistes enfoncent le clou. Quand en 1948 est arrêté et condamné un mineur de 19 ans, dit être un ancien volontaire SS venant d’assassiner le plus vieux membre d’un ménage à trois homosexuel auquel il participait, L’Humanité relate les faits en liant tout ensemble le vice pédérastique, la pulsion de meurtre et l’engagement collaborationniste. L’affaire de mœurs devient un fait politique, et si le jeune homme est condamné à perpétuité, le quotidien communiste lâche lapidairement : « Il méritait la mort »[70]. La représentation forgée par l’extrême droite radicale doit donc être l’envers de ce travail. Chez Mabire, le Français SS est à la fois Roland et Don Juan :
« Chabert voit bien que les Russes arrivent et songe qu’il va falloir rapidement donner l’ordre de repli. La fille se colle de plus en plus contre lui. C’est une invitation que l’aspirant n’a jamais repoussée. Les isbas flambent, les bombes tombent, les balles miaulent. Mais l’oberjunker Chabert embrasse à pleine bouche une jolie fille. De la main droite, il ne lâche pas sa mitraillette russe à chargeur circulaire. De la main gauche, il déboutonne le corsage, puis plonge sous la jupe. La fille se glisse sous l’officier français qui commence à lui faire l’amour tout en surveillant « Ivan » par les fentes du grenier »[71].
Le SS de Mabire tient du personnage de James Bond, mais correspond aussi à la matière des mémoires de nombreux anciens engagés, érotisant les pratiques de viols, ou, telle l’autobiographie de l’ancien de la Division Charlemagne Christian de La Mazière (1972), décrivant les effets du charme de l’uniforme SS. Se trouvent également chez eux, de manière systématique, la référence aux Huns ou à Gengis Khan. La Mazière affirme ainsi qu’en Poméranie les mères reconnaissantes offraient leurs filles vierges aux SS français afin qu’elles ne soient pas « déflorées par des Mongols » lors de l’arrivée de l’Armée rouge[72]. L’imaginaire est net : au SS français la virilité et la séduction aristocratiques, aux barbares le viol de masse. Saint-Loup pousse le raisonnement à son extrémité politique. Là où de La Mazière voit l’effet du charme, Saint-Loup décrit un projet : pour ne pas être fécondées lors des viols collectifs perpétrés bientôt par « les Huns » les femmes est-européennes se donneraient aux volontaires SS afin d’être assurées d’être enceintes d’enfants de race blanche. Le sexe n’est plus affaire libérale d’individus mais s’inscrit dans un projet certes totalitaire mais populaire d’hygiène de la race[73].
Néanmoins, tout cela ne suffit pas à tisser un récit rendant compréhensibles ces acteurs du repoussoir que constitue la « barbarie » nazie selon un terme devenu commun. Le thème des « maudits » et « réprouvés » constitue une grille romantique assez adéquate en cette période de décomposition du rock’n’roll et d’émergence de contre-cultures mettant en exergue l’esthétique de la marge. Il est totalement à l’inverse de l’un des arguments ressassés par la propagande prônant le collaborationnisme armé, à savoir que, grâce aux volontaires pour le front de l’Est, la France s’offre la possibilité de participer honorablement à l’après-guerre postérieure à la victoire du III e Reich. Même quand en mars 1944 Jean-Marie Balestre : décrit dans Devenir les engagés français tels des « parias » victimes des « préjugés » lors de leur départ, il certifie en effet que les SS français savent qu’Hitler « les conduira au triomphe total, et ils savent aussi que, grâce à eux, la France y aura participé »[74].
Quoique historiquement erroné, le thème du romantisme vitaliste permet de réhumaniser les SS mémoriellement. Mabire suscite une « empathie » au sens grec du terme, un sentiment d’appartenance à une même humanité, en pendant à la déshumanisation des Soviétiques. Le lecteur entre dans leur catégorisation du monde via l’emploi de termes spécifiques. Les ennemis deviennent des « partoches », ou « Ivan » au singulier. Impossible d’ailleurs d’avoir une quelconque connivence avec ces derniers. Aucune figure individuelle soviétique n’est présentée au lecteur, ce ne sont que des masses.
La figure de l’Armée rouge est, en somme, redevable de celle si populaire à la fin du XIXe siècle des hordes mongoles que le « péril jaune » pourrait faire déferler sur l’Europe. Le théoricien du parti nazi Alfred Rosenberg insiste dans son Mythe du XXe siècle sur le fait que la Révolution russe représente une libération du sang mongol et de sa soif de déferlement sur l’Europe. Lui et Hitler dépeignent un bolchevisme mobilisant le sang asiate pour détruire l’Europe aryenne, comme jadis les Huns auraient rasé Rome après que celle-ci eût laissé asiatiser son sang et son âme[75]. Le maniement de cette rhétorique peut certes être mobilisateur mais nécessite quelques ambiguïtés avec la guerre, ainsi Signal peut-il fustiger « l’Asie soviétique » tapie « derrière le rideau de fer »[76], mais il doit aussi réaliser un dithyrambique reportage de six pages sur les Tartares volontaires de l’Est et leurs « corps de cavalerie cosaque »[77].
La mongoloïsation de l’ennemi « judéo-bolchevique » est demeuré chez Binet et Mabire. Les deux auteurs décrivent l’Europe de la Guerre froide comme « occupée » par des troupes « nègres » (américaines) et « mongoles » (soviétiques). Le bulletin universitaire lancé par le groupe de Binet en 1946 insiste sur la « barbarie mongole » mais remplace la négrification des Etats-Unis par la dénonciation du « machinisme esclavagiste ». La ligne étant celle d’une présentation socialiste, affirmant que « volontaires du front de l’Est et anciens résistants communistes doivent s’unir dans la nouvelle résistance », il est possible que cet aggiornamento témoigne d’une perception de la difficulté à promouvoir une telle union avec la rhétorique racialiste[78]. Les textes du NOE conserveront l’habitude de fustiger « les idéologies antieuropéennes », « asiates » ou « mongoloïdes », « telles que le marxisme »[79]. Quant à Mabire, il enchaîne sur le fait qu’Hitler « plaçant son humanisme au service du nationalisme (du nationalisme bien plus que du racisme, restant un autrichien pangermaniste et non pas un Européen nordique), (…) s’est montré un homme du passé », ce qui est aussi un problème présent puisque « [nous] qui pensons à peine l’Europe mais qui ne pensons jamais à l’indispensable unité russo-américano-européenne qui constituera demain le triple front nordique et occidental contre l’inéluctable marée asiatique »[80].
Personnage charnière des reconstructions des extrêmes droites, François Duprat n’est pas en reste, et ses articles publiés dans la revue de Bardèche montrent comment le récit de guerre permet de reconfigurer le passé au bénéfice du présent : « Les Populations russes et les Allemands en 1941 » trace le portrait de vaillants SS ; « La Bataille pour Budapest (1944) » narre le « coup d’audace inouïe [d’]une poignée de SS [alors que] les Russes progressent, pillent et massacrent » ; « La Guerre et l’occupation dans les pays baltes » décrit des Baltes affrontant l’Armée Rouge « avec un courage exceptionnel contre les hordes qui déferlent sur leur sol », les Waffen-SSysont des « formations de choc » luttant « héroïquement » et grâce auxquelles la Lettonie fut « provisoirement sauvée ». C’est avec exaltation qu’il peint les « jeunes volontaires fanatiquement anticommunistes » qui assurent la « résistance » d’une Waffen-SSpourvue de toutes les qualités, et dont le recul révèle une Europe paraissant revivre « le temps effroyable de l’invasion mongole des années 1240 »[81]. Difficile d’être plus éloquent : le nationalisme ce serait la guerre héroïque contre le judéo-bolchevisme et ses hordes mongoles. Mais sa description vise l’inverse de celles de Binet ou Mabire. En usant certes des mêmes mythèmes quant au front de l’Est, Duprat place toutefois les faits dans la perspective anticommuniste. Si bien qu’il délégitime les idées d’une alliance des extrêmes, du réalisme biologique et de l’ordre noir ésotérique portés par Binet, Mabire et Saint-Loup. Le lecteur n’est pas orienté vers les groupuscules socialistes-européens : les vrais descendants des troupes françaises du front de l’Est seraient les troupes de choc de l’action directe anticommuniste, Occident puis Ordre Nouveau.
Le « mongol » comme ennemi a l’avantage de sortir le front de l’Est de l’histoire de l’extermination, l’inscrivant dans le continuum des guerres internes à l’espace eurasiatique. L’insistance sur le thème du Mongol permet de sortir de celui de la parousie raciale conçue par la SS en construisant une Europe judenfrei. A l’idée nazie d’Aryens et Juifs ayant enclenché le choc final est substituée une représentation de l’affrontement Orient-Occident. Cela correspond pleinement à la réécriture racialiste de l’histoire diffusée par Europe-Action[82]. Cela permet également de contourner la discorde sur la question israélienne, puisque quand Mabire en appelle à « unir le tracteur et l’automitrailleuse comme ceux d’Israël », Saint-Loup entre deux ouvrages hagiographiques sur les volontaires SS, apprend à user de sa propre image en tant qu’élément stigmatisant, comparant dans Pour une Jeune Europe Israël et le IIIe Reich, Tsahal et la Waffen-SS dans une perception négative du nazisme que l’on ne lui connaissait pas[83]. Enfin, cela permet d’héroïser l’opposition à l’immigration, thème sur lequel les radicaux sont sensibles dès le NOE et qui entre via Duprat et Militant dans l’alchimie frontiste. Ainsi une couverture de l’organe des Faisceaux Nationalistes-Européens (ex-FANE) représente-t-elle des SS sur le front de l’Est avec en titre « Hier comme demain, défense de l’Europe », tandis qu’une autre montre de jeunes nationalistes en blousons de cuir et portant des battes de base-ball sous l’ombre des volontaires d’hier[84]. Il y a là des effets d’emboîtement : Rome contre les Huns, les SS contre les mongols bolchévisés, le rejet de la présence des immigrés africains s’interpénètrent pour se légitimer les uns les autres et faire de la marginalité numérique un non-événement.
