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La Corruption au cœur des débats, la criminalité organisée au cœur des Etats

loup agneau source inconnuePar Guillaume Origoni

Outre la définition technique que nous pourrions donner de la corruption, il semblerait qu’il soit plus utile de comprendre en quoi la société civile par le biais de ses associations, ses initiatives journalistiques ou ses études universitaires, s’empare de façon croissante des racines du mal. Une mécanique simple suffit à apporter une réponse partielle : le citoyen appréhende la dangerosité et l’étendue du problème au fur et à mesure qu’il développe et accroit lui-même ses capacités d’analyses. Quelles sont les réponses apportées par les organes représentatifs nationaux et communautaires ? Que fait la police ?

On assiste à un saut quantitatif, mais aussi et surtout, qualitatif citoyen. La multiplication de ces initiatives s’accompagne fréquemment de compétences investigaitives catalysées par le web. Afin d’illustrer cet intérêt croissant on pourrait citer sans exhaustivité aucune : Libera , Anticor, Flare, mafias.fr… qui illustrent l’implication de la société civile au sujet de la corruption et de la criminalité organisée. On notera également une mutation, certes lente et timide mais pérenne, de l’université française sur ces thèmes. Le travail de Laurent Mucchieli au sein de l’Observatoire Régional de la Délinquance et des Contextes Sociaux (ORDCS) et l’activisme de Fabrice Rizzoli n’en sont que les exemples les plus flagrants. Enfin, les succès récents des conférences en France du juge anti-mafia successeur de Giovanni Falcone et Paolo Borselino, Roberto Scarpinato attestent du vif intérêt pour ces thématiques.

Les Etats pompiers pyromanes de la corruption et de la criminalité organisée

De telles initiatives mettent en exergue les difficultés auxquelles les Etats sont confrontés dès lors qu’il s’agit de mettre en place des dispositifs efficaces contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment dans les pays industrialisés. L’OCDE suite à sa « convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de 1997 », a rendu public le 23 octobre un rapport accablant sur le non-respect des engagements pris par les 41 signataires dont la France. La collision entre les exigences d’une lutte efficace contre la corruption et la configuration inédite d’une économie dérégulée relève d’une schizophrénie que nous avons du mal à traiter. Tous les acteurs de cette lutte en sont parfaitement conscients et il serait hasardeux de penser que la frilosité dont font preuve les Etats dans cette lutte est volontairement entretenue. Nous dépendons de nos échanges commerciaux et ce sont précisément ceux-ci qui permettent l’explosion de la corruption et de la criminalité organisée. Il est très difficile, dans une telle matrice politique, de mettre en place les solutions adéquates.

Toutefois, des propositions concrètes ont été faites par le biais de la commission parlementaire européenne (CRIM) présidée par Sonia Alfano. La commission spéciale sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux, a travaillé de mars 2012 à septembre 2013. Ses recommandations s’inspirent majoritairement des expériences judiciaires, politiques, sociales et policières italienne. Comme le rappelait Roberto Scarpinato : « ce sont les Etats les plus touchés par ces phénomènes qui portent en eux les moyens les plus audacieux et les serviteurs les plus zélés au service de l’Etat de droit ». Les recommandations de la commission spéciale sur la criminalité organisée (…) révèlent l’importance de la tâche qu’il reste à accomplir dans l’Union Européenne pour que le saut qualitatif opéré par les associations citoyennes soit accompagné par la puissance publique.

Le premier constat est significatif des progrès qu’il nous incombe de faire dans cette lutte contre la criminalité organisée, car, s’il semble évident, même pour un non-spécialiste, que l’harmonisation des lois, des méthodes, des informations …entre Etats de l’Union est le préalable indispensable à une efficience certaine ; la commission manifeste en premier lieu son inquiétude sur les différences de représentations d’un Etat à l’autre. Aussi, il semble difficile de nouer des alliances sur un ennemi commun que nous ne parvenons pas encore à nommer à l’unisson. La probabilité de l’échec reste élevée, voire certaine, s’il nous est impossible de décrire le mal dans un cadre référentiel identique. Les linguistes le savent bien : la réalité est construite par le langage et il est impossible de partager cette réalité sans accord préalable sur le sens que nous accordons aux termes employés. Il est vrai que cet exercice est plus compliqué qu’il n’y parait.

Un cadre culturel commun face à un ennemi commun

Pour plus de clarté nous proposons le cadre suivant :

On connait trois phases d’évolution des criminalités. La première peut être qualifiée de « dissociée », c’est-à-dire que le milieu criminel génère ses propres revenus qu’il tire d’activités illicites, le plus souvent : drogues, jeux, prostitution.

