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Front National & Florian Philippot

cravate solitairePropos de Sylvain Crépon recueillis par Alexandre Devecchio pour Atlantico, 8 mars 2013.

Après une ascension fulgurante au sein du FN, Florian Philippot est de plus en plus contesté par les militants. Malgré un score historique -46,30%- au second tour des législatives de Forbach (Moselle) face au PS, le vice-président du FN ne fait pas l'unanimité auprès des cadres locaux. Comment expliquez-vous ces difficultés ?

Sylvain Crépon : Le Front national est traditionnellement un parti populiste qui s'est construit sur le rejet des élites. Jean-Marie Le Pen n'avait de cesse de fustiger l'« énarchie » et tous les partis technocrates coupés des préoccupations du peuple. 

Florian Philippot a justement un pur parcours de technocrate : HEC, ENA, ministère de l’Intérieur … Le FN bénéficie de cadres qui peuvent être cultivés, de stratèges fins, de bons communicants, de brillants juristes, mais l’une des carences du parti est son absence de culture de gouvernement. Pratiquement aucun frontiste n’a participé à un cabinet ministériel, n’a eu à gérer une région, n’a présidé un conseil général, ni même intégré la haute fonction publique. Et la période est loin maintenant où certains de ses cadres ont pu gérer des grandes villes, avec en plus les résultats que l’on sait. 

Le Front national tente d’ailleurs de compenser cela en formant lui même son personnel à travers la mise en place d’écoles de cadres, comme le Parti communiste l’avait fait en son temps. Il est ainsi aujourd’hui quasiment le seul parti qui permette à des personnes d’extraction modeste d’obtenir des responsabilités politiques. 

Cette particularité du FN, qu’à bien mise en lumière la présence récente de Florian Philippot, est à la fois une force et une faiblesse. Elle permet au parti de légitimer son discours populiste sur le mode : « Nous sommes composés de gens populaires ancrés dans la vraie vie ». Dans son organigramme, le Front national est à l’image de ses électeurs. Sur le terrain, les sympathisants, les militants et les électeurs savent gré au FN de leur ressembler.

Florian Philippot bouleverse la donne en arrivant avec un capital culturel et social, une configuration intellectuelle qu’on ne connaît pas au Front national. Durant la campagne présidentielle, il a été très utile à Marine Le Pen à tel point qu’au bout d’un an d’adhésion il est devenu numéro 2. Cette situation inédite dans un parti politique a plusieurs conséquences. Autrefois, Marine Le Pen prenait conseil auprès de plusieurs cadres. Aujourd’hui, il semble qu’elle soit conseillée  presque exclusivement par Florian Philippot. Cela ne peut que créer des tensions et des jalousies. En outre, cela met le Front national en contradiction avec son discours populiste, son discours « anti-estabishment » et « anti-technocratie ».

Florian Philippot, parfois surnommé en interne « le gourou » de Marine Le Pen, est perçu par une partie de la base comme un militant de la 25e heure qui a coiffé tout le monde au poteau.  Il y a eu récemment un remaniement dans la hiérarchie et on peut aisément supposer que cela provoque quelques grincements de dents.

C’est sur le plan local que Florian Philippot est le plus chahuté. Est-il coupé de la réalité des militants ?

Je n’ai pas enquêté dans son fief électoral. Mais j’ai recueilli des témoignages qui rapportent que l’ascension de Florian Philippot a heurté la raison d’être de l’engagement de certains adhérents. Beaucoup ont rejoint le FN à travers son discours populiste, son discours « anti-élites », son discours « anti-énarchie ». Or, il a suffit qu’un seul énarque arrive au Front national pour qu’il se retrouve immédiatement au sommet. Cela apparaît comme une trahison aux yeux de certains militants. Et ce en dépit du fait que le nouveau numéro 2 prône des mesures sociales à destination des catégories populaires. Tandis que certains frontistes se réjouissent de la présence d’un jeune technocrate, signe de normalisation, d’autres au contraire craignent qu’avec se genre de cadre le parti ne perde son âme.