Mabire fait sienne la thématique collaborationniste pour qui l’adoption d’une religion politique européenne est le seul moyen de contenir la poussée de l’Est derrière l’étendard rouge[85]. Le mythe de la croisade transcende le conflit en une guerre eschatologique par la rencontre d’entités primordiales Orient/Occident[86]. C’est l’Europe en armes contre l’ennemi de toujours, un Orient fantasmé et craint face auquel l’Européen forge son identité. « Cette nuit, Berlin change de continent »[87] écrit Mabire pour dire la chute de la capitale nazie. L’opposition se décline également entre civilisation et barbarie. Les combattants sont les symboles même de cette dichotomie fondatrice. Nulle trace des actes de cruauté commis par l’armée allemande[88]. Au contraire, une scène est qualifiée de « hautement symbolique » : les Français trouvent dans la capitale allemande en flammes un recueil de photographies consacrées à l’Espagne et sa culture. « Fernet pense qu’il se bat aussi pour défendre ces livres. Lui qui fut naguère khâgneux avant de devenir officier trouve cette situation hautement symbolique. « Demain, les Mongols brûleront tous ces bouquins »»[89]. Le style romanesque produit une inversion du fait, substituant aux autodafés réalisés par les nazis en 1933 au nom du combat contre le Kulturbolschevismus, une Europe Kulturvolk défendue par ses SS. A cet égard, les conceptions de Saint-Loup sont parfois plus proches de celles des théoriciens nazis que de la propagande collaborationniste diffusée en France. Pour cette dernière, la construction d’une armée européenne à travers la Waffen-SS était une promesse sur l’avenir dans la perspective d’un temps linéaire (une épaisse brochure de promotion de l’engagement présente ainsi le SS français comme rejoignant ses camarades européens tel un « nouveau pas très important dans l’union de la jeunesse européenne contre le nihilisme bolcheviste »). En revanche, dans les romans de Saint-Loup, le fonctionnement de cette SS serait harmonieux non par le partage d’un horizon d’attente commun, tel qu’il l’avait affirmé dans la presse collaborationniste, mais parce qu’elle reconstituerait l’unité aryenne originelle, telle qu’avant les descendants de Thulé ne soient gagnés par le métissage[90].
Si la vision racialisante affleurant ici et là doit beaucoup à Europe-Action puis à la Nouvelle Droite encore très marquée par les références à la biologie[91], ces topoï ne manquent pas de renvoyer à des stéréotypes présents dans les romans coloniaux d’aventure. Ceux-ci avaient joué un rôle décisif dans la diffusion de la « culture coloniale », encore présente sous diverses formes dans la décennie 1970. Le lecteur voyage jusqu’aux confins, hier des colonies française, aujourd’hui vers les marches de l’Europe, en tout cas vers les frontières de la civilisation[92]. La désignation de l’ennemi le rend « exotique », autre.
« Les Rouges sont souvent des Jaunes, avec des faces plates et rondes de Mongols », écrit Mabire[93]. L’héroïsme, les valeurs chevaleresques sont consubstantielles à l’Européen au sens ethnique du terme, lié au sang et au sol. Le Waffen-SS français, parangon de cette « européanité », ne saurait agir bassement et inversement, l’Asiatique soviétique ne peut agir avec honneur et noblesse à moins d’imiter servilement ses adversaires. S’agit-il même d’une seule et même humanité ? On peut en douter devant le processus d’animalisation des Soviétiques. Il ne s’agit que de soldats qui « se multiplient comme des fourmis »[94] et « grouillent dans les marais et les forêts »[95]. Rien d’étonnant à ce que Mabire ait consacré des ouvrages élogieux aux « paras » alliés mais aucun à l’Armée rouge. La ligne de partage ne recoupe pas les deux camps de la Seconde Guerre mondiale mais plutôt le monde blanc et ses élites guerrières face aux masses extra-européennes (soit les conceptions présentes de l’auteur déployées dans le passé militaire). Tous ces stéréotypes ne sont pas étrangers au succès rencontré par cette trilogie. A la fin de la guerre d’Algérie, la mémoire coloniale entre dans un véritable trou de mémoire. Se présentant comme des romans d’aventure accessibles au plus grand nombre, les livres de Mabire remplissent un vide laissé tout en s’adaptant aux codes et contexte de cette décennie 1970. Pour le dire avec des mots d’aujourd’hui : la réécriture du front de l’Est le rend mainstream. Mais tout cela s’inscrit enfin dans une reconfiguration idéologique entamée dès le conflit mondial.
Les reconfigurations idéologiques
La Division Charlemagne n’était pas censée inclure en son instruction une formation idéologique nationale-socialiste[96]. L’offre idéologique légitime est donc fournie par les médias SS. L’interpénétration franco-belge née de l’Administration militaire de la Belgique et du Nord de la France permet une circulation de termes et thèmes, que ce soit lorsque Degrelle, le leader rexiste devenu Waffen-SS, vient à Paris vanter la « révolution européenne », « socialiste », ou lorsque le docteur Quesnoy de Douai, lié aux nationalistes flamands et au SD, bientôt fondateur d’une Ligue des Droits du Nord, réalise à Anvers un cours racial (Günther et Rosenberg en particulier étant cités) aux recrues de « l’Allegemein-SS du Nord de la France », selon la formule des RG désignant peut-être l’ex-Algemeene-SS Vlaanderen[97]. Mais, puisque nombre des « passeurs » d’après-guerre sont passés par Devenir, dont le sous-titre est déjà un marqueur « journal de combat de la communauté européenne », c’est bien sûr le journal des SS francophones qui peut être estimé particulièrement notable. Or, ce dernier propose des thématiques très éloignées du nationalisme français, mais également de la « croisade » de 1941. Un texte se penche sur l’unité linguistique et mythologique des Indo-européens. Un autre certifie la mort des nations européennes avec l’avènement de « l’homme nordique qui renaît aujourd’hui », également « enraciné » et défait de « l’orientalisme » chrétien. Un troisième s’enthousiasme quant au dieu Thor, et compare SS et Vikings. Balestre y flatte « les hommes aryens de Normandie, de Bretagne, de Bourgogne [qui] se joignent à leurs frères de race ». Quant à Rebatet, il y salue les Allemands nazis, les Roumains de la Garde de Fer, les antisémites des Etats-Unis, les nationalistes argentins, tous ceux qui ont « l’esprit européen, l’esprit aryen, l’esprit révolutionnaire ». Et de conclure que les engagés du front de l’Est sont « l’élite de cette Internationale aryenne qui refera demain le monde sans Juifs, sans démocrates, sans trusts. Camarades SS de 18 nations, je vous adresse, le bras tendu, notre salut, le salut aryen. Mort aux juifs ! »[98].
Autre titre qui peut avoir importé pour nos auteurs, La Jeune Europe.Destinée aux jeunes intellectuels, elle constitue une revue de géopolitique apte à construire l’idéologie et la propagande relatives à l’européanisation du front de l’Est. Les Jeunes de l’Europe Nouvelle qui la distribuaient ont d’ailleurs pour nombre d’entre eux adhéré à la Frankreich[99]. Enfin, la personne de Marc Augier fait le lien entre cette revue et la réécriture qu’il exécute en tant que Saint-Loup. Déat y assure que la présence française en Afrique est celle de l’Europe, l’Allemand Matthias Schmitt assène que l’Allemagne unifie l’Europe et que l’Italie unifie l’Afrique afin d’aboutir à une communauté « depuis Hammerfest jusqu’au Cap »[100]. Bruno Francolini y explique qu’après la guerre la colonisation de l’Afrique devra être basée sur l’interdiction absolue du métissage et du travail intellectuel des Noirs, car « vouloir imposer à l’indigène une vie entièrement à l’Européenne et lui inculquer de force notre culture ne pourrait que nuire aux indigènes », quand son compatriote italien Julius Evola expose que « l’espace de Reich » à venir est supérieur aux petits nationalismes bornés et permettra aux communautés de s’attacher à un idéal transcendant quoique dénué d’universalisme[101].
