A l’école du militantisme extrême : le cas des courants « solidaristes » de 1969 à 1972
Conclusion
De l’effondrement de l’extrême droite en 1945 jusqu’aux scores à deux chiffres du FN dès le milieu des années 1980, l’étude de l’extrême droite de cette période porte sur de multiples groupuscules avec une « géopolitique » qui lui est propre, des luttes parfois pour une dizaine de militants, sinon moins. Le solidarisme en est un parfait exemple. Les étudier peut sembler établir des « sommes » au sens moyenâgeux du terme, comme autant compilations de micro-groupes sans importance dans des recherches quasi monacales. Et pourtant…
Les partis politiques visibles sur la scène politico-médiatique doivent beaucoup à ces groupuscules. Ces liens sont idéologiques, on peut appréhender grâce aux « minorités actives » proposé par Serge Moscovici. Par ce concept sont désignés ces groupes aux effectifs réduits qui déploient un activisme de tous les instants allié à une rigidité doctrinale. Porteurs d’opinions contraires à la norme majoritaire, ils suscitent sur un mode action/réaction des changements dans la société47. Ainsi s’est imposée ce qu’on a nommé la « lepénisation des esprits » et plus précisément la thématique « sociale » de l’immigration. Les GNR de Duprat, groupuscule néofasciste lié au Front National, furent des acteurs décisifs dans l’introduction de ce thème au sein du parti frontiste qui s’est par la suite diffusée au sein de la société48.
Les solidaristes n’ont pas eu la chance d’avoir une telle postérité idéologique politique et pourtant, ces mouvements ont été des écoles de formation politique efficaces. Jean-Pierre Stirbois, devenu numéro 2 du FN, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les groupuscules ont très largement joué un rôle de « réservoirs » de cadres formés dans le militantisme extrême, mordus par la politique, sachant parler en public, écrire des articles, des tracts et finalement cherchant un véritable débouché politique avec l’entrée dans la vie adulte.
Cet exemple nous dévoile une partie d’un tableau plus vaste, valant aussi bien à gauche qu’à droite et aujourd’hui encore. L’extrême gauche « jeune » militante à donné elle-aussi nombre des cadres actuels du Parti Socialiste. Cette vision plus vaste doit également tenir compte des « carrières militantes », récent concept des sciences politiques permettant d’intégrer les cycles d’engagements, d’appréhender le militantisme dans les différents âges de la vie, ici le passage entre groupuscules et strapontins ministériels et partis gouvernementaux49.
Encore faut-il que le militant ait la capacité de ces ambitions et sache quitter le navire groupusculaire avant de vieillir dans les eaux extrémistes ce qu’ont très bien réussi divers anciens du Mouvement Occident. Comme le dit Francis Bergeron, « le tout, c’est d’en sortir. Le vieux militant est tout aussi affreux que le modéré à vingt ans »50. Bernanos n’a-t-il pas écrit : « Le polémiste est admirable à 20 ans, supportable à 30 ans, ennuyeux jusque 50 ans, et obscène au-delà » ?
Notes
1 Voir Frédéric Charpier, Génération Occident : de l’extrême droite à la droite, Paris, Seuil, 2005
2 Jean-Yves Camus, « L’Etude de l’extrême droite au risque du soupçon », Politica Hermetica, n°23, 2009
3 Entretien avec l’auteur, Bagneux, 29 juillet 2010
4 Fabrice Laroche, Qu’est-ce qu’un militant ?, Nantes, Ars Magna, 2003
5 Serge Berstein, « Le modèle républicain : une culture politique syncrétique », in Serge Berstein (dir), Les Cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 2003, pp.119-151
6 Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises. 1848-1945. Colère et politique, Paris, Le Seuil, 1981, pp.319-366
7 Entretien avec l’auteur, Bagneux, 29 juillet 2010
8 GaJ2, Archives de la préfecture de police de la ville de Paris
9 Entretien avec l’auteur, Bagneux, 29 juillet 2010
10 « Ca fonctionnait comme des sectes, surtout ces groupuscules qui se voulaient justement ne pas être d’extrême droite. On refusait l’étiquette d’extrême droite aussi. Je pense qu’à Ordre Nouveau ou à Europe-Action, dans tous ces courants-là, il y avait beaucoup plus de passerelles, de porosités. Mais nous, c’était un groupuscule autoporté », Idem
11 Je remercie d’ailleurs infiniment M. Bergeron de m’avoir permis de les consulter.
12 Fiammetta Venner, Les mobilisations de l’entre-soi : définir et perpétuer une communauté : le cas de la droite radicale française : 1981-1999, thèse de doctorat sous la direction de Pascal Perrineau, IEP Paris, 2002
13Voir entre autres Bernard Desmars sur Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle , Paris, Bruno Desmars, 2010
14 Annie Kriegel, Les Communistes français : essai d’ethnographie politique, Paris, Seuil, 1968
15 Voir notamment Jacques Ion, La Fin des militants ?, Paris, L’Atelier, 1997
16 Olivier Fillieule et Olivia Roux Patricia (dir.), Le Sexe du militantisme, Paris, les Presses de Sciences Po, 2009
17 Voir notamment Sylvain Crépon, La nouvelle Extrême droite, Paris, L’Harmattan, 2006
18 Florence Descamps, L’Historien, l’archiviste et le magnétophone, Paris, La Documentation Française, 2006
19 Voir notamment Jean-Marc Berlière, « Archives de police/historiens policés ? », Revue histoire moderne et contemporaine, numéro 48-4, 2001
20 Paris : Éd. des Monts d’Arrée, 1995
21 JRI mai 1969
22 JRI, septembre 1969
23 Joseph Algazy, L’Extrême-droite en France de 1965 à 1984, Paris, L’Harmattan, 2000
24 François Duprat, Les Mouvements d’extrême-droite en France depuis 1944, Paris, Éditions Albatros, 1972
25 Avril 1969
26 Juin-juillet 1971
27 Jeune Révolution Information, avril 1969
28 Idem, septembre 1969
29 FEN Presse, bulletin d’informations confidentielles, mars 1964
30 Op. cit.
31 Joseph Algazy, op. cit.
32 JRI, juin 1969
33 JRI, 15 janv 1971
34 Joseph Algazy, Op. Cit.
35 JRI 1er juin 1972
36 JRI, 20 février 1971
37 Joseph Algazy, op. cit.
38 JRI juillet aout 1971
39 Camps-école 1973
40 Entretien avec l’auteur, Bagneux, 29 juillet 2010
41 Voir entre autres JRI octobre 1971
42 Sur ce sujet, voir notamment Michel Dobry (dir.), Le mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003
Cette gestion de l’étiquette infamante dans une perspective relationnelle sera développée dans une thèse de l’auteur en préparation sur les mémoires des fascismes dans les extrêmes droites de 1945 à 1984.
43 JRI, 15 octobre 1970
44 François Backman, Le Mouvement Jeune Révolution : 1966-1971, de l’OAS au « solidarisme » : genèse, transformation et postérité d’une organisation politique marginale, Mémoire de DEA sous la direction de Serge Berstein,, Paris, IEP, 1993.
45 François Duprat, op. cit.
46 Entretien avec l’auteur, 21 juillet 2010 à Paris
47 Voir notamment Birgitta Orfali, Sociologie de l’adhésion : rêver, militer, changer le monde, Paris, Éditions Zagros, 2005
48 Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg, François Duprat, une histoire de l’extrême droite, webdocumentaire, 2011
49 Voir entre autres les travaux d’Olivier Fillieuile
50 Entretien avec l’auteur, le 29 juillet 2010 à Bagneux