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Le Front National et l’offre politique

Par Nicolas Lebourg

La fonction tribunicienne fut tenue jusqu'à la fin des années 1970 par le Parti Communiste Français, usant d'un langage révolutionnaire au  bénéfice d’une attitude réformiste. Les slogans radicaux étaient une manière d’obtenir des dominants des transformations sociales, par une transaction entre le langage de rupture et la praxis pragmatique. Le communisme parlementaire et syndical joua ainsi peu ou prou le rôle de lobby au bénéfice non d’une classe, mais de masses usant de ce moyen pour agir sur un seul segment politique, celui désigné par les communistes sous le vocable de « justice sociale ». Plus encore que le P.C.F., le Front National a tant joué cette fonction transactionnelle que l’on pourrait le qualifier de « parti-lobby », agissant au profit de masses n’en usant que sur le segment que les frontistes intitulent la « préférence nationale ».

Alors que le F.N. a joui d’un groupe parlementaire, aucun de ses députés n’a donné son nom à une  loi. En revanche, depuis que le parti projette son ombre sur la scène politique, la législation relative à l’immigration n’a cessé d’être compulsivement révisée par toutes les majorités parlementaires. Le FN est structurellement un instrument de lobbying d’une fraction de l’électorat. Celui-ci ne réclame pas un retour à Vichy mais un « libéralisme ethnocratique », où le libre marché est régulé par le discriminant ethno-national. D’où la capacité du parti a agréger ensemble des clientèles socialement très diverses.

Or, lors de la scission mégretiste de 1999,  faite sur une ligne non loin en bien des points de celle de Marine Le Pen, la vision des mégretistes a été unanimement relayée : ils allaient remplacer le F.N. La victoire leur était promise car ils avaient emporté l’encadrement et les structures de l’appareil dont ils étaient devenus les maîtres d’œuvre idéologiques. Le résultat du 21 avril 2002 est ainsi obtenu par le président septuagénaire d’un parti sans cadre ni militant, et à la doctrine désormais inexistante et illisible dès que l’on s’écarte du slogan de « préférence nationale ».

En somme, la politique telle que conçue sur la base d’un corps militant diffusant un programme dogmatique relève de la défunte société industrielle. Elle se constitue désormais sur le modèle du marché libéral où l’excitation d’une demande permet la production d’une offre. Le vote FN a su répondre à une demande politique, et on a pas assez insisté sur le fait que le 21 avril la moitié du corps électoral s’est portée sur des candidats se présentant comme hostiles à la mondialisation néo-libérale. Leur report en 2007 sur le candidat Sarkozy se fait moins car il traite de « l’identité nationale » que parce que ce discours se joint à la promesse « travailler plus pour gagner plus ». Soit un ordre social où la hiérarchie serait enfin légitime, où le travailleur déclassé n’aurait pas au dessus l’obscénité des gains et en dessous des immigrés censés jouir de toutes les aides.

Subséquemment, les discours attaquant le FN sur le thème du « populisme » ou du déficit de sérieux des frontières à l’heure mondialiste ne sont pas une réponse en contre au FN mais un viatique pour lui. L’exaspération suscitée par le système politico-économique est telle qu’entre lui et quoi que ce soit qui y fasse rupture, une part conséquente de nos concitoyens choisit la rupture. Ils ne réclament pas une révolution anticapitaliste mais un ordre hiérarchique légitime. Répondre au FN exige donc que chaque camp politique assume ses responsabilités.

La droite doit se restaurer idéologiquement. L’échec du néolibéralisme a laissé sans logiciel une droite française qui ne s’y était pourtant convertie que  récemment. Avalisant les thèmes altérophobes, elle ne fait que légitimer le discours frontiste, transfère ainsi ses voix au FN et mobilise en face l’électorat de gauche. Elle doit retrouver un discours quant à l’ordre, la nation, la personne, et non être une version soft du libéralisme ethnocratique.

La gauche de gouvernement se doit d’admettre l’attachement des Français à des cadres unifiés avec une fonction sociale de l’Etat et non à une société atomisée où la régulation étatique ne toucherait que les « exclus », les « sans ».

La gauche antilibérale a un devoir de restaurer sa propre fonction tribunicienne en s’unifiant électoralement. Elle doit porter cette contestation du peuple français. Sachant que le FN a pu allier ensemble poujadistes et néo-nazis n’ayant rien de commun, on ne connaît pas de raison sérieuse interdisant la même opération à gauche de la gauche, permettant la même pression législative sur la question sociale que celle que le FN a obtenue sur la question migratoire depuis trente ans.

Première parution : Nicolas Lebourg, « Réclamer un ordre juste », Pote à pote (organe de SOS Racisme), juillet-septembre 2011, p.38.

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