Paganisme, refus du nationalisme étroit au profit d’une union européenne de « patries charnelles » : on trouve dans Devenir l’essentiel de l’image revisitée de la SS ésotérisante qui a fait les beaux-jours des romans de Saint-Loup, et, par-delà, de la pop-culture des années 1960-1970 (par exemple des ouvrages bon marché présentant des uchronies ou une ufologie intégrant une SS dépositaire de mystères). En un dialogue de l’un de ceux-ci, un SS affirme les « nations périmées », que le nationalisme grand-allemand vise à « reconquérir l’espace vital de l’homme blanc », et que « le Führer prétend mener une défense globale du monde blanc », avant que de demander au Bourguignon qui lui fait face « pourquoi n’entrez vous pas dans l’Algemeine SS ? »[102]. Se comprend comment Saint-Loup a pu somme toute, par une synecdoque, en arriver à probablement croire ce qu’il disait sur le fait que la SS fut « une organisation oppositionnelle » à l’hitlérisme, assertion de là diffusée entre autres par Alain de Benoist[103] : se constitue en tous cas une circulation permanente entre faits et représentations. Saint-Loup prétend qu’une élite révolutionnaire européenne travaillait au sien de la SS à imposer une Europe des « patries charnelles ». Non seulement il en présente même la carte dans le même roman, qui oscille sans cesse entre fiction et affirmation historique, mais il affirme même ensuite à la revue de Bardèche que cette élite eût été prête à prendre les armes contre les pangermanistes[104].
Les lecteurs et rédacteurs de Devenir ont-ils donc pris leur prose pour le réel ? Quel effet de réel peut-il avoir sur les jeunes nationalistes la réédition de Devenir en 1987 par la librairie Ogmios (du nom d’un dieu guerrier gaulois), dont Saint-Loup assure les dédicaces, et, symptomatiquement, dans le même temps où elle rediffuse les livres de Mabire ? Les ambiguïtés des débats et positions de l’extrême droite radicale d’après-guerre sont déjà présents dans Devenir, en particulier les questions de l’eurorégionalisme ethnique, du nordicisme, de l’unité du monde blanc. De même, se trouvaient dans Jeune Europe des éléments sur l’unité Europe-Afrique qui préfigurent nettement les visées d’Europe-Action, de Jean Mabire, et du mouvement Jeune Europe d’Émile Lecerf et Jean Thiriart (de son origine euro-régionaliste lors de son manifeste de 1963 à la phase jacobine nationaliste-européenne)[105].
Certains anciens des Jeunes de l’Europe Nouvelle sont actifs dans les milieux nationalistes d’après-guerre[106]. Une des passerelles tentées est la mouvance bretonne (emsav). Le néo-druidisme fonctionne d’ailleurs comme les œuvres de Saint-Loup, mêlant histoire et occultisme, Saint Loup popularisant dans son œuvre une SS mystique, païenne, notamment dans Nouveaux cathares pour Montségur (une quête du Graal aryen issu de Thulé, couvert d’inscriptions runiques, et que Rosenberg et un collège sacré mené par Himmler veulent récupérer via une fraction d’élite de la SS)[107]. Ainsi de Georges Pinault, alias Goulven Pennaod, ex-JEN qui participe à partir de 1954 à La Bretagne – conjointement à Olier Mordrel, le collaborationniste breton partisan dès la guerre d’Empires raciaux[108]. Toutes les revues socialistes-européennes issues d’Europe-Action, puis Pour une jeune Europe et Le Devenir européen, invitent d’ailleurs à la lecture de la Bretagne réelle, la thématique celtique paraissant bien un des lieux de transition entre l’aryanisme, l’européisme, et l’affirmationisme blanc.
« Druide », enseignant à Lyon III, Pennaod a été ensuite chercheur associé à l’université brestoise. Il a collaboré à Europe-Action puis à Nouvelle Ecole. Il est le rédacteur-en-chef du Devenir européen, la revue « ethniste-socialiste » lancée à Nantes par l’ancien sergent recruteur de la Division Charlemagne Yves Jeanne[109].Outre Saint-Loup, cette revue compte aussi parmi ses contributeurs l’ancien SS français Robert Dun, désormais poète et essayiste qui participe aussi aux publications néo-droitières, au NOE, est membre du druidique Cercle Lux Fero (pour Lucifer) et du Groupe druidique des Gaules[110], et participe du comité de parrainage du Partisan européen qui, autour de Guillaume Faye et Robert Steuckers, redessinent les frontières entre nationalisme-révolutionnaire, nouvelle droite et euro-régionalisme racialisme et ethnodifférentialisme dans les années 1980. Elle porte en couverture des frises issues des illustrations de Germanien, revue de l’Institut culturel de la SS, et n’hésite pas à conseiller La Religiosité indo-européenne de Günther[111]. En 1991, Pennaod participe avec toutes les figures néo-droitières au livre d’hommage à Saint-Loup. En somme, se produit la diffusion tous azimuts d’une représentation de l’histoire et de signes culturels et politiques y afférant.
Le thème nordique, avec l’imagerie viking et l’odinisme en prime, paraît jouer un rôle dès l’immédiat après-guerre. Binet n’attend pas les rénovations post-1968 pour titrer dans Le Combattant européen « Halte à la colonisation de l’Europe ! ». Mais il le fait au nom d’une affirmation blanche qui rejette Noirs et Juifs[112]. En 1949, le jeune Jean Mabire lance une revue intitulée Viking. Elle défend une Europe régionalisée sans démembrement des nations. Elle développe un racisme nordique et une spiritualité odiniste où l’image du Viking est la claire transposition de celle de l’Aryen antérieurement[113]. Elle est assez entrée dans l’imaginaire pour avoir disposée d’une réédition en deux volumes en 2001. En 1950, Binet fait diffuser son manifeste par une société intitulée « Les Wikings », et s’y retrouvent la critique du christianisme et l’apologie du « monde aryen » et de « l’homme blanc »[114].
Après sa fondation en 1951, la HIAG se dote d’un périodique Wiking-Ruf, en hommage à la Division Wiking qui fut la première unité non-allemande de la Waffen-SS. Le rédacteur-en-chef est un ancien officier français, en charge du recrutement de volontaires pour la Division Charlemagne. S’y lit dans le numéro de mai 1953 un appel en langue française aux anciens de la division Wallonie pour qu’ils rejoignent les anciens SS Jean Baumann ou Robert Debbaudt au sein du NOE[115]. Cette organisation est une des premières à l’extrême droite à défendre l’unité de l’espace blanc et européen, la dégermanisation du nazisme allant de pair avec l’intégration des Slaves à la race blanche supérieure dès 1951. L’anticolonialisme est approuvé au bénéfice d’unités raciales empêchant le métissage : cette apologie de la ségrégation dont la ligne de fuite est l’ethnodifférencialisme s’appuie en 1956 sur un appel solennel aux nationalistes d’Europe pour qu’ils renoncent à toute querelle entre eux comme surent le faire les Waffen-SS[116]. Le néo-paganisme sous ses diverses formes progresse : la Phalange française organise en 1957 son solstice d’Hiver avec un délégué de la Wiking jugend (fondée en RFA en 1952)[117].
Les runes et symboles des divisions SS européennes sont couramment amalgamés chez les plus radicaux, en usant dans leurs brochures et logotypes, en particulier ceux des divisions Das Reich, Nord et Prinz-Eugen, ou, en moindre mesure Nederland, Langemark, Landstorm Nederland. Cet apport contribue lui aussi à cette intégration des Slaves à la race blanche considérée désormais comme un tout. La description d’une lutte eurasiatique sur le front de l’Est a ici son débouché politique. Or, à partir des années 1980, « le néo-paganisme droitisant [est devenu] une composante essentielle de la subculture de l’extrême droite française » comme l’écrit Christian Bouchet. Si ce leader de la mouvance NR a pu aussi bien être cruel avec cette subculture[118] que l’utiliser, n’en demeure pas moins que lorsqu’il tente de refonder une mouvance après la dissolution d’Unité Radicale, son bulletin interne rend compte de la mort de Robert Vigny, « ancien combattant de la grande armée européenne [qui] avait, dans la logique d’un combat de plus de soixante ans, rejoint le Réseau radical dès sa création. Son Honneur se nommait Fidélité ! ». Pour parachever l’effet, la devise SS est accompagnée de la rune de mort, selon une coutume de certains SS introduite dans l’extrême droite française par la branche Europe-Jeunesse d’Europe-Action[119]. Les signifiés s’interpénètrent et il semblerait que les mythes de Saint-Loup aient pris vie, avec des décennies de distance après les faits qu’ils habillaient.
Les signes et débats des décennies suivant la guerre s’incluent à ce qui est une métapolitique qui ne disait pas encore son nom. « Métapolitique », « réalisme biologique » et défense du « monde blanc » sont bien conjointement présents avant Europe-Action dans la liaison entre le Front de l’Est et les divers « socialismes européens » post-guerre. Se dessinent des débats idéologiques issus amplement des discours autour du front de l’Est, et qui ne sont donc pas réductibles à une inclinaison plus culturelle et à gauche des extrêmes droites radicales post-1968, mais qui, en revanche, connaissent un nouveau « moment » grâce à la période post-coloniale. La question de la colonisation participe bien à cette inclinaison du collaborationnisme au nationalisme-européen puis à la défense du monde blanc. En 1963, Europe-Action publie son fameux manifeste qui fait litière du nationalisme classique en définissant le nationalisme comme la « doctrine qui exprime en termes politiques la philosophie et les nécessités vitales des peuples blancs »[120]. Mabire expose clairement dans la revue que le mot Europe a un signifié mondial et racial : l’Europe est « un cœur dont le sang bat à Johannesbourg et à Québec, à Sidney et à Budapest »[121]. Dans ses romans, il argue que « Pour [les volontaires du front de l’Est], l’Europe national-socialiste n’est plus un argument de propagande mais une réalité vécue », alors même que la dite réalité ne fut en rien celle d’une européisation du Reich[122]. La représentation du fait devient à la fois le moteur de la négation de sa réalité empirique et le stimulant de la recherche doctrinale.
