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41 ans après, l’Italie condamne ses néo-fascistes

premierdeuil

William Bouguereau , Premier Deuil, 1888.

Par Guillaume Origoni

« Une sentence historique ! ». Cette accroche se propage, souvent en une, des grands quotidiens italiens depuis mercredi 22 juillet. Le procès dont il est question prend racine dans l’attentat du 28 mai 1974 à Brescia en Lombardie, région du nord de l’Italie. Ce jour-là, une bombe explose Piazza della Loggia lors d’une manifestation syndicale et antifasciste. Elle provoque 8 morts et 100 blessés. Les faits remontent à 41 ans et la cours d’appel de Milan a prononcé deux condamnations à la perpétuité à l’encontre de Carlo Maria Maggi l’un des idéologues de la cellule Vénète d’Ordine Nuovo, ainsi que pour Maurizio Tramonte, militant d’extrême droite alors infiltré par le service secret militaire (SID) dans Ordine Nuovo.

Ces condamnations sont accueillies avec soulagement en Italie tant il semblait impossible de mettre des noms et à fortiori de prononcer des peines sur les attentats qui ont ensanglanté la péninsule entre 1969 et 1974. Nous sommes alors en pleine guerre froide et l’avancée des forces politiques de gauche qui se meuvent avec et autour du puissant Parti Communiste Italien sont perçues comme une menace par une partie de l’appareil d’État Italien. Il est donc difficile dans ce contexte d’aboutir à une vérité judiciaire qui servirait de socle à l’établissement d’une vérité historique elle-même préalable au deuil national.

L’importance du verdict rendu par la Cour d’Appel de Milan ce mercredi 22 juillet à 21 heures, même 41 ans après les faits, est donc capitale, puisqu’elle légitime le travail acharné des juges d’instructions et des enquêteurs qui depuis plus de 30 ans travaillent afin que soit reconnue la dignité des victimes. C’est également une bonne nouvelle pour les chercheurs et les historiens constatant qu’à la suite de ce verdict, les dynamiques de la violence sont « gravées dans le marbre ». Il est toujours possible que cette sentence soit annulée par un jugement favorable issu d’un hypothétique pourvoi en cassation, mais, une source très proche de l’enquête, nous a cependant déclaré que « non seulement, cela est peu probable car le dossier est solide, les protections d’antan n’existent plus, mais il est par contre tout à fait envisageable qu’il soit désormais possible de conduire également devant les tribunaux les exécutants matériels de l’attentat de Brescia !».

Une confusion entretenue par la droite italienne

La page de la saison des attentats n’est pas tournée en Italie. Elle ne peut l’être, puisqu’en l’absence de procès ayant abouti à l’établissement des culpabilités, la première république italienne est confrontée aux manques qui permettraient l’élaboration du cadre politique ayant catalysé la stratégie de la tension. Ne cesse de se propager l’onde de choc causée par les attentats de Piazza Fontana (12 décembre 1969 Milan), du train du soleil à Gioia Tauro (Calabre, le 22 juin 1970), de la voiture piégée qui tua 3 carabiniers à Peteano ( Frioul, Nord-Est de l’Italie, le 31 mai 1972), de la préfecture de Milan (17 mai 1973), de Piazza della Loggia (Brescia), du train Italicus (4 Août 1974 aux alentours de Bologne), de la Gare de Bologne (2 Aout 1980) . Le verdict de ce mercredi 22 juillet en est une résultante. 134 morts et 554 blessés hantent ce territoire et cet arc temporel. Ceux-là ont été tués par l’extrême droite, d’autres furent tués par l’extrême gauche.

Les enquêtes furent difficiles, voire impossibles, pendant près de 30 ans. La protection accordée aux terroristes néo-fascistes fit souvent écho aux questions posées par les enquêteurs. Dans le miroir tendu par les audiences, la nation italienne rechignait à se confronter à son reflet. L’espace vacant a donc été progressivement rempli par de nombreuses théories qui ont émané de toutes parts – médiatiques, universitaires, politiques – pour in-fine se rassembler dans un courant révisionniste poussé par les anciens militants de l’extrême droite italienne. Cette historiographie parallèle perturbe le travail des chercheurs et une mythologie trouve alors sa place sur les réseaux sociaux qui tendrait à nier la collusion entre les services spéciaux italiens et les groupes extraparlementaires issus du grand parti de la droite italienne : le Movimento Sociale Italiano (MSI).

Certains de ces anciens militants trouvent en France aujourd’hui même un accueil complaisant au sein de la nébuleuse national-révolutionnaire. L’enjeu réside dans la remise en question de la culpabilité des néo-fascistes dans la stratégie de la tension italienne et plus précisément sur la période allant de 1969 à 1974, puis pour l’année 1980. Or, le travail d’instruction conduit par le juge Guido Salvini et le Colonel du ROS (Cellule d’investigation des carabiniers dédiée à la criminalité organisée et au terrorisme), Massimo Giraudo, pour ne citer que les plus emblématiques, démontent peu à peu la délégitimation et la confusion entretenue par la droite italienne.

Une mythologie conspirationniste popularisée par la gauche italienne

Nul ne doute que les services spéciaux italiens ont contribué à la défiance des citoyens face à l’État. Ils ont aussi bâti les fondements de ce qui est désigné en Italie comme « dietrologia », c’est-à-dire une vision conspirationniste de l’histoire de la stratégie de la tension et des années de plomb. Les nombreuses publications tendant à démontrer que le terrorisme rouge fut téléguidé au choix par : les États-Unis, Israël, l’URSS, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Angleterre, la France, etc., sont popularisés par des journalistes pour la plupart issus de la gauche. Rencontrant un véritable succès commercial, elles sont commercialisées par des éditeurs spécialisés sur ces thématiques. Cette production entretient l’opacité qui entoure l’ensemble de la violence politique générée par les actions des Brigades Rouges, de Prima Linea….

Ce qu’un homme fait, un autre le défait. Il en va de même pour les juges et pour un Guido Salvini, combien de Rosario Priore, de Pietro Calogero ou de Ferdinando Imposimato (qui fut le candidat présenté par le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo à la présidence de la république) ? Car c’est bien sur les dépositions de ceux-ci au cours des différentes enquêtes parlementaires que ce sont propagées « les théories alternatives » sur la manipulation des Brigades Rouges par les services spéciaux italiens et étrangers. Méthodologiquement, les différents livres enquêtes de Giovanni Fasanella, Silvano de Prospo…. ne peuvent pas revêtir le statut de recherche historique et se basent depuis plus de 10 ans sur les travaux des juges sus-cités, qui furent eux-mêmes très influencés par l’ancien Président de la République italienne Francesco Cossiga. L’historien Giacomo Pacini s’étonne que l’ensemble de cette production éditoriale se base sur des dépositions sommes toutes très peu étayées : « Les mythes qui entourent la séquestration et l’assassinat d’Aldo Moro et qui font des Brigades Rouges un groupe terroriste manipulé ne remplissent que quelques lignes dans les commissions d’enquête parlementaire ».

Ajoutons pour conclure que nous ne pourrions que souhaiter une précision accrue lorsque les sujets liés aux années de plomb et à la stratégie de la tension sont traités par la presse française. La justice et la recherche italienne ont certes été obstruées durant de nombreuses années, mais il n’en demeure pas moins que des terroristes italiens d’extrême droite furent reconnus coupables et emprisonnés. Non, l’impunité n’a pas été totale et il est important de le préciser afin de ne pas rajouter de la brume dans le brouillard.