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Une Autre histoire des origines du projet spatial américain

bear-and-u-f-oPar Stéphane François

Ewen Chardronnet, journaliste scientifique, nous propose avec Mojave Epiphanie (paru en 2016 chez Inculte) une plongée dans les origines du projet spatial américain. Son enquête se concentre principalement sur trois personnes (mais, à ce niveau il serait préférable de parler de personnages tant ceux-ci sont hauts en couleur) : Jack Parsons, Franck Molina et Tsien Hue-Shen, un autodidacte et deux universitaires brillants. Nous suivons leurs vies de 1935 à 1955 dans le cadre des premières recherches aéronautiques américaines. Surnommés le « Suicide Squad » par leurs collègues de Caltech, une université californienne, ils furent les pionniers dans la recherche de carburant pour fusées. Couronnée de succès leurs recherches donnèrent naissance au Jet Propulsion Lab. Surtout, au-delà de ces prouesses techniques ce qui fait l’intérêt de ce livre, ce sont les portraits des principaux intéressés.

Le premier, Jack Parsons était fasciné par l’occultisme et fut une figure importante du thélémisme californien, en contact avec Aleister Crowley, et côtoya (fut escroqué est plus approprié) un auteur de science fiction, à l’origine de l’un des mouvements sectaires les plus importants du XXe siècle : L. Ron Hubbard, le fondateur de l’Église de scientologie. Parsons mourut en tentant de fabriquer un nouveau carburant.

Le deuxième, Franck Molina, émigré tchèque, élève puis étudiant brillant, fut l’un des concepteurs des premiers moteurs de fusée. Pacifiste et communiste, il quitta les USA lors du maccarthysme, s’installa en France, travailla pour l’UNESCO et devint peintre.

Le dernier, Tsien Hue-Shen, était un étudiant chinois cherchant à quitter le chaos de son pays (occupation japonaise au Nord, en Mandchourie, guerre civile entre communistes et nationalistes). Il fut remarqué par le Suicide Squad et participa à leur recherche. Victime de la peur de la cinquième colonne japonaise, il fut mis à l’écart des travaux de ses amis (qui travaillaient durant la guerre pour l’armée), et surtout fut victime du maccarthysme (tous les Chinois étant, forcément, des agents de Mao…). Il dut quitter les USA et fut à l’origine du programme spatial chinois…mojaveepiphanie-chardronnet-couv-light

Leurs histoires, qui s’entremêlent à l’Histoire (nous croisons rapidement un SS du nom de Wernher von Braun, des scientifiques comme Albert Einstein ou Linus Pauling ainsi que des auteurs de science-fiction comme Ray Bradbury ou Arthur C. Clarke), sont racontées avec un style alerte qui rend la lecture aisée, facilitée par l’utilisation de chapitres courts. Ce livre, très richement documenté, se lit quasiment d’une traite.

Un seul regret : l’absence de notes… En effet, l’auteur cite fréquemment des extraits de lettres, de rapports, de témoignages, sans indiquer la provenance. C’est dommage car cela rend difficile son utilisation universitaire. Une autre bizarrerie : l’auteur parle à un moment de la ville allemande d’Aachen : pourquoi ne pas donner son nom français d’Aix-la-Chapelle ?

Ces lacunes sont compensées par un épilogue qui résume les biographies des principales personnes citées dans l’ouvrage postérieurement à la période chronologique du livre (1935-1955).

Quoiqu’il en soit, cette enquête passionnante éclaire d’un jour nouveau l’origine du programme spatial américain, une origine faite de bricolages et d’expérimentations en tout genre, dans une Californie déjà contre-culturelle.