Cette tendance se poursuit dans le premier GRECE, Pierre-André Taguieff ayant montré comment au début de la décennie 1970, Alain de Benoist entretenait des liens avec le NOE et la Ligue Nordique (une internationale qui reprend les thèses de Günther), entre autres par l’entremise de Jacques de Mahieu et de l’Institut supérieur des sciences psychosomatiques, biologiques et raciales et de leurs Editions celtiques, que celui-ci a cofondé avec Gaston-Armand Amaudruz[123]. L’Institut s’était donné pour mission de prolonger « les magnifiques travaux » du congrès de 1936 de la nouvelle médecine allemande naturelle[124]. Ancien de l’AF, puis de la LVF et de la division Charlemagne (selon ses dires, mais sans que soit exclu qu’il ne s’agisse d’une réécriture biographique, l’appartenance à la SS étant pour certains un capital social et non un stigmate), de Mahieu a rejoint l’Argentine où il est devenu un idéologue un temps d’importance. Devenu universitaire, il publie des travaux affirmant que les Vikings furent à l’origine des civilisations précolombiennes, reprenant ainsi des thématiques de Günther et de l’Ahnenerbe, l’Institut culturel de la SS. Il est amplement repris par le GRECE, et bénéficie d’éditions chez Copernic (alors dirigé par Mabire), Robert Laffont et J’ai Lu[125]. Le Front de l’Est relu et réinterprété par ces Français est bel et bien un phénomène révélateur et amplificateur de l’internationalisation des droites entre Europe et Amériques.
Peuvent également être notés les fils que constituent Yves Jeanne et la World Union of National-Socialists. Yves Jeanne fut militant monarchiste, membre du PPF, sergent recruteur de la Waffen-SS, président algérois des Amis de Rivarol, animateur des Amis de Défense de l’Occident, responsable du MSE[126]. Il participe à la fondation de la WUNS en 1962. Celle-ci s’inscrit dans l’héritage direct du nazisme, amplement amalgamé ici avec l’odinisme au bénéfice d’une union mondiale de la race blanche. La branche francophone en est démantelée par la police en 1964[127]. Claude Monnet tente alors de prendre sa place, en transformant son Organisation des Vikings de France en Parti Prolétarien National-Socialiste, dont l’organe Le Viking loue l’URSS « russo-aryenne » et certifie qu’il souhaite en Europe une « fédération des nations ethniques » débouchant sur un « Etat mondial aryen »[128]. Les débris de la WUNS vont au NOE. Yves Jeanne demeure actif depuis sa base nantaise. Il lance Le Devenir européen, un titre qui fait en-soi la liaison avec la Division Charlemagne, et son supplément Ogmios. Cette bipartition témoigne des volontés de toucher des publics divers. En effet, Ogmios est lié au Centre d’Initiative Progressiste Européen de Yannick Sauveur.
Or, ce dernier est né des débats de stratégie politique au sein de l’Organisation Lutte du Peuple (OLP) qu’Yves Bataille anime à Nantes, et qui introduit le style nationaliste-révolutionnaire en France à la fois par importation du nationalisme allemand et par lecture des Langages totalitaires de Jean-Pierre Faye[129]. L’OLP avait tiré un bilan critique de son activité et de ses faiblesses lors d’une Assemblée Générale lors de son camp d’été 1974 : « action : nulle ou sans intérêt », « résultats : une impasse totale », perspectives « nulles », expression « infantile », « style et propagande déplorables : exaltation, romantisme et provocation verbale ». Elle se propose de se maintenir, car son « style romantique convient à la stimulation des jeunes qui recherchent avant tout l’activisme », mais aussi de tenter une nouvelle tactique : plutôt que de jouer les gauchistes, tenter l’entrisme dans les milieux dirigeants par le biais d’une structure qui ne serait en rien extrémiste mais uniquement européiste. Cette « centrale d’Action et d’Initiative Nationale-Européenne » devait atteindre « les élites de la Nation (…) : universitaires, cadres, administrateurs, etc. » et servir de base à la constitution d’un futur Parti Européen à l’échelle continentale[130]. En somme, et quoiqu’elle ne se l’avoue pas, l’OLP se rend pour partie à la stratégie métapolitique.
La fin de l’année voit le groupe se scinder sur la question de la stratégie et de l’utopie (Europe des régions ou non ?) : Yves Bataille rejoint le Centre de Documentation Politique et Universitaire qui, après avoir quitté le Mouvement Solidariste Français, avait rejoint l’OLP et qui, à cette date, s’en est détaché, tandis que Yannick Sauveur, ex-MSF qui avait quitté le CDPU pour l’OLP, fonde alors le CIPRE[131]. L’ensemble de ce milieu cherche une voie opératoire aux radicaux. Les Cahiers du CDPU s’intéressaient ainsi à Franco G. Freda, popularisaient le sigle « NR », usait de runes, louait les théories racialistes produites par le GRECE et sa « formation nationale-socialiste de haute école », qui doit permettre de générer une « franc-maçonnerie » dans les postes de pouvoir, interprétation de la métapolitique qui n’est pas sans évoquer celle de la Centrale projetée par l’OLP[132]. Il ne fait aucun doute qu’avec le CIPRE, Yannick Sauveur poursuit en fait ce projet-ci. Il y a donc un versant de légitimation technocratique aux discours « saint-loupien » du Devenir européen. L’utopie définie par la manifeste du CIPRE est très nettement marquée par l’influence de Thiriart (qui est en contact avec Yannick Sauveur mais ne participe pas au CIPRE), augmentée de l’ethnicisme du « socialisme européen ». Pour mettre en forme cela, le manifeste publie une carte des régions de la nouvelle Europe qu’il propose[133]. Il s’avère que celle-ci correspond tout à fait à celle publiée la même année par Saint-Loup dans Les SS de la Toison d’or en tant que prétendu travail de la fraction européiste de la SS…
On a là atteint l’Ourobouros. Un discours métapolitique visant les élites reproduit l’utopie qu’un roman affirme être celle du passé ésotérique. La représentation du front de l’Est se fait acte politique global, définissant le passé, la stratégie, l’horizon d’attente. Le signes de modernisation « à gauche » et « crédibles » se trouvent dans le « passé qui ne passe pas », sans que l’on puisse savoir si les militants prennent ou non au second degré la prose de Saint-Loup. Et pourtant, marier Saint-Loup et Thiriart ce n’est que retrouver ce que disaient avec force clins d’œil au nazisme les socialistes-européens groupés un temps autour de Lecerf… Tant et si bien que les dispositifs sémantiques peuvent aboutir à reformuler explicitement des signes socialement exclus, tel Robert Dun qui dans la revue de Jeanne affirme qu’il y a « un génocide anti-aryen, une entreprise dans laquelle agissent en rivaux complices le capitalisme, le marxisme, le catholicisme et tous les mondialismes »[134]. Le NOE, l’équipe de Militant, qui relève pourtant d’un nationalisme-européen non völkisch ou ésotérisant, celle de la Phalange française, certains nationaux également, ont pensé peu ou prou la même chose, mais en l’exprimant moins radicalement[135]. Le maniement de tels concepts s’avère des plus délicats, et si un autre écrivain, Renaud Camus, devait connaître le succès au XXIe siècle sur le thème du « Grand remplacement », c’est dans une perspective où l’islamophobie prétend défendre les valeurs de l’Europe, où la thématique « identitaire » s’exprime en lieu et place du « réalisme biologique », sans conspirationnisme antisémite.
Il ne s’agit certes pas de pointer de « double discours » ou de recommencer la quête de « l’héritage nazi » dissimulé. La plupart des militants et cadres confondent représentations et analyses quant à l’histoire de leurs courants, avalisent comme idéologie des éléments initiés comme de propagande. Nombre de lecteurs et rédacteurs d’Eléments ne se reconnaîtront pas dans le socialisme-européen et l’ensemble des bricolages idéologiques effectués par les anciens du front de l’Est. D’autres cadres hésiteront moins, tel Pierre Vial, le dirigeant de Terre et Peuple, qui ne se cache pas de sa dette envers Saint-Loup et Robert Dun. Lui qui avait quitté Socialisme européen en le trouvant trop à gauche[136] témoigne que la pierre angulaire de ces circulations est l’importance donnée à la question raciale dans la Weltanschauung. Ainsi, Unité Radicale peut-elle juger en interne qu’en se joignant au solstice de Montségur organisé par Terre et Peuple « fêter le solstice en un tel lieu ne peut être que très mytho… », mais elle s’y rend jusqu’après sa dissolution, car elle sait qu’il faut offrir « une contre-culture politique et existentielle aux nationalistes non-calotins [il s’agit de fournir à ses militants] une vue du monde globale qui intègre notre passé (…) nos loisirs (…) notre conception du temps » [137].