Florian Philippot, issu du « Chevènementisme », est arrivé au FN avec de fortes convictions républicaines qu’il a cherché à imposer au parti. Au-delà de la compétition interne, son positionnement entre-t-il en conflit avec la ligne historique du FN ?

D’abord, il n’a pas été officiellement membre des différents mouvements chevènementistes. Il a été un simple sympathisant. Ensuite, la décision  de présenter le FN sous un jour républicain ne date pas de l’arrivée de Florian Philippot. Marine Le Pen avait déjà impulsé ce changement en réactivant « Générations Le Pen » en 2002 après la claque du 21avril.

Contrairement aux apparences, cet épisode a été vécu comme un vrai traumatisme par le FN. Devant l’opposition populaire qui défile dans la rue, Marine Le Pen et ses proches réalisent que le FN n’arrivera jamais au pouvoir. Il y a la prise de conscience que la stratégie du « vieux », comme ils disent, ne fonctionne pas. La décision est prise de revenir à ce que Bruno Mégret avait décidé d’impulser : « dédiabolisation » et « normalisation ».

Marine Le Pen a trouvé par la suite en Florian Philippot une personnalité susceptible de légitimer cette ligne. C’est quelqu’un qui, en plus de ses ressources personnelles liées à son parcours scolaire et professionnel, a un passé politique et en plus un passé politique de gauche. Marine Le Pen a trouvé en lui une « matière grise » capable de renforcer intellectuellement cette stratégie qu’elle s’efforçait déjà de mettre en place. C’est d’ailleurs pourquoi, elle ne peut pas se passer de lui. On l’a vu lors de l’émission des Paroles et des actes, Marine Le Pen cherche à maîtriser ses dossiers alors que Jean-Marie Le Pen faisait des calembours, jouait l’affrontement, ou répondait aux journalistes par des pirouettes ou des provocations. Le besoin d’apparaitre crédible est désormais un des objectifs affichés du parti frontiste.

Florian Philippot a réussi à se rendre indispensable, justement parce qu’il possède cette culture de gouvernement qui fait défaut au parti lepéniste. Il semblerait néanmoins qu’il n’arrive pas à assumer les racines d’extrême droite du parti, chose que beaucoup de cadre historiques assument pourtant assez facilement, naturellement pour assurer aussitôt avoir tourné le dos à ces racines.

Ensuite, même s’il est en train de changer et même si Marine Le Pen tente de lui donner une nouvelle image, le FN reste partagé entre adaptation au système politique et contestation de ce système.  Ce tiraillement existe d’ailleurs depuis les débuts du mouvement, comme le politiste Alexandre Dézé l’a très bien montré dans ses récents travaux (Le Front national, à la conquête du pouvoir ? Armand Colin, 2012). S’il se normalise trop, il perd son potentiel électoral de parti protestataire. A l’inverse, s’il se « diabolise » trop, il est mis au ban du jeu électoral et reste dans une dimension politiquement stérile. Certains cadres ont aujourd’hui conscience de cette situation qui s’apparente à une impasse. 

A travers Florian Philippot, on voit bien cette tension se réactiver entre ces deux pôles : normalisation et contestation du système.

Par ailleurs, Philippot ne tient pas compte de l’Histoire idéologique du FN. Il veut très vite tourner la page Jean-Marie Le Pen, tourner la page des liens avec l’extrême droite radicale. Pour lui, le Front national se limite à l’image qu’en donne sa présidente. Et, malgré tout, beaucoup de gens, y compris dans l’entourage de Marine Le Pen, restent d’une fidélité sans faille à Jean-Marie Le Pen. Même s’ils ne se retrouvent pas dans ses provocations, ils lui savent gré d’avoir fait du FN ce qu’il est. C’est peut-être ce qui explique en partie les inimités internes que Philippot a suscitées depuis qu’il a rejoint le FN.