La deuxième évolution d’un groupe criminel est une conséquence directe de la première, il s’agit de la phase « parasitaire ». Les richesses ne sont plus acquises uniquement en autarcie, le crime s’organise et s’alimente également du détournement de l’argent public.

Le stade le plus abouti de cette hiérarchie est la phase « osmotique ». Cette situation voit les frontières entre criminalité organisée et pouvoir public se confondre : c’est le système mafieux.

Il est peut être alors plus facile de comprendre pourquoi le terme de criminalité organisé est préféré par les Etats à celui de Mafia : la criminalité organisée décrit une dynamique externe à l’Etat, alors que Mafia désigne implicitement la collusion entre Etat et groupes criminels.

La lutte contre le blanchiment d’argent nécessite donc la prise en compte de la corruption ; sans laquelle la circulation des capitaux est compliquée. L’existence de la corruption reste difficile à admettre lorsqu’elle touche nos propres institutions. Elle est pourtant le corollaire à la prospérité des mafias.

Concéder que des réseaux mafieux existent au sein des sociétés qui traditionnellement n’en sont pas porteuses est un frein culturel facilitant la circulation des capitaux.

Un des exemples illustrant ces réticences est révélé par la tuerie de Duisbourg (Allemagne) en aôut 2007. Les Officiers allemands de la BND (service de sécurité Allemand) ont produit des rapports précis décrivant l’installation sur leur propre territoire de familles de la ‘ndrangheta (mafia calabraise), ils n’ont jamais été pris en compte avec le particularisme du phénomène mafieux. Les pouvoirs politiques savent que la reconnaissance d’une implantation mafieuse au cœur de leur territoire est un aveu d’échec, car les mafias sont fortes là où les Etats sont faibles.

Il s’agit d’un frein culturel qu’il parait difficile de contourner, même si, la présence d’une criminalité organisée puissante et une corruption d’intensité élevée ne relève pas d’une logique systémique. Gardons-nous donc de voir des mafias derrière chaque phénomène impliquant un ensemble d’individus faisant preuve d’une intelligence criminelle.

Le processus est-il réversible ?

Convenons que le danger mafieux est une menace d’importance similaire à celle des risques présentement liés au terrorisme de l’islam radical. En effet, son enracinement spatio-temporel (rappelons que sans structures pérennes et contrôle du territoire il est incorrect de définir un groupe criminel comme structure mafieuse), lui confère un effet hautement déstabilisant dans le cadre d’une démocratie à l’économie mondialisée et libéralisée. L’ensemble des flux financiers provenant de l’économie criminelle sont estimés entre 600 et 1800 milliards de dollars par le Groupe d’Action Financière (GAFI) chaque année. L’importance de ces masses d’argent ouvre la porte aux questionnements suivants :

  1. Peut-on se passer de l’apport financier produit par les activités criminelles ?

  2. Les investissements réalisés suite au blanchiment le sont-ils dans des entreprises vitales pour la survie de la société civile (distribution d’eau, industries pharmaceutiques, agro-alimentaire…).

  3. Les investissements réalisés suite au blanchiment le sont-ils dans des entreprises stratégiques pour la souveraineté étatique ?

On l’aura compris, l’enjeu est important et dépasse les épiphénomènes –qui restent des drames humains- instantanés qui s’incarnent dans la violence croissante des conflits urbains principalement liés au trafic de stupéfiants.

Le livre blanc de la défense dans sa version de 2008 mentionnait la criminalité organisée comme l’un des facteurs constitutifs de l’incertitude stratégique et attribuait au phénomène une probabilité élevée dans la hiérarchisation des risques et des menaces sur le territoire national. Le livre blanc de la défense de 2013 n’aborde le sujet que très vaguement1.

Or, à la vue des éléments cités au cours de notre tentative de démonstration, il semblerait que les Etats aient bien à faire face à une menace d’ordre stratégique tant le danger est important de voir les réseaux criminels organisés devenir de véritables mafias.

Manifestement nous sommes mal préparés à l’élaboration d’une défense efficace. En premier lieu, nous l’avons vu, sont en cause les traités internationaux et communautaires qui constituent un effet d’aubaine pour les réseaux criminels, qui ont par ailleurs, la possibilité d’occulter tout ou partie de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux. Le deuxième facteur clé réside dans la communication déficiente du politique vers le citoyen. A titre d’exemple, nous pouvons légitimement poser une question simple : quel retentissement a eu le travail de la commission parlementaire européenne CRIM? La demande est valable tant au niveau macro (l’Union Européenne) que local (les Etats) ? Quels sont les parlementaires de notre assemblée nationale qui se sont servi du travail effectué par la commission ? Combien d’entre eux en ont tout simplement entendu parler2 ?