Conclusion
Interrogeant l’analyse des gauches radicales faite par Anne Joly, Olivier Dard écrivait dans l’introduction à la première livraison d’IDREA, qu’à l’instar de cette analyse « la question peut-être posée de l’existence d’une « scène » entendue notamment comme un « milieu » dans lequel les acteurs « évoluent et définissent en quelque sorte leur propre appartenance » et qui, pour eux, « renvoie à un milieu à la fois underground ou de Subkultur, en marge de la société, dont l’identité plurielle se construit avant tout contre la culture mainstream. » »[138]. Il nous apparaît que cette question du front oriental passé et repensé témoigne que tel est le cas, de même qu’elle constitue un élément d’importance au sein des hybridations et circulations idéologiques dans l’espace Europe-Amériques à travers des laboratoires lexico-idéologiques.
L’effervescence des échanges entre matériaux – considérés comme signes d’égale valeur qu’ils soit d’origine romanesque, propagandiste, historique – participe à la circulations de mythèmes par-delà les courants, offrant une subculture commune, essaimant des éléments idéologiques divers dans des courants non étanches (nationalisme-révolutionnaire, Nouvelle droite, Identitaires, néo-nazisme, etc.) où ils deviendront des instruments de légitimité politique interne. Dans l’évolution internationale des extrêmes droites, la rupture modernisatrice fondatrice entre fascisme et néo-fascisme est bien plus le front de l’Est et sa représentation qu’en Mai 68 – quoique les redéploiements induits par un « long Mai 68 » soient d’importance. Les thèmes d’oscillation idéologique et de la dialectique identitaire entre « patrie charnelle » et Europe sont déjà ici des questions centrales, tandis que peuvent coexister des contradictions entre affirmationisme blanc et souveraineté européenne, telles qu’elles ont été peut-être plus perceptibles après la chute du Mur de Berlin. Malgré certaines volontés de modernisation, nombre de fantasmes « européens » et/ou « identitaires » retrouvent les pas de Günther quand il inventait les termes d’Aufnordung (« nordification ») et de Vernordung (« renordification ») pour signifier comment les Allemands ne pouvaient survivre que par un retour à leur essence nordique. Le mythe du front de l’Est des volontaires français, popularisé par ceux qui y furent surtout propagandistes, et par la culture de masse mêlant histoire et fantaisie pour glisser du « roman historique » au « romanquête », constitue un objet de mémoire. En tant que tel, il a été marginalisant pour les personnes explicitement fascinées, mais a aussi permis de réactiver mythes mobilisateurs et production idéologique.
En l’occurrence, aussi étonnant que cela puisse paraître à l’extrême droite, la pratique a pu correspondre à la théorie : les anciens volontaires ont bien été des veilleurs, gardiens d’une vision du monde à transmettre durant l’« interrègne ». Jean-Yves Camus narre d’ailleurs comment, en 1995, Henri Fernet lui avait expliqué que s’il continuait à donner des conférences sur son engagement c’était à la fois pour être « un grand témoin » et « un passeur ». C’est dans cette perspective de transmission que le politiste place l’annuelle commémoration faite par les anciens volontaires aux pieds de la statue de Charlemagne, ou, en 2008, une séance de dédicaces au sein d’une librairie identitaire niçoise des mémoires d’anciens SS français et d’une bande dessinée sur leur engagement[139]
La chose a sans doute été facilitée par le rapport spécifique au temps dont témoignent les radicaux. Puisque, d’une part, leurs modernisations sont amplement passées par l’usage des travaux historiques sur leur champ, allant puiser dans les travaux sur les marges temporelles et militantes des expériences fascistes[140], et que, d’autre part, ils s’avèrent donc avoir été travaillés par cet emboîtement entre représentations et faits relatifs au mythique front de l’Est, ils correspondent aux tendances générales à la patrimonialisation apparues dans les années 1970, mais non à celles du présentisme développées à compter des années 1980. Placer en origine une unité indo-européenne ou hyperboréenne, en référent une Waffen-SS européenne, vivre sa militance dans un réseau européen ou du monde blanc, connaître pour utopie une palingénésie de l’origine susdite, via par exemple une Europe unie des régions ethniques, n’est pas fait vivre le passé au présent, mais superposer les espaces temporels en un tout unique : c’est une sortie du temps. Alors que les conceptions holistiques de l’histoire s’effondraient, l’analyse d’une lutte des races comme moteur de l’histoire a ici perduré. La chose a des vertus mobilisatrices certaines pour assurer la cohésion d’une contre-société. Il ne s’agit pas juste d’une « sous-culture » mais d’une contre-culture. La force de l’offre idéologique est donc réduite en retour à la marge sociale.
Les succès métapolitiques ne sont pas forcément structurants. Hier omniprésents dans les rayons, les romans de Mabire, se sont exilés vers des maisons d’édition plus confidentielles[141]. Sa trilogie à succès a été l’histoire d’une rencontre entre une culture politique portée par un auteur d’extrême droite avec les équivoques d’une mode « rétro » passagère. Aujourd’hui, l’activité d’un Cercle des descendants et amis des vétérans français du front de l’Est se limite manifestement à un site internet peu étoffé[142]. Car, finalement, une grande part de cette forme a été liquidée avec la rupture du 11 septembre 2001, marquant la mue néo-populiste des extrêmes droites européennes. La « dédiabolisation » lancée par Marine Le Pen est sœur de la « démabirisation » de Jean-Gilles Malliarakis. C’est précisément cette culture politique de niche sociologique, pour ne pas dire de ghetto, obnubilée par les défaites plutôt que tournée vers l’avenir, qui est visée. Là passent les chemins menant au pouvoir selon les néo-populistes. Les radicaux conservent quant à eux un rapport très lointain : les jeunes de Génération Identitaire qui vantent « le Sang et le Sol » ont certes tout des enfants de Saint-Loup, mais ils n’en savent généralement que peu voire rien. Représentation d’après-guerre des représentations de guerre (journaux de propagande, discours, etc.), le mythe de « la grande armée européenne » a impliqué des orientations (une élite révolutionnaire guide l’Europe ou le monde blanc ; une fédération européenne völkisch ; un Septentrion, selon un terme utilisé par Guillaume Faye pour croiser nordicisme et occidentalisme), qui ont fini par pouvoir se passer du référent même. Après 2001, le front de l’Est est définitivement dépassé, d’autres s’ouvrent.
[Cette étude date de 2015, depuis un nombre certain de faits et personnages ici traités ont bénéficié de l’apport de nouvelles archives dans cet ouvrage]
Notes
[1] Sur ses neuf cent mille membres recensés en 1944, la Waffen SS était composée pour plus de la moitié de non-Allemands (Enrique Léon et Jean-Paul Scot, Le Nazisme des origines à 1945, Masson et Armand Colin, Paris, 1997, p.156).
[2] Le Combattant européen est le journal de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme, fondée en 1941. Devenir, journal francophone de la SS, est édité en 1944. La Jeune Europe est lancée en 12 langues en 1942 afin de représenter la concorde continentale naissant avec la SS européenne. Elle était en France diffusé par les Jeunes de l’Europe Nouvelle menés par Marc Augier (issu du socialisme). Signal est produit en 24 langues entre 1940 et 1944. Marc Augier (dit Saint-Loup) a toujours dit avoir été rédacteur-en-chef des deux titres français (lui-même l’a insinué à diverses reprises). Cependant, on ne trouve pas trace de son nom dans Devenir.
[3] « Le lieu de mémoire suppose, d’entrée de jeu, l’enfourchement de deux ordres de réalités : une réalité tangible et saisissable, parfois matérielle, parfois moins, inscrite dans l’espace, le temps, le langage, la tradition, et une réalité purement symbolique, porteuse d’une histoire. (…) Lieu de mémoire, donc : toute unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté » (Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, tome 3, Gallimard, Paris, 1992, p.936).
[4] Stéphane François, Au-delà des Vents du Nord. L’extrême droite française, le pôle Nord et les Indo-Européens, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 2014, p.15.
[5] En cela, la littérature sur le Front de l’Est constitue un phénomène essentiel pour saisir la production du négationnisme, non pas juste en tant que négation de l’existence des chambres à gaz homicides, mais en tant que procédé de transformation du paradigme issu de la Seconde Guerre mondiale permettant de réhabiliter l’antisémitisme. On rappellera que Robert Faurisson fut maître de conférences en lettres modernes.
[6] Henry Rousso, La Dernière catastrophe, Gallimard, Paris, 2013, pp.102-125
[7] Philippe Carrard, Nous avons combattu pour Hitler, Armand Colin, Paris, 2011, p.14.
[8] Luc Capdevila, « La Quête du masculin dans la France de la défaite (1940-1945) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°117, 2010, pp.101-122.
[9] Les œuvres pionnières de Michèle Cotta sur la Collaboration 1940-1944 puis de Pascal Ory sur Les Collaborateurs datent respectivement de 1973 et 1976.
[10] Cf. note 2.
[11] Pierre Clémenti, La Troisième paix, Ed. de la Jeune Europe, Fribourg, 1949, p.54.
