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Les Faiblesses du RN, les atouts de Marine Le Pen

Le mythe de Sisyphe, par Titien, 1548-1549

Première parution : Nicolas Lebourg, « Les faiblesses du RN, les atouts de Marine Le Pen », Le Monde, 10 juillet 2021, p. 10.

A quelques mois de l’élection présidentielle, le congrès du Rassemblement national (RN), les 3 et 4 juillet à Perpignan, a été l’occasion de mesurer les forces et faiblesses de son appareil partisan. Dans un mouvement organisé verticalement, l’élection du conseil national (CN) est une des rares occasions de percevoir l’appareil derrière la présidente et les porte-parole. Ils étaient peu nombreux à vouloir y entrer (277, contre 409 au congrès de 2018), avaient l’âge classique des cadres politiques (46 ans, comme en 2018) et étaient toujours aussi genrés (28 % de femmes, comme en 2018).

Le congrès a corrigé le tir en élisant 40 % de femmes, et Marine Le Pen a nommé une direction nettement féminisée. Cette stratégie est rationnelle. Les femmes votaient beaucoup moins que les hommes pour Jean-Marie Le Pen. A l’élection présidentielle de 2017, elles ont beaucoup plus participé (+ 3,7 points de votes exprimés) que les hommes au premier tour (+ 6,1 au second) et ont plus voté lepéniste (+ 2,6 au premier tour, + 0,2 au second).

Après l’abstention hégémonique des élections régionales et départementales de juin 2021, avec la possibilité de la candidature du très masculiniste Eric Zemmour, la rectification du matériau militant initial du RN pour donner à voir un parti féminisé est un vrai angle d’attaque pour le premier tour de 2022.

Moins que l’émanation du « peuple militant », les candidats au CN en sont les notables : 75 % déclaraient un mandat électif, et près de 69 % disposaient d’un mandat interne (secrétaires départementaux, membres du CN sortant, etc.). Le RN ayant perdu 44 % de ses conseillers municipaux (et n’étant plus présent que dans 0,8 % des communes) et 30 % de ses régionaux, le peu de place laissé aux simples militants contribue à l’effacement des questions idéologiques (aucun débat thématique ou stratégique n’a eu lieu durant le congrès) et participe de la difficulté du RN à disposer de retours du terrain.

Le lien de ces cadres à la présidente du RN est d’autant plus net que 57 % d’entre eux se sont encartés entre 2010 et 2015, c’est-à-dire à la période comprise entre l’accession de Marine Le Pen aux commandes et la défaite du parti aux précédentes élections régionales – et encore les chiffres sont-ils biaisés, puisque tous ceux qui sont revenus après avoir participé à la scission mégrétiste de 1999 sont considérés comme membres depuis leur adhésion d’origine. Si l’assiette militante s’est réduite depuis 2015, sa structure assure la stabilité de Mme Le Pen : quoi qu’en disent ceux qui mettent en avant ses faiblesses politiques, le parti lui est acquis.

Parti de « l’enracinement » et du « localisme », le RN est absent sur de grands pans du territoire : l’outre-mer est un désert militant, mais même en métropole une dizaine de départements n’avaient produit aucun candidat. Pour l’essentiel, ils étaient situés à l’ouest de la ligne Le Havre-Perpignan, démarcation bien connue depuis les années 1980 pour représenter l’espace où le parti a le plus de mal à réussir électoralement.

Néanmoins, malgré la prise de Perpignan et le fait que le congrès du week-end s’y soit déroulé, la fédération des Pyrénées-Orientales a vu fondre sa participation : quatre candidats en émanaient, contre 15 en 2018. Alors qu’il était en concurrence avec Jordan Bardella pour assurer la présidence par intérim, Louis Aliot – qui jouait pourtant à domicile – n’a manifestement pas considéré qu’envoyer les siens représentait une plus-value tactique.

D’autres cadres semblaient avoir fait le choix inverse : le Pas-de-Calais avait 16 candidats ; les Bouches-du-Rhône, 17 ; le Var, 21. Ces vieux bastions électoraux ont connu des résultats très décevants aux élections régionales avec des transfuges de la droite en tête de liste – Sébastien Chenu et Thierry Mariani – qui ont été acclamés et promus lors du congrès selon une règle de management, constante du Front national au RN, de faveur donnée aux entrants. En 1988 et en 2012, Bruno Mégret puis Florian Philippot avaient été propulsés numéro deux du parti sans cursus honorum militant.

Tous ces indicateurs témoignent d’un parti fragile. Mme Le Pen a nettement réfuté que cela soit dû à sa volonté affichée, au cours de ces derniers mois, de s’adresser à l’ancien électorat de François Fillon à la présidentielle de 2017. Un sondage de l’IFOP paru la semaine du 28 juin, et qui lui accorde 28 % au premier tour, témoigne qu’elle a encore un profond retard chez les seniors, les diplômés, les professions intellectuelles (où, comme en 2012 et 2017, elle ferait encore moins que son père en 1988).

Elle peut espérer que son positionnement tasse peut-être son score au premier tour de la présidentielle de 2022, mais, surtout, qu’il lui permette de l’améliorer au second par rapport à 2017. Faire moins rendrait délicate sa reprise de la présidence du parti dans la foulée de l’élection.

Les défaites du RN aux trois derniers scrutins présidentiels ne doivent pas faire oublier que le 21 avril 2002 Jean-Marie Le Pen était le candidat vieillissant d’un parti groupusculaire, ayant perdu l’essentiel de ses cadres et militants lors de la scission, au score désastreux lors des élections européennes précédentes (5,7 %), et ayant mené une campagne erratique. Le parti peut, certes, être hors-sol, ce qui compte pour le second tour est la crédibilité du candidat et de son programme. Il reste, en la matière, beaucoup de travail à Marine Le Pen.