Enfin, est-il raisonnable de concevoir, que la lutte contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment, ne concerne que les organes policiers « classiques » et la magistrature ? En d’autres termes : n’est-il pas urgent de mettre en place un système de renseignement criminel qui vienne appuyer à la fois le travail de la police judiciaire et celui des douanes ?

Le renseignement criminel face au crime organisé : un élément de réponse possible

François Farcy et Jean-François Gayraud, influencés par les analyses du tandem Xavier Raufer / Alain Bauer, proposent dans leur ouvrage « Le renseignement criminel 3», une approche originale et politiquement modérée. Ces deux officiers de police4, respectivement de nationalité belge et française, considèrent que l’approche purement policière et judiciaire est lacunaire dans la lutte contre les phénomènes de criminalité organisée et posent en préalable de leur exposé une question faussement naïve : «qui combat-on réellement ? »5. Pour répondre à cette question – qui corrobore les constatations de la commission CRIM que nous citions précédemment- les auteurs insistent sur la nécessité de modifier les paradigmes essentiellement issus de techniques policières inadaptées face à ces nouveaux Léviathans criminels. François Farcy et Jean-François Gayraud désignent une « sous-culture professionnelle » latente qui fait naturellement barrage aux méthodes dont le résultat n’est ni immédiat ou tout au moins possiblement proche dans le temps. Or, face à un adversaire mutant aux capacités d’adaptations multiples et rapides ce positionnement tactique est inopérant. « L’action se nourrit d’elle-même sans remise en cause » concluent les deux policiers.

Le court terme, la réaction et le traitement par dossier isolé et ponctuel, ne permettent pas une vision d’ensemble rendant visible la totalité du biotope criminel. Les auteurs font d’ailleurs appel à une formule littéraire pour nous aider à comprendre à quels enjeux nous avons désormais à faire face : « Le renseignement croit aux fantômes : c’est-à-dire à tout ce qui n’est pas immédiatement perceptible au sens commun ». En effet, il est primordial de cibler, recueillir, d’analyser et affiner l’écologie du criminel (ou du groupe criminel) afin d’anticiper une menace qui peut être désormais définie comme stratégique.

Appuyons nous sur l’exemple des loges paramaçonniques qui constituent le versant ésotérique de la hiérarchie de certaines ‘ndrine (prononcez indriné; ce sont les familles appartenant à l’’ndrangheta). Appelée, Santa Setta, ces « loges » sont le lieu où se jouent des rites archaïques, bricolés et amalgamés aussi bien par des représentations liturgiques, maçonniques mais également païennes. L’enjeu pour l’organisation mafieuse réside dans le renforcement des rites d’affiliations en leur attribuant un versant magique qui ouvre l’accès à une force surnaturelle qui servirait tantôt à servir le ’ndrangetiste tantôt à le punir.

S’il est évident que la connaissance approfondie (si tant est qu’elle soit possible) de ces rites ne conduit pas à l’élucidation immédiate d’un crime, son ignorance est par contre un frein à la compréhension de la construction identitaire du groupe.

Aussi, lorsque François Farcy et Jean-François Gayraud insistent sur la nécessité de groupes de travail constitués de policiers et de non-policiers formés aux sciences sociales pour l’établissement d’un renseignement criminel de qualité, il est plus aisé d’en saisir l’utilité et les contours face à la complexité d’un phénomène polymorphe. Il serait bien irresponsable de penser que les frontières françaises soient en mesure d’être le rempart suffisant aux infiltrations mafieuses venant de l’extérieur. Cette irresponsabilité confinerait alors à la cécité volontaire s’il nous était impossible de voir que la France est elle-même porteuse des germes qui n’attendent que le terrain favorable à leurs proliférations.

Notes

1Défense et Sécurité nationale- Le Livre blanc- Editions Odile Jacob.2008. Paris. On note 8 occurrences sur les 350 pages que compte l’ouvrage contre 2 seulement sur les 160 pages de la livraison de 2013.

2L’auteur de ces lignes a posé la question à l’antenne marseillaise du parlement européen et n’a obtenu aucune réponse.

3CNRS éditions-2011-Paris.

4Jean-François Gayraud est commissaire divisionnaire de la police nationale française, docteur en droit, diplômé de l’IEP de Paris. Francois Farcy est criminologue, commissaire divisionnaire, directeur à la police judiciaire fédérale belge.

5Le renseignement criminel-page 36 et suivantes.

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