[12] Entretien de Jean Castrillo avec Nicolas Lebourg, Paris, 10 avril 1999 ; Isabelle Ziegler, Pierre Bousquet et le Parti Nationaliste Français. Du Francisme à nos jours. Mémoire et histoire d’un apparatchik fasciste français, mémoire IEP de Grenoble, 1991, p.81. Il participe ensuite à la fondation du bulletin Militant, à la direction du FN (proche de Duprat), qu’il quitte en considérant que la montée en puissance de Jean-Pierre Stirbois représente la prise en mains du parti par « les sionistes » (la rumeur veut qu’il se serait appelé en vérité Stirnbaum, ce qui est inexact, mais en revanche sa mère est née Luchtmeyer – archives de l’Assemblée Nationale, information aimablement communiquée par Romain Ducoulombier). Castrillo est membre fondateur du Parti Nationaliste Français en 1983.
[13] Après la mort de Binet, c’est le Suisse Gaston Armand Amaudruz, un temps secondé par Pierre Clémenti, qui prend en mains le NOE.
[14] Patrick Moreau, Les Héritiers du IIIe Reich. L’Extrême droite allemande de 1945 à nos jours, Le
Seuil, Paris, 1994, pp.55-56 ; Jean-Yves Camus et René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1992, p.367.
[15] Robert Belot, « Critique fasciste de la raison réactionnaire : Lucien Rebatet contre Charles Maurras », Mil neuf cent, septembre 1991, pp.64-66.
[16] Le Combattant européen, mars 1946 ; idem, avril 1946 ; idem, juin 1946 ; idem, juillet 1946.
[17] Renseignements Généraux de la Préfecture de Police, « Les Amis de François Duprat », 1989, p.6, Archives de la Préfecture de Police, GAD8 913.285. Se trouve en son sein l’ancien de la Division Charlemagne, Pierre Bousquet, actif ensuite à Europe-Action, au Front National, au sein du bulletin Militant et du Parti Nationaliste Français.
[18]Direction Générale de la Sûreté Nationale, Direction des Renseignements Généraux, Partis et groupements politiques d’extrême droite. Tome I Identification et organisation des mouvements et associations, 1956, pp.4-6, Archives Nationales F/7/15591. Des nationaux restent présents à Rivarol. Mais Jean Madiran quitte l’hebdomadaire quand Rebatet le rejoint en 1963. En revanche, dans le numéro de janvier d’Europe-Action Rebatet était interviewé par Alain de Benoist. Ce dernier devait reconnaître en 1985 tout ce qu’il doit idéologiquement au premier (Robert Belot, art. cit., p.67). L’évolution de la Fédération des Etudiants Nationalistes en Europe-Action, dont le nationalisme occidentaliste préfigure le premier Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne, est aussi en partie due à la lecture des oeuvres de Rebatet, de Drieu et de Brasillach (Jean-Yves Camus, Le Front National. Histoire et analyses, Olivier Laurens, Paris, 1996, p.175 ; Anne-Marie Duranton-Crabol, L’Europe de l’extrême droite de 1945 à nos jours, Complexe, Bruxelles,1991, p.23 et p.35).
[19] DGSN, DRG, op.cit., AN F/7/15591, p.7.
[20] L’Esprit public, septembre 1963 ; idem, juillet-août 1964.
[21] Tous les numéros de page indiqués feront référence aux éditions suivantes : La Brigade Frankreich, Le Livre de Poche, Paris, 1976 ; La Division Charlemagne, Le Livre de Poche, Paris, 1976 ; Mourir à Berlin, Le Livre de Poche, Paris, 1977.
[22] Lettre de Mademoiselle Wittorski à Bernard de Fallois, le 8 novembre 1974, Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine, LGF S13 C79B1.
[23] IMEC, LGF S13 C28B3.
[24]Jean Mabire, Mourir à Berlin, op.cit., p.24
[25] Article cité in Philippe Carrard, op.cit., p.33.
[26] Tant qu’elle le put L’Action française refusa de publier des textes appelant à l’engagement dans la LVF puis la Waffen-SS (Olivier Dard, Charles Maurras. Le Maître et l’action, Armand Colin, Paris, 2013, p.217).
[27] Cf. Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, François Duprat, l’homme qui inventa le Front National, Denoël, Paris, 2012, pp.184-186.
[28] Devenir, n°1, février 1944.
[29]Jean Mabire, Mourir à Berlin, op.cit., p.236
[30]Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.8.
[31]Philippe Carrard, op.cit.
[32] Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.6.
[33] Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy en prison. Les épurés à Fresnes après la Libération, Paris, Gallimard, 2006.
[34]Jean-Luc Leleu, La Waffen-SS. Soldats politiques en guerre, Perrin, Paris, 2007, p721
[35] Devenir, n°1, février 1944.
[36]Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.5
[37] Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.5
[38] L’Esprit public, février-mars 1966.
[39]Jean Mabire, Mourir à Berlin, op.cit., p.155
[40] Ibid., p.280
[41]Jean Mabire, La Division Charlemagne, op.cit., p.124. Le témoignage de Christian de la Mazière dans le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls, documentaire sorti en salles en 1971, avait provoqué un vif émoi, car présentant la justification personnelle de l’engagement sous uniforme SS au nom d’une adhésion idéologique. Il publie son autobiographie aux éditions Robert Laffont en 1972 : Le Rêveur casqué.
[42] Hors-série numéro 32, 1973.
[43]Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.22
[44] Cf. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Ordre Nouveau : fin des illusions droitières et matrice activiste du premier Front National », Studia Historica.Historia Contemporánea, n°30, 2012, pp.205-230.
[45]Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.7
[46]Tzvetan Todorov, Face à l’extrême, Paris, Le Seuil, 1991.
[47] Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.6.
[48]Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.5
[49] Parmi ces groupes on peut signaler Le Communard, le Rassemblement Socialiste Européen (lié au Belge Emile Lecerf), Socialisme européen, Pour une Jeune Europe (dont le journal offre des contributions de Mabire et use probablement le premier en France du mot « racialisme »).
[50] Socialisme européen, n°0, 1967.
[51] Direction Centrale des Renseignements Généraux, « Les Mouvements néo-nazis : la FANE et le Nouvel Ordre Européen (NOE) », octobre 1968, p.2, AN F7/15585.
[52] Notre Europe, juin 1968 ; idem, août 1968 ; idem, octobre 1968 ; idem, janvier 1969.
[53] Dominique Venner, « Préface », in Alain de Benoist, Bibliographie de Jean Mabire, Pont-Authou, Editions d’Heligoland, 2010.
[54] RGPP, L’Extrême droite, 10 septembre 1969, pp.26-27, APP GADR15. Le REL est ensuite sur la liste anarcho-socialiste-européenne.
[55] DCRG, « Le Rassemblement Européen de la Liberté », Bulletin mensuel confidentiel Documentation-Orientation,n°139, avril 1968, 9 p., ANF7/15584.
[56] Défense de l’Occident, octobre-novembre 1973.
[57] Le National, juin-juillet 1975 (Bousquet, Castrillo, Duprat sont alors des contributeurs).
[58] André Doutart, « Les Templiers du XXe siècle sous les plis du drapeau noir », Rivarol, 21 juin 1973 ; id. « Les Français de la division Charlemagne », Rivarol, 12 décembre 1974. L’article pour le troisième tome, « Trente ans après », Rivarol, 22 mai 1975, est certainement du même auteur
[59] Grégory Bouisse, Waffen-SS français, volume 2, Raleigh, 2013, s.p. Il précise par ailleurs que Doutart a laissé en 2008 des mémoires non-éditées : Le SS frivole…
[60]Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.6.
[61] « Livres à lire… », Le Combat européen, n°11, septembre à novembre 1974.
[62] « Bibliographie », Nouvelle Ecole, n°24, hiver 1973-1974.
[63] Entretien de Jean-Gilles Malliarakis avec Nicolas Lebourg, Paris, 30 septembre 2002.
[64]Jean Mabire, La Division Frankreich, op.cit., p.18.
[65] Roger Griffin, « Between metapolitics and apoliteia : the Nouvelle Droite’s strategy for conserving the fascist : vision of the “interregnum” », Modern and contemporary France, février 2000, pp.35-53.
[66] Le Monde, 23-24 novembre 1969.
[67]Entretien de Jean Mabire avec Laurent Schang, « Réflexions sur l’Aventurier », mis en ligne le 27 octobre 2005 sur le site Voxnr.com.
[68] Cf. Francine Dugast, « Le XXe siècle : l’exploration infinie du récit », in Colette Becker dir., Le Roman, Bréal, Paris, 1996.
[69] Simon Epstein, Un Paradoxe français, Albin Michel, Paris, 2008, p.184.
[70] L’Humanité, 14 février 1948.
[71] Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.354
[72] Philippe Carrard, op.cit., pp.81-90 et pp.138-148 ; Mabire publia un vibrant hommage à de La Mazière lors de son décès en 2006.
[73] Saint-Loup, Les SS de la Toison d’or : Flamands et Wallons au combat, Le Trident, Paris, s.d., p.351 (cette maison d’éditions est celle de Jean-Gilles Malliarakis, la première édition fut aux Presses de la Cité, Paris, 1975 ; le déclassement éditorial de cette prose dans les années 1980 est patent).
[74] Devenir, n°3, mars 1944. Membre du service d’ordre de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme avant-guerre Balestre s’y lie à Robert Hersant. Ils se lient à Clémenti et dès l’été 1940 passent à un antisémitisme verbal et physique. Selon François Duprat, Balestre a été le premier Français incorporé à la Waffen-SS. En 1978, Balestre devient le président de la Fédération Internationale du Sport Automobile, poste qu’il occupe jusqu’en 1991.
[75] Cf. Johann Chapoutot, Le National-socialisme et l’Antiquité, Presses Universitaires de France, Paris, 2008.
[76] Signal, n°1, mai 1943.
[77] Signal, n°2, août 1943. Alors même que la division Frankreich était formée en juillet et que la couverture est faite pour attirer le public-cible : la couverture présente un officier français décoré des guerres de 14-18 et 39-40 et de la Légion d’honneur, désormais membre de la LVF et décoré de la croix de guerre légionnaire.
[78] René Binet dans Le Combattent européen, avril 1946 ; Universités, feuille de propagande du Socialisme Européen édité par Le Combattant européen, juin 1946 ; idem, juillet 1946 ; idem, août 1946.
[79] Damir Skenderovic et Luc van Dongen, « Gaston-Armand Amaudruz, pivot et passeur européen », Olivier Dard dir., Doctrinaires, vulgarisateurs et passeurs des droites radicales au XXe siècle (Europe-Amériques), Peter Lang, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2012, p.218.
[80] L’Esprit public, mai 1963.
[81] Dans Défense de l’Occident, novembre 1967 ; idem, février 1969 ; idem, mars 1969 ; idem, numéro spécial, 1973. Initialement, la revue de Bardèche était liée au MSE.
[82] Elément orthodoxe dès Europe-Action, n°5, mai 1963.
[83] L’Esprit public, mai 1963 ; Pour une Jeune Europe, été 1970.
[84] Notre Europe combattante, octobre 1985 ; idem, juillet-août 1985.
[85]Cf. notamment Julien Prévotaux, Un Européisme nazi. Le groupe Collaboration et l’idéologie européenne dans le Seconde Guerre mondiale, Guibert, Paris, 2010
[86]Cf. Alphonse Dupront, Le Mythe de Croisade, tome III, Gallimard, Paris, 1997.
[87] Jean Mabire, La Brigade Frankeich, op.cit., p.16.
[88]Cf. Omer Bartov, L’Armée d’Hitler: la Wehrmacht, les nazis et la guerre, Hachette Littératures, Paris, 1999.
[89]Jean Mabire, Mourir à Berlin, op.cit., p.413.
[90] La SS t’appelle ! , 47p., s.d., AN F7/15304 ; Marc Augier, Les Jeunes devant l’Europe Nouvelle, Les Conférences du groupe « Collaboration », Paris, octobre 1941, 38p.; Patrick Deschamps, Une mythologie européenne sous le signe de la croix gammée. L’imaginaire européen des patries charnelles dans les romans de Saint-Loup, mémoire de master, Université Pierre Mendès France, 2007, pp.10-41.
[91] Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle Droite, Descartes and Cie, Paris, 1994.
[92] Alain Ruscio, « Littératures, chansons et colonies », in Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Culture coloniale. La France conquise par son empire, 1871-1931, Autrement, Paris, 2003.
[93]Jean Mabire, La Brigade Frankreich, op.cit., p.245.
[94]Idem, p.399
[95]Jean Mabire, La Division Charlemagne, op.cit., p.26.
[96] Henry Rousso, Pétain et la fin de la Collaboration Sigmaringen 1944-1945, Complexe, Bruxelles, 1984, p.219.
[97] Commissaire principal, Chef du Service des RG de Lille, au directeur des RG, secret, 21 octobre 1943, 17p., AN F7/15304 ; Marc Sueur, « Collaboration et Résistance dans le Nord et le Pas-de-Calais », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains, n°135, juillet 1984, pp.24-25 ; Un Appel aux Français ! Aux armes pour l’Europe ; texte du discours prononcé à Paris, le 5 mars 1944, au Palais de Chaillot par le SS-Sturmbannführer Léon Degrelle Chevalier de la croix de fer Commandeur de la Brigade d’assaut Wallonie, Erzàtzkommado des Waffen SS français, s.e.., s.d.
[98] Devenir, n°1, février 1944 ; id., n°2, mars 1944 ; id., n°3, avril-mai 1944 ; id., n°4, juin 1944.
[99] François Duprat, Les Mouvements d’extrême droite en France de 1940 à 1944, L’Homme libre, Paris, 1998 (1971), p.149.
[100] Hammerfest (Norvège) est dite la cité la plus septentrionale du monde. Les troupes allemandes l’ont détruite en 1944…
[101] La Jeune Europe, n°1-2, 1942, pp.42-44 ; idem, n°3-4, 1942, pp.9-11 ; idem, n°7, 1942, p.21 ;idem, n°8, 1942, p.24
[102] Saint-Loup, Les SS de la Toison d’or , op. cit., pp.53-54.
[103] Alain de Benoist, « Les paradoxes de la Collaboration », Eléments, n°100, mars 2001, p. 43 (aimablement communiqué par Stéphane François).
[104]Saint-Loup, Les SS de la Toison d’or, op. cit., double page non numérotée ; Défense de l’Occident, mars 1976, cité in Jean-Yves Camus et René Monzat, op. cit., p. 68.
[105] Le premier idéologue de JE n’est pas Thiriart mais Lecerf, ancien auteur des éditions de la Toison d’Or qui diffusaient la littérature des services de Ribbentrop, entre autres à travers le cercle Jeune Europe situé à Bruxelles. Pour JE, Lecerf rédige son premier manifeste officiel, qui assène que l’Europe doit reprendre l’Afrique, se doter d’un gouvernement unique mais être organisée régionalement sur des « bases ethniques, culturelles et économiques » (La Révolution nationale-européenne, Ars, Nantes, s.d (1963), pp.15-31).
[106] Si le trident était le symbole du Groupe de Protection des Jeunes de l’Europe Nouvelle, il ne faut sans doute pas du tout songer que cela puisse compter lors de l’adoption par la mouvance solidariste de ce symbole. Les JEN connurent une scission qui se baptisa Jeune Europe et reprit l’insigne du Jeune Europe produit par l’Allemagne, cinq flambeaux fumants. C’est aussi ce logotype que choisit le Parti Communautaire Nationaliste-européen de Thiriart après sa fondation (1984).
[107] Saint-Loup, Nouveaux cathares pour Montségur, Presses de la Cité, Paris, 1969.
[108] Le Parti National Breton d’Olier Mordrel, partisan de l’indépendance avant-guerre, s’est aligné sur l’occupant, puis a prôné une Europe des régions intégrées au IIIe Reich, tout en dépassant la seule question de la nation bretonne au profit de l’apologie d’Empires raciaux continentaux (cf. Pascal Ory, op. cit., 1976). Olier Mordrel participe à Notre Europe et par la suite à Eléments. Son fils Trystan est secrétaire de rédaction d’Eléments en 1984-85, et est l’un des responsables de la librairie Ogmios. Lui, Goulven Pennaod et Guillaume Faye ont cofondé l’association d’Europa Riezel (« l’Europe impériale ») et Diaspad, une revue nationaliste bretonne celto-druidique militant pour l’Europe des ethnies
[109] Christian Bouchet, qui l’a connu à Nantes où ils résidaient tous deux, affirme que Jeanne fut « lieutenant des services de propagande de la grande armée européenne » ; quel que soit le cas cela ne change cependant pas son type d’expérience du front, marquée par la question de la propagande (Christian Bouchet, « Savitai Devi Mukherji, le nazisme ésotérique et la tradition », Le National-socialisme et la tradition indienne, Avatar, Kildare, 2005, p.85).
[110] Jean-Yves Camus, « Nostalgia and political impotence : néo-nazi and extreme right movements inFrance 1944-1964 », Edward J. Arnold dir., The Devlopment of the radical right in France From Boulanger to le Pen, Macmillan press, Basingstoke, 2000, pp.195-216 ; Camus et Monzat, op. cit., 238-241 et p.356 ; Article 31, avril 1985 ; idem, février 1986.
[111] Le Partisan européen, pluviôse 1987 (sic). L’ouvrage de Gunther ici cité est publié chez Pardès avec une présentation rédigée par Evola et un avant-propos de Robert Steuckers qui est aussi le traducteur de l’ouvrage. Il est plus tard offert aux acheteurs de deux ouvrages de la collection Révolution Conservatrice de Pardès, dirigée par Alain de Benoist, de recevoir soit cet ouvrage soit un autre de Gunther, Mon témoignage sur Adolf Hitler. En 1997, René Monzat a publié un article où il affirmait que le symbole du GRECE n’était pas ce qu’il disait être, un antique motif indo-européen retravaillé, mais la découpe et l’orientation à la verticale de ces frises SS. Cela lui valut une droit de réponse d’Alain de Benoist, et, dans la version postérieure du nouveau manifeste du GRECE, un long exposé de l’antiquité du symbole. Or, ce sont précisément, et à la verticale, les frises SS qui se retrouvent sur Le Partisan européen, encadrant le symbole du GRECE en centre de couverture, et leur verticalité présentant bien le symbole tel que le GRECE en use. René Monzat montre aussi une couverture de Germanien et sa reprise en quatrième de couverture de Nouvelle Ecole, où est seulement gommée la croix gammée. Ce dessin est aussi dans la première livraison du Partisan européen, accompagné d’une citation d’Erza Pound (ArtPress, avril 1997, pp.55-61 ; GRECE, Manifeste pour une renaissance européenne, Grece, Paris, 2000, pp.101-102).
[112] Le Combattant européen, juillet 1946.
[113] Benoît Marpeau, « Le Rêve nordique de Jean Mabire », Annales de Normandie, 43e année, n°3, 1993, pp.215-241.
[114] René Binet, Théorie du Racisme, Les Wikings, Paris, 1950, pp.32-47.
[115] On retrouve les deux lors de la fondation en 1958 de la de la Young European Legion. En 1977, Debbaudt anime un Front nationaliste populaire qui compte parmi ses militants le jeune Robert Steuckers, par la suite leader de la branche scissionniste völkisch de la Nouvelle droite, Synergies européennes (RésistanceS, printemps 1999 ; Roger Griffin, « Europe for the Europeans: Fascist Myths of The European New Order 1922-1992 », Humanities Research Centre Occasional Paper, n° 1, 1994, p.39).
[116] Déclarations du Nouvel Ordre Européen, s.d., 10p.
[117] Fidélité, avril 1958. Son chef, Charles Luca, est le neveu de Déat, a participé à la fondation du MSE, et est en lien tant avec le NOE qu’avec le Mouvement Populaire Européen, la micro-internationale neutraliste impulsée par Otto Strasser (Charles Luca, La Paume et le poing, Charles Luca, s.l., 1988, pp.258-300).
[118] Christian Bouchet, B.A.-BA du néo-paganisme, Pardès, Puiseaux, 2001, p.91. L’auteur achève son ouvrage par ces mots : « Peut-être que la drag-queen qui recrée inconsciemment les rites des prêtres de Cybèle est plus proche du paganisme des origines que le Français très moyen qui se déguise le temps d’un week-end en druide ou en grand prêtre d’Odin… ».
[119] La Lettre du Réseau radical, vol. 2, n°3, mars-avril 2003 (document interne). Dans l’autre sens, indiquant la naissance dans le rituel SS et signifiant la vie, la rune est le symbole de la National Alliance, mouvement américain qui se revendique de Francis-Parker Yockey et dont le chef William Pierce est l’auteur de la bible raciste Turner diaries. Lui et la NA ont été en contact avec le GRECE et divers mouvements européens.
[120] La « Communauté du peuple » relève de l’organicisme völkisch en regroupant « la terre et le peuple, le sol et le sang (…) ceux du même sang, de la même culture et du même destin. L’épanouissement de l’individu n’est possible qu’au sein de la communauté. La vie de la communauté est fondée sur des lois non-écrites inscrites dans son histoire et sa culture » (dans « Dictionnaire du militant », Europe-Action, mai 1963, pp.52-80).
[121] Europe-Action, juillet-août 1965, cité dans Anne-Marie Duranton-Crabol, Visages de la nouvelle droite. Le GRECE et son histoire, Presses de la FNSP, Paris, 1988, p.27.
[122]Jean Mabire, La Division Charlemagne, op.cit., p.74.
[123] Pierre-André Taguieff, « La stratégie culturelle de la Nouvelle droite en France (1968-1983) », Antoine Spire dir., Vous avez dit fascismes ?, Montalba, Paris, 1984, pp.129-130.
[124] DCRG, « Le Nouvel Ordre Européen », Bulletin mensuel confidentiel Documentation-Orientation,, n°150, mai 1969, 3p., ANF7/15585.
[125] Stéphane François, « Jacques de Mahieu entre racisme biologique et histoire mystérieuse », Politica Hermetica, n°26, 2012, pp.123-132.
[126]Article 31, juillet 1985.
[127] Jeffrey Kaplan, « The Post-war paths of occult nationa- socialism : from Rockwell and Madole to
Manson », Patterns of prejudice, vol. 35, n°3, 2001, pp.44-65.
[128] Le Viking, janvier 1964. Le PPNS est remplacé en 1969, par une Grande Loge Du Vril dont le nom est une référence aux thèses sur le soubassement occultes du nazisme (Stéphane François et Emmanuel Kreis, « Le conspirationnisme ufologique », Politica Hermetica, n°19, 2005, pp. 116-137).
[129] Entretien d’Yves Bataille avec Nicolas Lebourg, Perpignan, 21 juin 2004.
[130] Rapport relatif à l’organisation Lutte du Peuple. Propositions relatives à la création d’une centrale d’action
et d’initiative nationale-européenne (document interne). On note le manque de sens du marketing : orthographié tel quel le sigle est AINE, soit une homonymie délicate…
[131] François Duprat, L’Opposition Nationale de 1973 à 1975, Notre Europe, Supplément à la Revue d’Histoire du fascisme, 1976, p.9. Les deux se retrouveront vingt ans plus tard aux marges du PCN.
[132] Cf. Les Cahiers du CDPU, octobre 1972 ; idem, janvier 1973 ; idem, novembre 1973 ; idem, avril 1974 ; idem, août 1974 ; idem, décembre 1974 ; idem, juin 1976.
[133] CIPRE, Dimension Européenne, s.d., p.15.
[134] Le Devenir européen, décembre 1980.
[135] Dès la Phalange française, on prophétisait « des peuples abâtardis, métissés, troupeau dociles de sous-hommes qui, de la Bretagne à l’Oural et de la Sibérie à la Floride, verront les mêmes programmes de télévision, ouvriront les mêmes boîtes de conserve, et invoqueront le même dieu d’Israël » (Fidélité, 15 novembre 1957). Le bulletin intérieur de juillet 1976 du NOE affirme que « la récession économique n’a pas amené une diminution des effectifs afro-asiatiques en Europe, mais uniquement le chômage des travailleurs européens eux-mêmes. Quant aux allogènes, ils servent à concurrencer la main d’œuvre aryenne. Leur infiltration dans tout le continent se poursuit conformément au complot de mélange des races ourdi par les impérialistes » (cité dans Bernard Brigouleix, L’Extrême droite en France. Les « Fachos », Fayolle, Paris, 1977, p.221). Dans Militant est affirmé : « On pourrait croire qu’une main invisible dirige une opération monstrueuse d’épuration ethnique d’un continent entier, détruisant d’un côté toute procréation de petits aryens plus ou moins christianisés pour les remplacer doucement mais fermement par des allogènes (…). Tous les gouvernements européens poussés au derrière par les USA déjà dépravés, colorisés à la manière de leurs films et multiracialisés, ont-ils été contaminés, convaincus ou sont-ils simplement bouchés ? » (Militant, novembre 1999). L’équipe avait réalisé l’hommage à Duprat dans l’organe du FN : « l’ouverture toute grande des vannes de l’immigration n’était que le corollaire obligé de la campagne antinataliste et de la propagande avorteuse. Contrairement à ce qu’écrivaient d’aucuns, nous osions soutenir qu’il ne s’agissait nullement d’un suicide collectif de la France, mais bel et bien d’un assassinat mûrement prémédité. Etudiant les noms de ses promoteurs, nous retrouvions les mêmes, incrustés dans les MEDIAS, dans les groupes gauchistes, et à la tête de certains lobby bien précis (…). Et puis enfin, pour mieux conditionner encore nos concitoyens, il y avait tous ces tabous hérités du second conflit mondial » (Le National, avril 1978). Du côté national-catholique, Romain Marie déclare que l’IVG est un génocide et ajoute : « est-ce tabou de le dire ? Tout est organisé pour qu’il y ait de moins en moins de petits Européens et de plus en plus de Maghrébins. Cela va dans le sens de l’Europe cosmopolite et affairiste prônée par Guy Sorman » (Présent, 26 novembre 1984). Quant au Partisan européen, qui est censé fonder certains des virages du GRECE à « gauche », il explique longuement et avec un intense travail lexico-idéologique que l’Europe serait victime d’un « génocide par substitution (…). Ce génocide s’accompagne d’un ethnocide, de la perte de l’identité culturelle » (Le Partisan européen, germinal 1986).
[136] Article 31, septembre 1988.
[137] L’Europe combattante, été 1997 ; La Lettre du Réseau, février 2000 ; idem, juin 2000 (documents internes).
[138] Olivier Dard, « Introduction », op. cit., p.9.
[139] Jean-Yves Camus, « A Nice, une séance de dédicaces d’anciens de la Waffen-SS », Rue89, 17 mai 2008 ; Roger Griffin, art. cit.
[140] Cf. Nicolas Lebourg, « La fonction productrice de l’histoire dans le renouvellement du fascisme à partir des années 1960 », in Sylvain Crépon et Sébastien Mosbah-Natanson, dir., Les Sciences sociales au prisme de l’extrême droite. Enjeux et usages d’une récupération idéologique, L’Harmattan, Paris, 2008, pp.213-243 ; Jonathan Preda, Les Enjeux d’un héritage. Les fascismes : mémoire et usages d’une référence historique par l’extrême-droite française de 1945 à 1984, master, Université Pierre Mendès France, 2009.
[141]La trilogie de Jean Mabire a été rééditée par les éditions Grancher entre 1995 et 1998
[142] Cf. http://www.cdvfe-divisioncharlemagne.com/ ; consulté le 13 avril 2014.